LOGINDario Je lève les yeux, mon visage trempé de larmes. Ses yeux à lui sont humides aussi. Je ne l’avais jamais vu pleurer. Pas même dans les pires colères ou les plus grandes douleurs. La vue de ces larmes silencieuses sur les joues de cet homme de pierre est plus bouleversante que tous ses discours.— Pourquoi ? chuchoté-je. Pourquoi maintenant ? Pourquoi pas avant ?—Parce qu’avant, je pensais que te posséder, c’était t’aimer. Parce que je croyais que la peur était le ciment le plus solide. Et puis tu es partie. Et le monde est devenu… silencieux. Un silence si épais que je n’entendais plus que l’écho de tout ce que je t’avais fait. Et cet écho… c’était insupportable. Plus insupportable que ton absence.Il baisse la tête, regardant ses mains, ces mains qui ont tant caressé et tant blessé.—Je ne peux pas devenir un autre homme. Je suis celui qui a fait ça. Mais je peux… devenir un homme qui choisit, chaque jour, de ne plus le faire. Un homme qui apprend, maladroitement, à aimer sans
DarioJ’ouvre.Elle est là, trempée, une fine veste de pluie sur un simple jean et un pull. Elle n’a pas cherché à s’habiller pour impressionner. Elle est venue en archéologue, prête à déterrer des ossements. Son regard ne se pose pas sur moi en premier, mais passe par-dessus mon épaule, scrutant l’entrée, le grand escalier, comme si elle cherchait des traces de sang sur le marbre.— Entre, dis-je, en m’effaçant.Elle marche lentement, ses pas feutrés sur le sol. Elle respire profondément, comme pour humer l’air. Cherche-t-elle l’odeur de la crainte, de la violence ? Je ne sais pas.— C’est différent, remarque-t-elle enfin, ses yeux se posant sur le vase de lys posé sur la console.—Pas assez.—Non.Elle avance jusqu’au salon. Son regard est partout. Elle s’arrête devant la cheminée, là où une immense toile abstraite, aux couleurs sombres et aux angles tranchants, trônait autrefois. À la place, il y a un miroir ancien, et sur le manteau de la cheminée, une simple photographie encadrée
IsabellaLes semaines qui suivent la rencontre dans la nuit sont une étrange période de suspension.Le livre des constellations devient le préféré de Leo. Chaque soir, nous « visitons » une nouvelle page. La Grande Ourse, Orion, Cassiopée. Il prononce les noms avec une gravité concentrée, son petit doigt suivant les lignes pointillées qui relient les étoiles. Il ne demande plus si Alessio reviendra. Il parle parfois de « l’autre papa », celui qui connaît les histoires du ciel.Moi, je visite un ciel intérieur bien plus chaotique.Dario respecte sa parole. Il n’appelle pas. Il n’apparaît pas. Pourtant, sa présence est palpable, subtile, à la limite de la perception. Une fois, une glacière de produits frais et de plats préparés par un traiteur réputé est déposée devant ma porte. Une autre fois, c’est un jeu de construction complexe, du genre qui développe la logique – exactement ce qui fascine Leo. Pas de carte. Juste l’intention silencieuse, pratique, qui devine nos besoins avant même
IsabellaLa nuit tombe. Leo est endormi, le livre des constellations posé sur sa couverture, un doigt posé sur la Grande Ourse. La paix sur son visage me déchire.Je ne peux pas rester ici, dans ce silence qui ressemble à une tombe. Je dois sortir. Respirer un air qui ne sente pas le regret.Je laisse une note à la baby-sitter, une étudiante de confiance qui habite l’étage du dessous, et je m’engouffre dans la nuit fraîche de la ville. Je marche sans but, laissant le bruit de la vie nocturne me submerger. Des rires, des verres qui s’entrechoquent, le grondement des moteurs. La normalité.Je me retrouve sans y penser devant la galerie d’art où Alessio m’avait emmenée pour notre premier vrai rendez-vous. La vitrine est éclairée, mettant en valeur une sculpture abstraite, pleine de courbes et de tensions. C’était ici qu’il m’avait parlé de beauté fragile, de secondes chances.La douleur revient, aiguë, sincère. Je l’aimais. D’un amour différent, plus simple. Un amour qui promettait le jo
IsabellaLes jours qui suivent la rupture sont un brouillard gris.Chaque matin, je me réveille avec le même poids sur la poitrine, comme si une pierre s’était logée entre mes côtes. Le silence de l’appartement, autrefois paisible, est devenu oppressant. Leo, lui aussi, porte le chagrin comme un vêtement trop lourd. Il pose moins de questions, joue plus doucement, me serre plus souvent la main, comme s’il craignait que je ne disparaisse, moi aussi.Alessio avait été une promesse. Une promesse de normalité, de chaleur, d’un amour qui ne coupait pas le souffle mais qui le rendait plus facile. Il avait été la preuve que je pouvais être aimée pour autre chose que ma résistance ou ma soumission. Et je l’ai laissé s’éteindre.Je ne réponds pas aux appels de Viktor, dont les messages deviennent de plus en plus pressants. Le monde extérieur et ses jeux de pouvoir me semblent soudain dérisoires, lointains. Tout ce qui reste, c’est ce vide immense que j’ai creusé de mes propres mains.Pourtant,
AlessioJe les observe de loin,caché par le tronc d'un vieux chêne. Une scène de famille. Insoutenable. Isabella, notre Isabella, debout près du banc. Et lui. Dario. Assis, se courbant pour être à la hauteur du gamin. Leur gamin.Mon cœur n'est plus un organe, c'est une boule de rage et de venin qui bat dans ma poitrine. J'avais cru. J'avais cru à son désir de liberté, à sa haine pour ce monstre. J'avais cru que j'étais son futur, le phare après la tempête. Et tout n'était que mensonge. Duperie.Elle m'a écarté. « Prends le temps qu'il te faut », lui ai-je dit. Quelle idiotie. Quel aveu de faiblesse. Pendant que je lui laissais de l'espace, elle lui rouvrait la porte. Elle lui présentait son fils.Le gamin lui tend un caillou. Dario le prend comme une hostie. Je crois voir ses épaules trembler. La comédie est parfaite. Elle est si bonne qu'Isabella, la brillante, la forte Isabella, y croit. Elle le regarde avec cette expression… Ce n'est plus de la peur. C'est de la pitié. De la compa







