ELINAJe reste là, assise, les jambes repliées sous moi, les mains encore tièdes, les paumes moites, ouvertes vers le sol comme des fleurs retournées, le souffle court, irrégulier, haletant presque, et je crois, juste un instant, l’espace d’un battement, d’un silence, d’un frisson qui me traverse la nuque jusqu’au creux des reins, que c’est fini, que le calme est revenu, que je peux à nouveau exister dans un seul corps, un seul temps.Mais ce n’est jamais terminé.Pas quand quelque chose a été brisé.Pas quand ce qui dort décide de rêver à travers toi, comme une bouche étrangère collée contre ton ventre, comme une langue qui cherche à parler avec ta gorge, pas quand une mémoire trop ancienne glisse entre tes nerfs comme une caresse humide et chaude, douce et invasive à la fois.Je sens d’abord une chaleur remonter dans ma colonne, mais ce n’est pas du feu, pas du pouvoir, c’est plus dense, plus insidieux, c’est un frisson qui glisse lentement entre mes vertèbres, comme un serpent de s
ELINALe sol tremble sous mes pieds, mais ce n’est pas la grotte qui s’effondre, c’est mon corps, ou plutôt, ce qu’il contient, ce qu’il devient, ce qu’il libère malgré moi, comme si tout ce que j’avais retenu jusqu’ici cherchait maintenant à s’arracher à mes os pour retrouver le ciel ou le gouffre, je ne sais plus.L’Ombre hurle encore, sans bouche, sans gorge, sans forme définie, et pourtant je sens son cri fendre mon crâne, un cri sans fréquence, sans son, mais qui déchire tout en moi, chaque pensée, chaque repère, chaque souvenir, elle hurle dans un langage plus ancien que le mien, plus cru, plus brut, et je comprends dans ma chair qu’elle ne veut pas me tuer, pas encore, elle veut que je cède, que je lâche, que je l’accueille, que je m’ouvre comme une plaie ou une porte.Aiden tire encore, le bras tendu, les yeux rivés sur elle, son visage tendu, ses mâchoires serrées, et pourtant ses balles ne servent à rien, elles ricochent, s’éteignent, s’effacent dans cette matière mouvante,
ELINAJe serre la gemme.Elle pulse contre ma paume comme un cœur étranger.Comme s’il y avait quelqu’un à l’intérieur.Comme si c’était moi.Mais je ne l’ouvre pas encore.Je n’ose pas.Luck ne me lâche pas des yeux.Aiden non plus.Ils sont là. L’un debout. L’autre à genoux près de moi. Et moi, coincée entre eux.Entre deux lignes de feu.Entre deux vies.Je les sens s’affronter en silence, dans l’espace que je ne comble plus.— Il ne fallait pas venir, dis-je sans le regarder.— Tu crois que je suis venu pour moi ? réplique Luck. Tu sais que non.Je suis là parce qu’il est encore temps.— Temps de quoi ?Sa voix se fait plus basse.— De t’empêcher de faire deux fois la même erreur.Aiden s’interpose.— Elle ne fera pas la même erreur. Parce qu’elle n’est plus seule. Parce qu’elle a choisi d’être ici, avec moi. Pas avec une mémoire morte.Luck se lève lentement.— Tu crois qu’on se défait si facilement de ce qu’on a été ? Même toi, tu le sais. Tu la regardes comme si elle pouvait t’
AIDENLe matin ne vient pas vraiment, ici.Juste une pâleur qui s’insinue entre les pierres.Un frémissement sur les parois, comme un souvenir de lumière.Mais ce jour-là, avant même que la cendre n’ait fini de se poser, je sais que quelque chose approche.Je sens les pierres vibrer.Je reconnais ce rythme. Cette manière de marcher sans se cacher.Comme s’il portait le monde entier entre ses omoplates.Comme s’il n’avait jamais eu à s’excuser d’exister.— Quelqu’un vient, dis-je.Elina se fige. Son souffle se suspend. Son regard se tourne vers l’entrée de la grotte, vers l’obscurité qui palpite comme un souffle.Et puis… il apparaît.Un homme.Pas un soldat, pas un vagabond. Quelque chose de plus ancien. De plus dangereux.Il a les cheveux noirs, longs, attachés à la nuque. Le visage sculpté par les années et la guerre. Des cicatrices anciennes traversent sa peau mate comme les vestiges d’un passé qu’il ne cherche pas à cacher. Il porte un manteau poussiéreux, presque royal dans sa co
ELINAJe me réveille dans un lit que je ne connais pas.Des draps rêches. Une lumière filtrée par des rideaux épais. Une odeur de bois ancien, de poussière et de cendres refroidies. Le silence est profond, presque liquide. Pendant quelques secondes, je suis suspendue dans un entre-deux. Ni ici, ni ailleurs. Puis, comme un raz-de-marée lent, les souvenirs reviennent.Le couloir , l’ombre.Le hurlement de la lumière.Aiden, au sol.Ma main levée.Et ce nom, griffé dans le fond de ma conscience : Aelina.Je tente de me redresser trop vite. Une douleur éclate dans ma poitrine, aiguë, perçante. Mon souffle se brise. Mon corps proteste violemment. J’ai l’impression d’avoir été déchirée et recousue avec du feu. Mais je m’accroche. Parce que rester allongée, c’est retomber. C’est perdre pied.La pièce est petite, taillée à même la roche, comme une grotte façonnée à la main. Une cache oubliée. Un refuge primitif, hors du monde. L’âtre crépite doucement, chaleur pâle. Le mobilier est rudimentai
ELINAJe sens le pouvoir pulser dans mes veines.Il est brûlant, indomptable, presque vivant. Comme si une force ancienne, enfouie depuis des siècles, venait de se réveiller en moi. Mes doigts tremblent sous la pression de cette lumière dorée qui palpite au creux de mes paumes, et pourtant… je ne la repousse plus. Je n’ai plus peur.Aiden est à terre. Le sang coule de sa tempe, de ses lèvres. Il veut se relever, mais je le vois vaciller. Son regard cherche le mien. Et cette fois, il ne me protège pas. Il espère. Il croit en moi.Alors je me lève.Je fais un pas. Puis un autre. Mes jambes me portent à nouveau. Chaque mouvement est un coup de tonnerre dans ma cage thoracique, mais je les force, les pousse, jusqu’à me placer entre lui et l’ombre.— Tu ne le toucheras plus, dis-je d’une voix rauque, étrangère.L’ombre rit, moqueuse.— Tu crois pouvoir me défier ? Toi ? Petite flamme sans contrôle…Mais il recule.Juste un peu. Comme un prédateur surpris par la morsure de sa proie.Je tend