MasukChapitre 34 — Le Serment BriséALEXANDER (Âgé de 8 ans)Il y a deux mondes. Le monde de Maman, et le monde de Papa. Le monde de Maman est fait de chiffres, de sourires calculés et de salles blanches où l'on soigne les gens. Elle m'emmène parfois dans des hôpitaux qui portent notre nom. Les gens lui sourient, lui serrent la main. Ils me regardent, moi, avec des yeux pleins d'espoir. « Le jeune prince », ils chuchotent. Maman dit que c'est ça, le vrai pouvoir : inspirer, construire, guérir.Le monde de Papa est fait d'acier, de silence et d'ombres. Il est dans son bureau, face à des écrans qui montrent des visages en colère, des cartes avec des points rouges. Parfois, Leo vient lui parler à voix basse. Après, Papa a les yeux plus sombres. Il pose sa main sur mon épaule, plus lourde, et me dit : « N'oublie jamais, Alexander. La forteresse a besoin de murs solides. »Aujourd'hui, je devais aller avec Maman visiter une nouvelle école. Mais elle a annulé. Une urgence, a-t-elle dit. Son sour
Chapitre 33 — Le Prix de l’ÂmeMÉLISSALe regard d’Alexander me hante. Cette froide curiosité. Cette absence de peur. Cette acceptation. Ce n’était pas la réaction d’un enfant de cinq ans. C’était la réponse calibrée d’un petit prince à qui l’on vient de révéler le prix du trône.J’ai voulu lui épargner cela. Je lui ai bâti un palais, une forteresse, une légende. J’ai cru que l’amour et la puissance suffiraient à le préserver. Mais le sang, toujours le sang, a trouvé un chemin jusqu’à lui. Pas sur ses mains. Pas encore. Mais dans ses yeux. Dans son âme.Je me tiens devant la baie vitée de notre suite, observant la ville qui s’étale comme un circuit imprimé géant. Chaque point de lumière est une vie, une entreprise, une faiblesse que nous pourrions exploiter. Ce paysage m’a toujours apaisée, symbole de mon contrôle. Ce soir, il me semble menaçant, fourmillant d’ennemis invisibles, de regards avides fixés sur notre tour d’ivoire.Les bras de Hug m’encerclent par derrière, ses mains se p
Chapitre 32 — Le Premier SangALEXANDER (Âgé de 5 ans)Le monde est un puzzle que je dois résoudre. Les pièces sont les visages des gardes, les angles des caméras, les intonations de la voix de Papa quand il parle affaires, et la façon dont Maman sourit – un vrai sourire, rare et précieux, ou le sourire de l’Impératrice, froid et tranchant comme du verre.Notre maison est grande. Trop grande. On l’appelle « le Bastion ». C’est une forteresse de verre et d’acier au cœur de la ville, mais on ne voit pas la ville. On voit le ciel, et les bâtiments plus bas, comme si nous regardions le monde du haut d’une falaise. Leo m’a dit que c’était pour la sécurité. Je sais que c’est aussi pour montrer à tout le monde que nous sommes en haut.Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Il y a un gâteau. Des ballons. Des hommes en costumes sombres qui sourient sans que ça n’atteigne leurs yeux. Ils me donnent des cadeaux lourds et chers. Un globe terrestre antique. Un petit ordinateur crypté. Un ponney… viv
Chapitre 31 — Le Poids de la CouronneALEXANDERLe silence est mon premier royaume. Un monde de sensations floues et de besoins primaires. La chaleur des bras qui me portent. La voix grave qui murmure des mots que je ne comprends pas, mais qui font vibrer ma petite poitrine. Le parfum froid et propre de Elle – Maman – un refuge, une forteresse. Et l’odeur de Lui – Papa – de terre, de métal et de quelque chose de sauvage, calmé seulement quand Il est près de nous.Puis viennent les sons. Les cris étouffés dans la nuit. Les bruits secs qui font sursauter les bras qui me tiennent. Les voix tendues qui chuchotent au-dessus de ma tête. Je ne comprends pas les mots, mais je comprends l’émotion. La peur. La colère. Une détermination si féroce qu’elle réchauffe l’air.La nuit où le verre a explosé, j’ai crié. Non pas de peur, mais d’indignation. On avait troublé mon silence. On avait importé le chaos dans mon monde. Et puis, Sa voix à Elle m’a traversé, plus claire que tout : « Vous ne touche
Chapitre 30 — Le Piège de l’AubeMÉLISSALa naissance est une bataille. Une guerre silencieuse et primitive que chaque femme mène seule dans les tranchées de son propre corps. Il n’y a plus d’Architecte, plus d’Impératrice. Il n’y a qu’un animal qui se déchire pour donner la vie, et une conscience qui flotte au-dessus, observant la tempête avec une clarté terrifiante.La douleur est un océan. Je me noie dedans, remonte à la surface pour hurler, et replonge. Les mains du Dr Thorne, les encouragements de l’infirmière, ne sont que des bruits lointains. Le seul point d’ancrage, c’est la main de Hug. Elle serre la mienne avec une force qui devrait briser les os. Son visage est une sculpture de tension, pâle, des muscles de sa mâchoire saillants. Il murmure des mots que je n’entends pas, des serments, des menaces, des prières. Son autre main est posée sur mon front, un point de contact brûlant.— Poussez, Mélissa. Maintenant !La voix du Dr Thorne perce la brume. Je rassemble tout ce qui me
Chapitre 29 — L’Ombre du BerceauMÉLISSALa forteresse n’a pas de nom. C’est une anomalie topographique, une maison de verre et de pierre ancrée dans le flanc d’une montagne suisse, face à un lac d’un bleu impossible. Ici, l’air est si pur qu’il en devient coupant. Le silence est une présence tangible, rompu seulement par le cri des aigles et le vent dans les sapins. Il n’y a pas de numéro sur la porte, pas de chemin d’accès visible. Seul un hélicoptère discret, piloté par Leo lui-même, nous y a déposés.L’intérieur est un paradoxe. Lignes épurées, technologie de pointe dissimulée sous des boiseries chaleureuses. C’est le repaire ultime de l’Architecte. Et c’est désormais la chambre forte de notre héritier.Les semaines passent. Une routine de convalescence et de préparation s’installe. Mon corps, lentement, reprend le dessus. La terreur de cette nuit à la clinique s’est estompée, remplacée par une vigilance de tous les instants, une acuité sensorielle exacerbée. Je sens chaque mouvem







