LOGINLa porte claqua derrière moi, lourde et impitoyable, et le bruit sec du verrou résonna comme une sentence définitive.
La cellule où l’on m’avait jetée n’était qu’un trou humide, creusé à même la roche. L’air glacé me mordait la peau et une torche vacillante accrochée au mur projetait sur les parois des ombres difformes qui semblaient se moquer de moi. Le sol, une dalle nue recouverte de poussière et de mousse, n’offrait aucun réconfort. On m’avait enfermée comme une bête indésirable, sans couverture, sans nourriture, sans espoir. Mes bras me brûlaient encore de la poigne brutale des gardes. Je me recroquevillai contre la paroi rugueuse, les genoux ramenés contre ma poitrine, et les larmes que j’avais retenues devant la meute finirent par couler librement, silencieuses, traçant des sillons amers sur mes joues. J’étais seule. Rejetée. Une anomalie que même la Lune semblait vouloir exposer. Mes paumes picotaient toujours, comme si la lumière refusait de disparaître complètement. Dans la pénombre, je les observai, tremblantes. Ces mains qui n’avaient jamais su me défendre avaient refermé une plaie sous les yeux de tous. Pourquoi moi ? Pourquoi ce soir ? Pourquoi devant toute la meute ? Un bruit discret, presque précipité, me tira de mes pensées. Des pas légers s’arrêtèrent derrière la porte de bois. — Lyra ?! Je reconnus aussitôt la voix tremblée de Mira. Mon cœur fit un bond et je me précipitai vers la petite fente qui servait de ventilation. — Mira… tu ne devrais pas être là, murmurai-je. — Je m’en fiche ! répliqua-t-elle, haletante. Ils t’ont enfermée comme une criminelle ! C’est injuste ! Je ravalai mes larmes, la gorge nouée. — Tu as vu… ce qui s’est passé. J’ai effrayé tout le monde. Même moi, je ne comprends pas. — Ce n’est pas ta faute, insista-t-elle avec véhémence. La Lune ne donne rien au hasard. Si tu as cette lumière, c’est qu’elle t’a choisie pour quelque chose. Ses mots m’apportèrent un réconfort fugace, comme une flamme fragile au cœur de la nuit. Mais la douleur revint aussitôt. — Alors pourquoi Caius ? Pourquoi m’a-t-il rejetée ? Mira se tut, incapable de trouver une réponse. Son silence pesa plus lourd encore que les insultes de la meute. Des pas lourds résonnèrent soudain dans le couloir. Autoritaires, implacables. Mira s’écarta précipitamment. Je reconnus ce pas avant même que l’ombre ne se dessine. Caius. La serrure grinça, la porte s’ouvrit, laissant entrer un souffle d’air glacé. L’Alpha entra, seul, auréolé de son autorité naturelle. La lumière de la torche accentuait la dureté de ses traits, et ses yeux noirs, profonds et impénétrables, se posèrent sur moi. Je reculai instinctivement, jusqu’à ce que mon dos heurte la paroi. — Pourquoi es-tu venu ? demandai-je d’une voix brisée. Pour me condamner encore ? Il resta silencieux, me fixant comme s’il voulait sonder chaque recoin de mon âme. Enfin, il parla, sa voix basse mais vibrante d’une tension contenue. — Tu crois que j’ai pris plaisir à dire ces mots devant la meute ? Un sanglot me serra la poitrine. — Alors pourquoi ?! Pourquoi m’avoir rejetée, si tu savais… si tu ressentais le lien comme moi ? Son regard se durcit, mais une ombre de trouble traversa fugacement ses yeux. — Justement parce que je l’ai ressenti, dit-il enfin. Parce que je sais ce que cela signifie. Tu n’es pas une simple oméga, Lyra. Le pouvoir que tu portes… il attirera la convoitise de toutes les meutes ennemies. Si je t’acceptais, tu devenais ma faiblesse. Ses mots me frappèrent plus fort que son rejet. — Une faiblesse ? C’est tout ce que je suis pour toi ? Je crus voir vaciller une émotion dans ses yeux, mais elle disparut aussitôt. — Tu ne comprends pas encore, reprit-il, plus froid. Les guérisseurs de Lune… on raconte qu’ils peuvent changer l’issue des guerres. Mais on raconte aussi qu’ils ne vivent jamais vieux, utilisés jusqu’à leur dernier souffle. Un frisson glacé parcourut ma colonne. — Alors… tu m’as rejetée pour me protéger ? Il détourna les yeux, la mâchoire crispée. — Peu importe la raison. Ce qui compte, c’est que tu restes en vie. Mais je ne peux pas te garder ici si tu es une menace pour l’équilibre de ma meute. Les Anciens décideront à l’aube. Mon cœur battait si fort que j’en avais mal. — Et si leur décision… c’est ma mort ? Il replanta ses yeux noirs dans les miens, insondables. — Alors tu devras être assez forte pour survivre malgré tout. Il se détourna sans un mot de plus. La porte claqua derrière lui, m’enfermant de nouveau dans le froid et l’ombre Je restai figée, tremblante, le souffle coupé. Ses paroles résonnaient encore dans ma tête. Rejetée, oui, mais pas oubliée. Considérée comme une faiblesse, mais aussi comme un secret trop dangereux pour être ignoré. Je levai les yeux vers la mince ouverture qui laissait passer un rayon de lune. Un sanglot étouffé secoua ma poitrine. Si l’aube devait décider de mon sort, alors cette nuit pouvait bien être la dernière. Et au plus profond de moi, une voix étrangère, calme et déterminée, murmura : Ne cède pas. La Lune t’a choisie. Sois-en fière.L’aube ne vint pas avec la lumière. Elle arriva lourde, grise, et étouffée par un ciel bas. Comme si la Lune refusait de céder sa place au soleil. Silverpine se réveilla dans un silence inhabituel, presque religieux. Même les oiseaux ne chantaient pas. On vint me chercher avant que je ne sois prête. Deux gardes, muets, évitaient mon regard. Ils ne me touchèrent pas, mais leur présence suffisait à me rappeler que je n’étais plus libre depuis longtemps. Je marchai entre eux, pieds nus sur la terre froide, le ventre creusé par le jeûne, l’esprit étrangement calme. La clairière était déjà préparée. Le cercle de pierre avait été nettoyé. Les anciennes runes, gravées depuis des générations, luisaient d’une pâle lueur argentée. Des torches brûlaient lentement, sans crépiter, comme si le feu lui-même retenait son souffle. La meute était là. Tous. Des guerriers aux anciens, des dominants aux omégas. Même les enfants, perchés derrière les adultes, observaient en silence. Je sent
Je n’avais jamais craint la nuit. Je l’avais traversée cent fois, parfois seul, parfois à la tête de guerriers couverts de sang. J’avais senti ses odeurs, écouté ses murmures, compris ses pièges. La nuit avait toujours été un territoire que je maîtrisais. Mais cette nuit-là… La nuit ne m’obéissait plus. Elle m’observait. Je restai immobile devant la cabane de Lyra longtemps après que son cri se fut éteint. Le silence qui suivit n’était pas apaisant. Il était chargé. Lourd. Comme un souffle retenu trop longtemps. Les gardes n’osaient pas parler. Ils sentaient, eux aussi, que quelque chose venait de se fendre — pas dans l’air, mais dans l’ordre même de Silverpine. Elle m’avait regardé sans peur. Pas avec défi. Pas avec soumission. Avec une vérité nue, tranchante. Si je reste… ils me détruiront. Je serrai les poings jusqu’à sentir la douleur m’ancrer dans le réel. Je savais que c’était vrai. Le Rite du Voile n’avait jamais été un test. Pas vraiment. Il avait toujours été un
La deuxième nuit commença sans avertissement. Il n’y eut ni tambours, ni incantations, ni pas dans la nuit. Rien pour me préparer. Rien pour me prévenir. Seulement cette sensation sourde, persistante, que quelque chose s’était mis en mouvement sans moi. Je n’avais pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures. Mon corps était vidé, fragile, presque étranger. Mes membres me semblaient trop lourds, mes gestes ralentis, comme si je me mouvais dans de l’eau froide. Mais ce n’était pas la faim qui me rongeait. C’était l’attente. Cette certitude oppressante que le Voile ne dormait pas. Qu’il observait. Qu’il mesurait. La lumière sous ma peau ne s’était pas éteinte depuis la veille. Elle n’explosait pas. Elle ne brûlait pas. Elle observait. Je restai assise contre le mur de la cabane, les genoux repliés contre ma poitrine, les bras serrés autour de mes jambes maigres. Chaque battement de mon cœur résonnait trop fort, trop lentement. Même l’air semblait plus dense, plus
La cabane était silencieuse.Pas le silence ordinaire de la nuit, peuplé de bruissements, de craquements et de souffles lointains. Non. Un silence épais et artificiel.C'etait comme si quelqu’un avait posé un voile sur Silverpine elle-même. On pouvait presque sentir que la forêt elle-même tenait sa respiration. Et ce que je sentais en particulier, c'était les gardes dehors. Je ne les voyais pas, mais leur présence pesait sur ma poitrine, constante, oppressante. Ils ne surveillaient pas seulement mes gestes. C'était mon existence entière qui les intéressaient. Le jeûne avait commencé à l’aube.Au début, la faim avait été supportable. Maintenant , il s'agissait d'un vide sourd, presque familier. Mais à mesure que la journée avançait, ce n’était plus mon ventre qui protestait. C’était autre chose. Une tension profonde, nichée sous ma peau, dans mes os, dans mon sang. Comme si quelque chose, privé d’ancrage, cherchait une issue. Je m’assis sur la paillasse, ramenant mes genoux contre
Le lendemain de la convocation, Silverpine ne se réveilla pas vraiment. La meute semblait suspendue dans un état étrange, comme si le temps lui-même avait ralenti. Les voix étaient plus basses. Les pas plus prudents. Même la forêt paraissait retenir son souffle. Les arbres murmuraient quand le vent les traversait, et chaque bruissement semblait répéter le même mot, encore et encore. Voile. Trois jours. Trois jours avant que la Lune ne décide si j’étais digne de vivre… ou d’être effacée. On m’isola davantage encore. Ma cabane fut déplacée aux abords du village, là où les ombres s’étiraient plus longtemps et où les regards se faisaient plus rares mais jamais absents. Deux gardes restaient postés en permanence devant la porte. Ils ne parlaient pas. Ils observaient. Même respirer me semblait suspect. Mira devait négocier chaque visite, argumenter, presque supplier. Lorsqu’elle parvenait enfin à entrer, elle refermait la porte derrière elle avec une rage mal contenu
Les jours suivants s’écoulèrent comme une lente agonie. Chaque matin, avant même que la brume ne quitte la forêt, Caius venait me chercher. Il ne frappait jamais. Il se contentait d’ouvrir la porte, son ombre envahissant la cabane avant même qu’il n’y entre réellement. C’était sa façon de rappeler que je n’avais nulle part où fuir. L’entraînement ne ressemblait plus à ce que j’avais connu jusque-là. Il ne s’agissait plus seulement d’appeler la lumière ou de la contenir. Il voulait que je reste debout pendant qu’elle brûlait, que je respire malgré la douleur, que je garde les yeux ouverts quand tout mon corps me suppliait de m’effondrer. — La lumière ne doit jamais te voir plier, répétait-il. Ses mots me hantaient longtemps après qu’il s’éloignait. Je tombais souvent. Parfois jusqu’à en vomir. Mira était toujours là, silencieuse, me tendant de l’eau, soutenant mon poids quand mes jambes refusaient de m’obéir. Elle ne protestait plus ouvertement. Elle avait compris que cela n







