Se connecterAlba
La chambre de Samantha sent la lavande et le bois ancien. Je suis allongée sur son lit, le menton calé dans mes mains, pendant qu’elle, assise en tailleur sur le tapis, trie des photos sur son téléphone. La lune filtre à travers les grands pins, dessinant des ombres mouvantes sur les murs.
— Alors, raconte ! je lance, avide de détails terre-à-terre, de ces histoires simples qui semblent si loin de mon tourment intérieur.
Samantha éclate de son rire cristallin, un son qui devrait être rassurant, mais qui ce soir grince légèrement à mes oreilles. Ses canines me semblent soudain plus blanches, plus affûtées.
— Cette année ? Un désastre, ma chérie. Mais un désastre délicieux. Il y a eu Marc, le poète, qui sentait le vieux livre et le café. Trop dans sa tête. Puis Léo, le sportif, qui sentait la transpiration et l’arrogance. Trop dans ses muscles.
Je ris, mais le son est forcé. Je me surprends à comparer inconsciemment ses récits à la présence brute, presque animale, qui hante mes pensées. Ces garçons lui semblaient… si jeunes. Si peu substantiels.
— Et toi ? elle demande soudain, ses yeux dorés , des yeux de loup, je le sais maintenant , se plantant dans les miens avec une intensité déconcertante.
— Rien à me raconter ? Pas de béguin secret pour un garçon de Willow Creek ?
La question, anodine, me transperce comme une flèche. Mon cœur se met à battre la chamade, et j’espère qu’elle ne l’entend pas. Je sens la chaleur monter à mes joues.
— Non, rien de tel, je murmure, détournant le regard vers la fenêtre, vers la forêt noire. C’est… tranquille.
Un silence s’installe, trop lourd pour être confortable. Samantha arrête de faire défiler les photos. Je sens son regard sur moi, pesant, scrutateur.
— Tu sembles différente, Alba, elle dit finalement, sa voix plus basse, plus grave. Tendue. Comme un arc. Et tu as cette odeur…
Je me fige.
—Quelle odeur ?
Elle hésite, ses narines frémissant presque imperceptiblement.
—Une odeur d’adrénaline. De peur mêlée à… autre chose. Quelque chose de chaud. Elle plisse les yeux, et pour la première fois depuis notre amitié, je vois la louve en elle, juste sous la surface, l’animal qui analyse le monde en odeurs et en instincts. On dirait l’odeur de quelqu’un qui est en train de se perdre. Ou de se trouver. C’est souvent la même chose.
Mon sang se glace dans mes veines. Elle sait. Elle doit savoir. Elle sent mon désir interdit comme une puanteur. Je veux me confesser, crier mon trouble, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Comment avouer que la présence qui me consume est celle de son père ? Comment expliquer cette attraction qui me ronge sans trahir notre amitié et sans révéler le secret que je devine chez elle ?
— C’est cette maison, je balbutie, mentant pour la première fois de manière aussi flagrante. La forêt… elle est si oppressante.
Samantha me regarde longuement, et je vois dans ses yeux qu’elle ne me croit pas. Mais elle ne pousse pas plus loin. Elle sait, mieux que quiconque, que certains secrets sont comme des bêtes sauvages : il ne faut pas les déranger, sous peine de les voir se retourner contre vous.
— La forêt peut être dangereuse, elle dit doucement, en écho à mes pensées. Il y a des choses… des désirs… qu’il vaut mieux ne pas nourrir. Ils vous dévorent de l’intérieur.
Ses mots résonnent en moi comme un avertissement solennel. Elle parle de la forêt, mais ses yeux, pleins d’une sagesse ancienne et animale, me disent qu’elle parle d’autre chose. Elle parle de moi.
Et au fond de moi, tandis que la honte et la peur luttent contre ce désir vorace, une petite voix murmure que même si c’est le cas, il est déjà trop tard. La bête en moi a été réveillée, et elle a déjà choisi sa proie.
AlbaLe loup argenté ne me quitte pas des yeux. Chacun de ses souffles est un vent chaud qui fait trembler l'étoffe de ma robe. Je devrais hurler. Je devrais fuir. Mais mes pieds sont enracinés dans cette terre ancienne, et un étrange calme m'envahit, comme si une partie de moi attendait ce moment depuis toujours.— Tu vois maintenant, murmure la voix d'Adriel dans mon esprit.Je ferme les yeux un instant, submergée par un flot d'émotions contradictoires. La peur, bien sûr. Une terreur primitive face à cette créature de légende. Mais aussi une fascination malsaine, une curiosité brûlante qui consume toute raison.Quand je rouvre les yeux, le loup a reculé d'un pas. Sa silhouette commence à changer, à se métamorphoser. Les os craquent dans un bruit horrifiant et fascinant. La fourrure argentée se résorbe dans la peau qui pâlit. La forme massive se redresse, prenant une stature humaine.Quelques instants plus tard, Adriel se tient devant moi, nu jusqu'à la ceinture, les muscles de son t
AlbaLa maison bourdonne d'une énergie étrange, électrique. Quelque chose se prépare. Quelque chose que je ne comprends pas.Je descends pour le dîner, encore remuée par l'incident dans les bois. Samantha semble nerveuse, évitant mon regard. Son sourire est trop large, trop brillant. Et lui... Adriel est assis à la tête de la table, imposant et silencieux. Son regard pèse sur moi plus lourdement que jamais.— Une fête aura lieu ce soir, annonce Samantha dans un tintement de couvert. Une tradition familiale. Dans les bois. Tu devrais venir, Alba.— Une fête ? je répète, hésitante.— Pour les jeunes de la communauté, précise Adriel.Sa voix est calme, mais elle résonne en moi comme un tambour. Je vois le regard qu'il échange avec sa fille. Quelque chose passe entre eux, une complicité qui me glace.— C'est... pour nos dix-huit ans, ajoute Samantha à voix basse. Une sorte de rite de passage.Quelque chose dans sa voix me fait froid dans le dos. Ses doigts tremblent en portant son verre d
AdrielElle fuit à travers le sous-bois, légère comme une feuille emportée par le vent. Ses pas précipités crissent sur les feuilles mortes, un rythme affolé qui trahit la tempête en elle. Je reste immobile, l'odeur de sa peur et de son désir mêlés emplissant mes narines. Un parfum enivrant.Mon sourire s'élargit, lent, prédateur.La petite Alba. Si fragile en apparence, avec ses grands yeux pleins de rêves interdits. Elle croit cacher ses pensées, les enfouir au plus profond d'elle-même. Elle ignore que pour moi, elles crient. Elles hurlent.Je ferme les yeux un instant, laissant les images qu'elle a projetées m'envahir à nouveau. Les scènes qu'elle a imaginées contre cet arbre... si vives, si détaillées. La façon dont elle s'est abandonnée à moi dans son esprit, offerte, consentante, brûlante. Elle a honte, oui. Mais son désir est plus fort que sa honte. Bien plus fort.Et c'est exactement ce que je veux.Je rouvre les yeux, fixant l'endroit où elle a disparu. Mon territoire s'étend
AlbaJ’ouvre les yeux.Un vertige brutal me submerge, comme si on venait de me pousser du haut d’une falaise. Le tronc du chêne est rude et réel contre mon dos. La lumière filtre à travers les feuilles, inchangée. Le chant des oiseaux a repris, normal, insouciant.Il n’est pas là.Il n’a jamais été là.La scène tout entière , ses pas, sa voix, ses doigts sur ma joue, cette intimité brûlante et humiliante , s’est déroulée dans l’arène close de mon crâne. Un fantasme si vif, si charnel, qu’il a usurpé la réalité. Mon cœur bat à coups désordonnés, non pas de passion, mais de panique. Ma joue ne brûle que de honte. Mon corps tout entier est un leurre, trahi par ses propres pulsions.Je ferme les yeux un instant, essayant de chasser les derniers vestiges de l’illusion, mais ils résistent, collants comme de la toile d’araignée. Le goût de son nom sur ma langue. La sensation fantôme de sa main sur ma mâchoire. « À toi. » J’ai dit « À toi » à un homme qui n’était pas là. À mon amie. À la fill
AlbaLe jour se lève, lent, implacable. Une lumière grise et coupable filtre à travers les persiennes, striant le sol et mon corps épuisé. Je me sens vidée, comme après une longue maladie. Mais la fièvre, elle, couve toujours. Elle n’a pas quitté mes veines. Elle s’est contentée de se tapir, patiente, attendant son heure.Je m’habille mécaniquement, enfilant une robe légère qui me semble soudain trop lourde sur ma peau hypersensible. Chaque froissement du tissu est une caresse indécente, un rappel des mains qui m’ont possédée dans mes rêves. Mes propres mains.La maison est étrangement silencieuse quand je descends. Trop silencieuse. Je tends l’oreille, guettant le bruit de ses pas lourds, le timbre grave de sa voix. Rien. Seulement le tic-tac obsédant de la vieille horloge du couloir.Samantha est à la cuisine, le visage pâle et les yeux cernés.—Tu as bien dormi ? me demande-t-elle en poussant vers moi une tasse de café.—Comme un loquet, je mens, la voix rauque.Je prends la tasse.
AlbaJe recule d'un pas chancelant, puis deux, quittant le balcon comme on quitte le bord d'un précipice. La porte-fenêtre se referme dans un claquement sourd qui résonne comme un coup de feu dans le silence de ma tête. Le dos collé contre la paroi froide, je ferme les yeux, mais son image est incrustée au fond de mes paupières, plus vive que la réalité.Son torse.Dieu, son torse.Large, pâle sous la lune, strié de muscles qui dessinaient un relief de force pure. La toison sombre, une flèche sauvage traçant un chemin vers la ceinture de son pantalon, vers ce qui était caché, interdit. J'avais vu la puissance de ses bras, la carrure qui promettait de m'engloutir. Et ses yeux… ses yeux qui m'avaient déshabillée, possédée, bien plus efficacement que des mains.Un gémissement m'échappe, étouffé dans le silence de la chambre. Ma main presse le creux de mon ventre, où une douleur-aiguïsie, un besoin viscéral, s'est enracinée. C'est plus fort que la honte, plus fort que la peur. C'est un ap







