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"Porte mon bébé !" Alessia ferma les yeux, encore et encore, sans pour autant comprendre la demande de sa sœur. Cette dernière, qui se trouvait à l'article de la mort, s'était tournée vers elle pour la supplier de l'aider, de sauver la vie de ce fœtus pas encore formé. Mais c'était son bébé, et en tant que future maman, elle voulait donner à son enfant le droit de vivre et non de mourir. Elle ne voulait pas l'emmener dans la tombe. C'était elle qui allait mourir. Elle s'était tournée vers sa sœur oméga pour la supplier de porter son bébé dans son ventre, et Alessia ne savait pas comment lui expliquer les choses alors qu'elle était mourante. "Ton mari n'accepterait pas ça, je ne veux pas avoir des problèmes avec lui. Il t'aime et c'est déjà assez difficile pour lui." "Je lui parlerai, je lui expliquerai les choses. Alors s'il te plaît, aide-moi, c'est ma dernière volonté. Je veux mourir en sachant que mon bébé puisse avoir la chance de voir le jour dans ce monde", articula-t-elle difficilement. "Je veux t'aider, mais que diront les gens de moi ? Je n'aurais plus la chance de me trouver un bon parti, plus aucun alpha ne voudra d'une oméga qui a déjà donné naissance." Sa sœur l’observa un moment, comprenant le dilemme d'Alessia. Comment pouvait-elle faire un sacrifice pareil ? Elle était encore jeune avec la vie devant elle. Elle ne pouvait pas la condamner comme ça sans lui garantir le meilleur après. De toute manière, elle sentait ses jours se raccourcir, mais la peur de perdre son bébé était plus grande, au point de lui couper le souffle. Elle avait supplié les médecins, qui lui avaient proposé cette solution. Elle n'en avait pas parlé à son mari, voulant d'abord convaincre sa sœur. "Je... je vais convaincre Ethan de t'épouser après ma mort. Je vais en parler à nos parents ainsi qu'à ma belle-famille pour qu'ils t'acceptent. Alors, s'il te plaît, donne une chance à ce fœtus de naître." Alessia n'avait plus aucun argument. Elle était si désespérée qu'elle ne savait pas comment lui dire non. Elle aimait beaucoup sa sœur, et c'était difficile pour elle de savoir qu'elle n'allait plus la revoir. Elle qui avait rêvé de pouvoir être mère n'avait même pas la chance de donner naissance à ce bébé qu'elle avait tant désiré. Elle s'était mariée avec le premier fils d'une grande famille. Ethan était beau et compétent ; il avait hérité de l'entreprise de son grand-père, et avoir un héritier était ce que toute la famille Blackwood attendait. Sa sœur ne voulait pas emporter l'héritier de cette famille dans la tombe. "D'accord...", murmura-t-elle. Sa sœur sourit faiblement avant de fermer les yeux. Alessia se leva et laissa sa sœur se reposer. Elle passa la matinée à repenser à tout ça, mais elle s'était résignée à l'aider. Elle revint la voir dans l'après-midi et s'arrêta devant la porte de la chambre en entendant plusieurs voix s'élever. "Comment peux-tu proposer ce genre de chose à ta sœur ? Déjà qu'elle est une oméga, tu veux encore la condamner !" s'exclama leur mère. Elle était déjà triste de perdre sa fille ; elle ne voulait pas aussi sacrifier son autre enfant par la même occasion. Elle se tourna vers son beau-fils, qui serra les poings de colère et de tristesse à l'idée de perdre l'amour de sa vie. "Bien sûr que non, j'ai pensé à tout. Ethan va l'épouser",dit-elle tout en tournant le regard vers son mari. "Ne m'impose pas tes décisions",déclara Ethan, furieux. "Pense un peu à notre enfant ! Je fais tout ça pour ta famille, qui attendait cette nouvelle depuis des années, et je ne peux pas partir en l'emmenant avec moi", pleura-t-elle tout en portant une main tremblante à son ventre pas encore formé. Son père et sa mère étaient contre sa décision, et Ethan ne voulait pas accepter sa requête. "Je vais mourir, vous comprenez ? Et je serai en paix seulement si tu acceptes de prendre ma sœur comme épouse. Je ne peux demander de l'aide qu'à elle, c'est la seule en qui j'ai le plus confiance. Elle prendra soin de toi et du bébé !" hurla-t-elle à bout. "Ma chérie, arrête de nous battre. Je suis déjà à bout, je déteste te voir dans cet état. Ne m'impose pas tout ça. Je suis aussi peiné pour notre bébé, alors arrête." "Ethan Blackwood, lorsque nous nous sommes mariés, tu m'as fait la promesse d'exaucer un de mes vœux si jamais je me retrouvais devant la mort. Alors, es-tu un homme qui ne respecte pas ses promesses ?" dit-elle d'une petite voix. "Mon vœu, c'est de te voir marié à ma sœur, qui portera notre bébé", ajouta-t-elle en fixant difficilement son mari. Il était sans voix. Elle avait eu le dernier mot, et son mari le savait. Elle était mourante, et elle méritait de mourir en paix. Alors, Ethan prit place sur le rebord de son lit et attrapa ses mains dans les siennes. "Si épouser ta sœur te rend heureuse, alors je le ferai. Je vais l'épouser comme tu le souhaites. Alors, calme-toi et pense à ce bébé qui dépend toujours de toi", dit-il d'une voix basse. Il ne voulait pas s'effondrer devant elle. "Je vois que nous n'avons pas notre mot à dire, puisque tu as convaincu ta sœur de t'aider", soupira sa belle-mère, qui avait simplement écouté leur échange. "L'héritier de notre famille ne mourra donc pas avec toi. C'est bon à savoir. Notre famille te remercie pour ta présence d'esprit." "Ma fille a accepté tout ceci parce qu'elle ne sait pas dire non à sa grande sœur. Je ferme les yeux simplement parce qu'elle a accepté de vous aider !" s'exclama la mère d'Alessia, énervée. "Mais tout ça ne me plaît pas." Alessia avait simplement écouté derrière la porte. Elle savait que sa sœur venait de sceller sa vie à celle de son beau-frère. Et après, que feraient-ils ? Oui, que ferait-elle après cette douloureuse décision ? Les choses étaient allées tellement vite qu'elle n'avait même pas eu le temps, ou le choix, de se rétracter. Comment alors qu'elle pouvait mourir d'une minute à l'autre ? L'opération avait été planifiée pour le lendemain, et même en lui laissant une nuit de répit, elle ne pouvait même pas se détendre. Elle avait peur. Peur que les choses se passent mal et qu'elle ne meure lors de l'opération. Mais sa mère l'avait aidée à se détendre. Elle était restée avec elle toute la nuit, rassurant ses craintes et calmant ses angoisses avec des paroles douces. Elle ne pouvait pas faire grand-chose : son bébé était trop jeune pour se marier, elle n'avait même pas encore fini l'université qu'elle devait prendre cette grande responsabilité sur ses épaules. Sa fille était tellement focalisée sur les besoins de sa belle-famille qu'elle ne voyait pas qu'elle enfermait sa propre sœur dans une relation sans lendemain. Elle n'y pouvait rien, après tout. Tout était décidé, et elle ne pouvait qu'être là pour sa fille. Le lendemain, ils s'étaient tous de nouveau réunis dans la chambre d'Eleanor, comme elle l'avait demandé. Elle voulait que tout soit fait avant que l'opération ne commence. Ethan était assis près de sa femme, mais demeurait dans ses pensées. Elle paraissait de jour en jour plus faible, et il n'aimait pas la voir comme ça. Savoir qu'elle allait mourir, et ce à tout moment, sans qu'il puisse rien faire, le rendait fou. Mais il ne pouvait pas lui montrer. Parce qu'il se devait de rester fort pour elle, pour cet amour qu'il aurait voulu chérir plus longtemps. Eleanor vit l'expression de son mari et prit sa main pour la poser sur sa joue. Elle le caressa tendrement, et c'est d'une voix faible qu'elle s'exclama : "Je sais que je t'en ai fait voir de toutes les couleurs et que tu voudrais rester seul et n'aimer que moi", commença-t-elle, et les yeux de son mari se mirent à briller d'émotion. "Mais moi, j'aimerais que tu aimes de nouveau, et je sais que ma sœur saura t'aider, parce que tu ne seras plus seul. Toi et notre enfant êtes entre de bonnes mains. Alors, mon amour, j'aimerais que tu puisses lui donner une chance, hein ?" Elle dit cela, et il hocha simplement la tête, ses larmes coulant déjà le long de ses joues. Puis il la prit dans ses bras, un long moment. Ensuite, le maire avait fait son apparition dans la pièce. Les deux parents s'étaient levés, et Alessia, qui était restée longtemps en retrait, s'était avancée près du lit. Eleanor avait fait signe à son mari qu'il était temps, et il se leva sans grande conviction. Il était venu se placer aux côtés d'Alessia, en face du lit. Les infirmières étaient déjà là, attendant. Le maire prit la parole. Il ne fit pas le discours habituel et passa à la suite. "Ethan Blackwood, acceptez-vous de prendre pour épouse Alessia Knight ici présente, promettez de l'aimer et de la chérir dans la santé comme dans la maladie, jusqu'à ce que la mort vous sépare ?" Ethan lança un regard à sa femme, comme pour lui demander son autorisation et savoir si ce qu'il était en train de faire était une bonne chose. Elle hocha la tête, un faible sourire aux lèvres. Alors, il ferma un moment les yeux, essayant de reprendre contenance. "Oui, je le veux." Le maire se tourna ensuite vers Alessia et continua : "Et vous, Alessia Knight, acceptez-vous de prendre pour époux Ethan Blackwood ici présent, promettez de l'aimer et de le chérir dans la santé comme dans la maladie, jusqu'à ce que la mort vous sépare ?" Pour Alessia, elle n'avait pas besoin de demander l'approbation de qui que ce soit. Sa mère dirait que ça avait été son choix dès le début et qu'elle n'avait pas pris la peine de la consulter. Alors, elle prit la responsabilité de son choix. "Oui, je le veux." Sa voix avait tremblé, mais au moins, elle avait répondu. "Bien. Par les pouvoirs qui me sont conférés, je vous déclare mari et femme." Puis il leur tendit le registre, et Ethan fut celui qui signa en premier, suivi d'Alessia. Ensuite, ce furent leurs parents, qui avaient été témoins. Et Alessia avait l'impression qu'après ça, plus rien ne serait comme avant. Plus rien. Elle venait de se condamner à une vie de solitude, et elle le savait. Après que la cérémonie fut terminée, Eleanor avait sincèrement remercié le maire. Elle savait que cela était difficile de célébrer une telle union, mais dans son état, elle n'avait pas pu faire autrement que de voir son mari se marier avec sa petite sœur. Ethan était revenu vers elle et avait déposé un baiser sur son front. Les infirmières étaient venues les informer du début de l'opération, et Alessia avait dû prendre place sur une chaise roulante. Eleanor avait été installée sur un brancard, ne pouvant plus se lever. Puis on leur avait expliqué les risques de cette intervention, tant pour Eleanor que pour Alessia, dont il ne restait plus grand-chose. Après cela, on les avait emmenés, Ethan n'avait fait que prier pour que tout se passe bien et qu'il puisse au moins dire au revoir à sa femme comme il se doit. L'opération avait duré des heures et des heures d'attente. Et lorsque ce fut terminé et qu'on leur avait permis de voir Eleanor, elle était encore plus faible qu'à son départ. Les médecins ne lui donnaient plus que vingt-quatre heures, et Ethan avait profité de cette journée pour ne jamais l'oublier. Quant à Alessia, l'opération avait été une grande réussite, mais son organisme avait mis plus de temps à s'habituer à cette nouvelle intrusion. Lorsqu'elle avait repris connaissance, trois jours s'étaient écoulés, et Eleanor avait déjà été enterrée. Quand sa mère lui avait annoncé la nouvelle, elle ne s'était pas arrêtée de pleurer. Eleanor avait été égoïste jusqu'au bout, et elle n'avait même pas pu lui dire au revoir. Un simple mot. Oui. Un simple : "Porte mon enfant." Qui avait été prononcé par sa sœur venait de sceller non seulement son avenir, mais aussi sa vie. Alors, elle devrait désormais vivre uniquement pour la famille qu'Eleanor lui avait laissée.~ ʚĭɞ ~ Ce matin-là, alors que le vent frais dû à la pluie de la veille faisait voler les rideaux de la chambre, Alessia s’arrêta sur le pas de celle-ci. Comme chaque matin, elle se rendait dans cette dernière pour récupérer le nécessaire à sa toilette et de quoi se changer. Elle était déjà habituée à trouver le grand cadre photo. Il était tellement imposant qu’à chaque fois qu’elle venait là, elle se sentait mal. L’impression de violer l’intimité de quelqu’un lui retournait les entrailles, mais aujourd’hui, il n’y avait plus rien. Plus de grand cadre, il avait disparu, même celui qui se trouvait sur la table de nuit, disparu. Ses sourcils se froncèrent d’étonnement. Qu’est-ce que c’était ? Elle avait tant rêvé pouvoir se sentir libre, pouvoir poser librement ses marques dans cette pièce, et se dire qu’elle était chez elle. Mais elle ne comprenait pas pourquoi faire ça, alors qu’il y a deux ans encore, il ne voulait rien toucher. Elle entendit la porte de la salle de bain s’ouvr
La chambre était silencieuse, seul le bruit des gouttes de pluie clapotant contre la vitre de la fenêtre rompait le silence. La seule source de lumière assombrissait davantage la pièce. Dehors, le soleil avait disparu, et les grondements de l’orage dominaient tout. Le souffle court, le regard vide. Ethan Blackwood n’avait pas bougé depuis le départ de son frère et de son épouse. Sa colère était retombée aussi vite qu’elle était venue. Il ne parvenait pas à oublier l’expression d’Alessia, ces larmes sur son visage, cette tristesse qui le déchirait. Une part de lui ne voulait pas lui faire de mal, mais une autre, plus tenace, réprimait tout ce qu’il ressentait pour elle. Et cette part de lui, il la détestait. Ses yeux parcoururent les cadres qu’il avait lui-même brisés. Il s’avança vers l’un d’eux, se baissa et posa sa main sur la photo. Sur cette image, Eleanor était resplendissante, son sourire si lumineux. Ses doigts effleurèrent cette partie où ce sourire ne s’effacerait plus.
⊰᯽⊱ L’eau de la baignoire avait refroidi, mais Alessia ne bougeait pas. Les larmes continuaient à couler, silencieuses, comme si son corps n’avait plus la force de produire du son. Nathaniel, agenouillé à côté de la baignoire, essuya délicatement une larme du bout des doigts. — Je vais te préparer quelque chose à manger, d’accord ? Alessia ne répondit pas. Ses yeux rougis fixaient un point invisible sur le carrelage. Le manque de réponse de sa belle-sœur lui fit mal. Elle vivait tellement de choses. Et son instinct lui criait de prendre soin d’elle et de la protéger. Il ne pouvait pas réellement le décrire, c’était un sentiment brûlant. — Comment elle va ? La voix de Damien, sortie de nulle part, le faisant sortir de ses pensées. — Je ne sais pas. Il déposa toutes sortes d’ingrédients sur le plan de travail. Comment te dire que ce n’est pas physique ? Il prit une pause. Passer ses chaleurs en compagnie d’un alpha qui ne t’aime pas, c’est le pire. Sa voix était contenue.
- J'ai posé leurs repas devant la porte, Mr Blackwood, dit-elle d'un ton calme. - Merci Emma. Euh, pourrais-tu préparer le repas de jun ? Elle doit avoir faim maintenant. La voix de Nathaniel était grave. - Bien, Mr. Puis elle s'en alla. Le séjour était calme, seule la télé qui diffusait un dessin animé faisait office de bruit sonore. La petite était accrochée à ses bras et ses doigts caressaient ses longs cheveux en cascade. Le silence fut coupé par les bruits de mocassins qui faisaient grincer le parquet à chacun de ses pas. - Ça fait déjà combien de jours qu'ils sont comme ça ? demanda Damien en venant prendre place sur le canapé. - Bientôt cinq jours, fit la voix de Nathaniel sans même lever la tête. - C'est pas un peu trop ? - Non. En principe les chaleurs d'Alessia ont pris fin hier, et je pense que ce sont les ruts d'Ethan qui ne sont pas encore passés... Je plains Alessia. Damien hocha simplement la tête. Il ne pouvait pas faire grand-chose d'autre qu'être là
- Tu dois retirer ces cadres photo. La voix de Nathaniel était calme. Il n'avait pas supporté de voir l'état dans lequel était sa belle sœur. Sa tristesse était si grande qu'il l'avait ressentie, voilà pourquoi il se tenait droit devant son frère. - Pourquoi ? avait alors répondu Ethan Blackwood, le regard droit et les mains dans les poches. - Comment ça pourquoi ? Tu ne vois pas que c'est irrespectueux vis-à-vis d’Alessia ? Cette chambre est désormais la sienne. Nathaniel avait dit d'un ton colérique. - La chambre dans laquelle elle ne dort pas, commença Ethan, son ton toujours calme. Eleanor était ma femme, donc je pense que ces photos ne devraient pas la déranger, puisque c'est sa sœur. Alessia avait senti son cœur se briser, encore plus fort. C'était comme ça depuis la mort d’Eleanor, et elle avait pensé que plus rien ne pouvait la surprendre venant de cette famille, plus rien ne pouvait la blesser venant d’Ethan. Mais elle venait de comprendre que, peu importe la façon
⊰᯽⊱ Durant ses deux dernières années, Alessia pouvait énumérer les moments qui l'avaient vraiment rendue heureuse. Elle n'était pas bien nombreuse, mais c'était déjà suffisant. La première fois avait été lorsqu'elle avait pris la petite Jun dans ses bras pour la première fois, la deuxième fois avait été lors de ses premiers pas et la troisième avait été lorsqu'elle l'avait appelée "maman". Elle n'était peut-être pas sa fille, mais l'avoir portée dans son ventre avait été une expérience gratifiante et elle faisait chacune de ses joies. Mais par moments, elle ne cessait de se demander comment serait sa vie si elle n'avait pas accepté d'aider Eleanor. Peut-être serait-elle plus heureuse. Après le repas chez les BlackWood, les jours s'étaient succédé. Alessia avait fait plus ample connaissance avec Liam et Kaëlle, devenant amie avec ces derniers, mais toujours pas au point de se confier. Elle espérait que cela change un jour. Elle se cachait toujours de son garde du corps ; elle ne v