Mag-log inMiaLe regard de Dorian passe à travers moi. Il fixe un point au-delà de mes épaules, dans le salon, là où la lumière blême du poudrier fracturé danse encore avec la poussière. Il n’y a plus de reconnaissance dans ses yeux d’or, seulement une onde de choc. Une réminiscence si violente qu’elle a pulvérisé le présent, le réduisant en éclats de verre tranchants.Elena, derrière moi, respire le triomphe. Je la sens sans la voir, son silence éloquent comme un rugissement.Je ne bouge pas. Le sol de chêne est glacial sous mes pieds nus, mais le froid qui monte en moi est plus profond. C’est celui de la peur. Non pour moi. Pour lui. Pour cette paix si chèrement acquise, si fragile, que je viens de voir se fissurer en une seconde.— Dorian.Je prononce son nom. Pas un cri, pas une supplique. Une ancre. Un rappel à l’ordre de ce monde-ci, de cette chambre, de cette aube où il a dormi dans mes bras.Ses paupières battent. Lentement, avec une difficulté terrible, comme si elles étaient alourdies
MiaLa lumière est un gris laiteux, typique des aurores parisiennes. Elle filtre à travers les épais rideaux, dessine des rectangles pâles sur le parquet sombre et baigne mon dos nu d’une clarté froide. Je suis éveillée. Chaque muscle est alerte, chaque sens tendu, non par la peur, mais par une vigilance douce et absolue. Le poids de Dorian contre mon dos, la régularité fictive de son souffle, le calme de pierre tombale qui émane de lui… C’est un trésor que je garde. Une victoire fragile sur neuf siècles de nuit.Au-dehors, dans l’appartement silencieux et trop vaste, un disque de cire ancien doit tourner encore sur le phonographe. J’entends l’aiguille crisser dans le sillon final. Un grésillement mélancolique. Le seul son du monde.Puis, il y a un clic.Ténu. Sec. Métallique.Il ne vient pas de la chambre. Il vient du salon.Je retiens mon souffle. Mes yeux, grands ouverts, fixent l’armoire sombre en face de moi. Dorian ne bouge pas. Son sommeil, ce sommeil si nouvellement reconquis,
MiaLe temps, dans cette chambre, a cessé d’être une rivière. Il est devenu un lac, immobile et profond, reflétant seulement nos deux présences. Les mots de Dorian résonnent encore en moi, plus doux et plus lourds que n’importe quel serment. Neuf cents ans. Ils tournent dans ma tête, et avec eux, un désir nouveau prend forme. Non pas celui, urgent et découvert de la nuit dernière, mais une pulsion lente, profonde, délibérée. Un besoin de confirmer, de sceller, de bénir cette paix qu’il a trouvée.Je tourne doucement la tête sur son épaule. Mes lèvres effleurent la peau froide de son cou, à l’endroit exact où son pouls était autrefois. Un baiser d’une douceur infinie. Je sens le frémissement imperceptible qui parcourt son corps, une vibration silencieuse.— Montre-moi , je murmure, ma voix à peine audible contre sa peau.Il se tend légèrement. — Te montrer quoi ?— La paix. Ce calme où tu as pu fermer les yeux. Je veux y entrer avec toi.Je lève les yeux vers son visage. Son regard d’
MiaLe sommeil se retire comme une marée lente et paresseuse. Je reviens à moi par fragments. D’abord, la sensation du poids des couvertures, doux et lourds sur ma peau. Puis, la fraîcheur de l’air de la chambre de pierre. Enfin, la chaleur contre mon dos. Une chaleur qui ne diffuse pas, mais qui attire, comme un pôle, froide et vivante à la fois.Je garde les yeux clos, savourant ces dernières secondes de somnolence où le corps et l’esprit flottent. La mémoire de la nuit dernière me frappe alors, non comme un souvenir, mais comme un écho vibrant dans chacune de mes cellules. Une vague de chaleur monte à mes joues. La tempête. Je l’ai vue. Je l’ai sentie. Je l’ai touchée. Et elle s’est reposée en moi.Je me retourne avec une lenteur infinie, craignant de briser le sortilège.Et je le vois.Dorian endormi.Mon cœur fait un bond silencieux dans ma poitrine. Il est là, allongé sur le dos, un bras replié derrière sa tête, l’autre posé sur sa poitrine immobile. La lumière froide de l’aube,
DorianLe choc est électrique, absolu. Un gémissement nous arrache à tous les deux, fusionné en un seul son. Sa peau est d’une douceur… inconcevable. Une chaleur vivante, vibrante, qui attaque la froideur séculaire de ma chair. Elle fond la glace, non par la force, mais par sa simple présence. Je suis en train de fondre.Et puis, nous ne sommes plus deux.Nous sommes un mouvement. Une respiration partagée. Je m’enveloppe d’elle, je me perds en elle. Je laisse la lenteur nous guider, imposer son tempo sacré. Chaque poussée de mes hanches est une question profonde, existentielle. Chaque repli des siennes, un oui murmuré par la chair. C’est une danse plus ancienne que mes plus vieux souvenirs. Une cérémonie où le passé douloureux et le présent incandescent ne font plus qu’un et se consument ensemble.Je la regarde. Je ne peux pas détourner les yeux. Je vois le plaisir modeler ses traits, les crisper puis les détendre. Ses lèvres s’entrouvrent sur des soupirs qui sont mon nom, encore et e
DorianL’écho de ses lèvres sur mes cicatrices est une brûlure douce qui persiste, plus réelle que la pierre froide sous la fourrure. Son souffle est court, chaud contre ma bouche. Ses yeux… ses yeux de terrienne me dévorent, aussi vastes et profonds qu’un ciel nocturne privé d’étoiles. Un abîme où je pourrais me perdre et, pour la première fois, ne pas avoir peur de la chute.Même les monstres ont besoin d’être touchés.Ses mots résonnent dans les cavernes de mon être, font trembler des stalactites de glace vieilles de siècles. Une vérité simple. Dévastatrice. J’ai survécu à des millénaires. J’ai manipulé des destins, terrassé des êtres qui se prenaient pour des dieux. Pourtant, cette femme fragile, avec son cœur imprudent et ses doigts de papillon, a fait l’impensable. Elle a atteint le noyau de glace que je prenais pour un cœur.— Oui. Peut-être surtout les monstres.L’aveu sort de moi comme une lame qu’on extirpe. Je sens quelque chose céder dans ma poitrine, pas avec un cri, mais







