로그인Ils l'ont jetée dans les ténèbres parce qu'elle ne valait rien à leurs yeux. Pendant dix ans, Ivy n'a pas vécu ; elle a pourri. Dans la chambre la plus sordide d'une maison close, son corps fut un territoire d'oubli, son visage une carte que personne ne voulait mémoriser. Mais dans ses yeux, une flamme a brûlé, alimentée par chaque humiliation, chaque rire méprisant. Sa laideur était sa prison, mais elle deviendrait son arme. Elle a compté les jours, les heures, les souffrances. Elle a thésaurisé chaque billet souillé comme une balle pour son futur revolver. Sa vengeance serait une œuvre d'art, et elle en serait le chef-d'œuvre. L'argent a acheté un nouveau visage. Une beauté de glace et d'acier, une arme de séduction massive. Elle n'était plus l'ombre ignorée ; elle était un fantôme taillé pour hanter un seul homme : Alexander Vance. L'homme qui possédait tout. L'homme qui l'avait possédée, sans même le savoir. Il l'a remarquée. Désirée. Possédée à nouveau, croyait-il. Il a cru offrir un bijou à sa maîtresse. Il ne savait pas qu'il serrait sur son cœur le serpent qui allait l'étrangler. Maintenant, installée dans le cœur de son empire, Ivy sourit. C'est un sourire qui cache l'écho des chaînes. Chaque mot doux est un poison. Chaque caresse, un coup de couteau. Elle le dépouille, pièce par pièce. Elle corrompt ses alliés, vend ses secrets, sape sa fortune. Elle n'est pas une amante. Elle est un cancer. Sa vengeance ne sera pas un meurtre. Ce sera une dissection. Elle veut le voir à genoux, ruiné, regardant son monde s'écrouler et comprenant, trop tard, qu'il a été détruit par l'ombre qu'il n'avait même pas daigné regarder. La chute commence !
더 보기Ivy
— Joyeux anniversaire, ma puce !
La voix de ma mère résonne dans la petite cuisine, trop joyeuse, trop forte. Elle pose devant moi un cupcake sur lequel une bougie solitaire tremblote. Dix-huit ans. Je devrais me sentir différente. Je ne me sens que plus lourde, plus encombrante. Mon jean me serre à la taille, et le tricot trop coloré que ma mère m'a offert accentue mes formes potelées. Je suis un tableau moche et maladroit.
— Souhaite un vœu ! me presse-t-elle, le visage illuminé.
Je ferme les yeux un instant. S'il te plaît, que cette année soit différente. Que quelque chose, n'importe quoi, arrive. Je souffle la bougie. La fumée acre me pique les narines.
— Je sors prendre l'air, je dis en me levant, la chaise grinçant sur le linoléum.
Dehors, l'air de la banlieue est tiède et stagnant. Je marche sans but, traînant mes baskets sur le trottoir. Les voitures des autres, plus rapides, plus brillantes, me dépassent. Elles vont quelque part. Moi, je tourne en rond. Mon téléphone vibre. Un message de Sarah, ma seule amie. « Joyeux anniv' ! Désolée, je suis en week-end. À lundi ! » Même elle a une vie, aussi minime soit-elle. Moi, j'ai ce cupcake et ce pull moche.
Le parc est désert à cette heure-ci. Je m'assois sur un banc, le métal froid traversant mon jean. Je me sens invisible. C'est pire que d'être moche. C'est être transparente. Je ferme les yeux, m'abandonnant à la brise qui caresse mes cheveux gras. Je devrais les laver ce soir.
Un bruit de pneus sur le gravier me fait sursauter. Une camionnette blanche, banale, s'arrête non loin. Je fronce les sourcils. C'est étrange. Je me lève, instinctivement méfiante. C'est à ce moment-là que la portière coulisse s'ouvre dans un grincement.
Deux hommes en sortent. Vastes, sombres. Leurs visages sont des masques de détermination froide. Je les vois. Vraiment. Je vois la cicatrice en arc de cercle sur la joue du plus grand, la barbe de trois jours mal rasée de l'autre, ses yeux trop rapprochés. Ces détails se gravent dans ma mémoire, une photographie volée dans la panique. Ils marchent droit sur moi.
La peur m'électrise le sang. Mon cœur se met à battre à tout rompre, un tambour affolé dans ma cage thoracique. Je recule, mais le banc est derrière moi. Je trébuche.
— Non… Laissez-moi…
La parole meurt dans ma gorge quand l'homme à la cicatrice attrape mon bras. Sa poigne est un étau de fer. Un cri s'échappe de mes lèvres, aigu, étranglé. La main de l'autre homme, callleuse et puant le tabac, se plaque sur ma bouche, étouffant le son.
— Chut, petite. Ça va aller.
Ça n'ira pas. Rien ne va aller. Je me débats, je donne des coups de pied, mes formes potelées devenant un handicap, me rendant lourde, maladroite. Je griffe le bras qui m'enserre. Rien n'y fait. Ils sont trop forts. Ils me traînent vers la camionnette. Mon regard croise celui de l'homme aux yeux rapprochés. Il lit la terreur dans mes yeux, mais aussi la reconnaissance. Je vous ai vus.
Ils me jettent à l'intérieur. L'obscurité est totale, sentant l'essence et la sueur. Le plancher métallique est froid contre ma joue. La portière claque, un son définitif. Le moteur rugit et nous démarons.
Je sanglote, recroquevillée. Des voix parviennent de l'avant.
— Putain, Steve, t'as vu la gueule de la marchandise ? T'étais si pressé que t'as pris la première chose venue ?
— Elle était seule, chef. Facile.
— Facile ? Regarde-la !
Soudain, un freinage brutal. La lumière inonde l'arrière quand la portière est rouverte. L'homme qu'ils appellent "chef", celui à la cicatrice, me toise. Son regard est dégoûté. Il me scrute, des cheveux aux pieds.
— Définitivement, Steve, tu as des goûts de chiotte.
Il se tourne et gifle son complice. Le bruit est sec, cinglant.
— Aïe ! Chef…
— T'as pas trouvé mieux que cette chose ? C'est ça, ton idée de la qualité ? Ils veulent de la beauté, de la classe ! Pas… pas cette boule de graisse sans intérêt !
Cette chose. Boule de graisse. Les mots me transpercent. Je suis un déchet. Les larmes coulent, silencieuses. Ma laideur est mon arrêt de mort.
Le chef se penche, son visage tout près du mien. Son haleine sent la menthe et le cigare.
— T'entends ça, la chose ? T'es même pas bonne pour le marché. Tu nous coûtes de l'argent.
Il va refermer la porte. C'est fini. Ils vont me jeter. Un étrange sentiment de libération m'envahit. Mais alors, mes yeux s'arrêtent sur sa main, sur une bague étrange, un aigle aux ailes déployées. Et je murmure, ma voix rauque de larmes :
— Une cicatrice... en croissant de lune... sur la joue droite. Et lui... ses yeux... ils sont trop proches l'un de l'autre. Je me souviendrai.
Le silence qui suit est plus lourd, plus dangereux que tous les cris. Le chef se fige, son bras encore levé vers la portière. La fureur dans ses yeux se teinte d'une lueur nouvelle, calculatrice. La grimace de dégoût se transforme en un rictus froid.
— Bien. Très bien, la chose. Tu as de la mémoire.
Il recule d'un pas, son ombre m'engloutissant.
— Dans ce cas, on va te trouver une place. Pas celle que tu crois. Une place pour les oubliées. Pour celles qui ne méritent même pas qu'on se souvienne d'elles. Tu vas regretter de nous avoir reconnus.
La portière claque, plus violemment que la première fois. Les ténèbres ne sont plus une libération, mais une condamnation. Ils ne me relâchent pas parce que je les ai vus. Ils m'emmènent ailleurs, dans un endroit pire, parce que je peux les identifier.
La camionnette repart, et dans ce noir absolu, je comprends. Mon anniversaire est terminé. Ma vie aussi. Je ne suis plus Ivy. Je suis un témoin gênant. Une chose qui doit disparaître dans l'ombre.
Et dans cette obscurité qui sent la peur et l'essence, quelque chose naît. Ce n'est plus seulement de la terreur. C'est plus froid. Plus tranchant. C'est la première étincelle d'une haine qui va mettre dix ans à consumer tout sur son passage. Une haine qui se souvient.
IvyLa porte se verrouille derrière le cinquième. Le silence qui retombe n’est plus un silence, c’est le bruit blanc de l’épuisement total. Je reste allongée, les yeux ouverts sur la tache au plafond. Ma pensée, lente et gluante comme du goudron froid, s’accroche à un détail étrange, macabre.Ils se sont tous protégés.C’est mécanique, pour eux. Une précaution hygiénique, comme se laver les mains. Le petit sachet froissé jeté dans la poubelle rouillée est la seule trace de leur passage, avec l’argent. C’est une formalité. Pour eux. Pour moi, dans la lente descente aux enfers de mon esprit, cela devient une grâce perverse, une ironie trop cruelle.Heureusement. Le mot germe, hideux. Heureusement qu’ils prennent cette précaution. Sinon, avec tout cela… je pourrais attraper des choses. Des maladies. Salir mon corps encore plus. L’idée me fait presque rire, un rictus qui déchire mes lèvres gercées. Comme si quelque chose pouvait encore être « sali » ici. Comme si ce corps n’était pas déjà
IvyC’est la fin. La fin de quelque chose, peut-être juste la fin du jour. Je ne sais plus. Le temps a perdu sa forme, il n’est plus qu’une boue épaisse et répétitive, mesurée par l’entrée et la sortie des ombres.Le cinquième est parti. L’odeur de lui, un mélange de transpiration aigre et de désinfectant pour les mains, flotte encore dans la pièce. Je suis assise au bord du lit, les jambes écartées, le dos voûté. Mes reins sont une seule et immense douleur, une brûlure sourde qui irradie jusqu’à la base de mon crâne. Entre mes cuisses, c’est une plaie à vif, une sensation de verre pilé et de feu. Chaque respiration est un effort, chaque battement de cœur semble faire trembler mon corps épuisé.Mes yeux se posent sur la table de nuit. Sur l’argent.Bruno est venu ce matin, après le deuxième client. Il avait apporté un bol de soupe grise et froide.— T’es pas stupide, avait-il grommelé en le posant par terre. Les billets qu’ils te laissent, là. C’est pour toi. Le bordel, il est déjà pa
IvyLe cliquetis métallique de la clé dans la serrure déchire le silence comme un coup de couteau. Je sursaute. Mon corps engourdi par le froid du sol et la torpeur se raidit d’un seul coup. La porte s’ouvre. La silhouette massive de Bruno, le gardien, obstrue le cadre.Il ne me regarde même pas vraiment. Son regard glisse sur moi, recroquevillée contre le mur, comme on jette un œil à un objet déplacé.— Debout. Lave-toi. T’as cinq minutes. Y’en a un autre qui arrive.Il jette un torchon rêche et un savon industriel, vert et puant, sur le linoléum près de mes pieds. L’objet atterrit avec un bruit mou. Puis, sans un mot de plus, il recule et referme la porte. Le bruit du verrou qui reprend sa place est un verdict.Pendant un long moment, je ne bouge pas. Je fixe le torchon, les yeux secs et brûlants. Les sanglots sont retombés, laissant derrière eux une carapace de glace fragile. La pensée de bouger, de faire ce qu’on attend de moi, semble aussi insurmontable que de déplacer une montag
IvyLe silence est revenu. Un silence lourd, épais, qui semble absorber même le son de ma propre respiration. La porte est verrouillée. L’homme est parti. L’argent salé par son fantasme et mon mensonge repose sur la table de nuit. Je ne le touche pas. Je ne peux pas.Je me lève du lit, le corps lourd, les jambes flageolantes. Chaque pas est une épreuve. Je traîne mes pieds nus sur le linoléum froid et collant jusqu’au lavabo. La poignée de métal est glacée sous mes doigts. Je tourne le robinet. Un filet d’eau froide et rouillée en sort avec un gémissement. Je me penche, éclaboussant mon visage, essayant de laver la sensation de ses mains, de son souffle, de son poids. L’eau mélangée au maquillage bon marché coule en traînées grises et roses dans l’évier fissuré. Je frotte, plus fort, jusqu’à ce que ma peau soit rouge et irritée. Mais la souillure est en dessous. Elle est incrustée.Quand je relève la tête, mon reflet dans le miroir fêlé me fait horreur. Les yeux sont deux trous noirs,
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