Camille
Je déglutis, concentrée sur la sensation du métal contre ma paume.
— Bien. Maintenant, frappez.
Je relève brusquement la tête.
— Pardon ?
Il pointe un mannequin de cuir suspendu par des chaînes, déjà marqué de nombreuses entailles.
— Frappez.
Je fixe la cible.
Je sais ce qu’il veut. Il veut voir si je suis capable de blesser.
Si je suis prête à me transformer.
Je serre la mâchoire et avance.
D’un geste rapide, j’enfonce la lame dans le torse du mannequin.
L’impact me surprend. Le cuir est plus résistant que je ne l’imaginais, mais la lame s’y enfonce malgré tout.
Je retire l’arme et me tourne vers Lorenzo.
— Satisfaite ? me demande-t-il, son sourire narquois en place.
Je fronce les sourcils.
— Je ne vois pas l’intérêt de—
Il bouge.
Trop vite.
Je n’ai même pas le temps de réagir qu’il est sur moi, me désarme et me plaque contre la table.
— Le problème, Camille, c’est que vous réfléchissez trop.
Son souffle est chaud contre ma peau.
— Dans ce monde, réfléchir après signifie mourir.
Il relâche son emprise, mais je reste immobile, mon cœur battant violemment.
Je l’observe. Il est trop près. Son parfum boisé m’enveloppe, et je déteste l’effet qu’il a sur moi.
Je ravale ma fierté.
— Encore.
Il arque un sourcil.
— Vraiment ?
— Oui.
Un éclat d’amusement passe dans son regard.
Il prend un autre couteau et me le tend.
— Alors défendez-vous.
— Contre vous ?
— Contre moi.
Un frisson me parcourt.
Je saisis la lame.
Et cette fois… je suis prête.
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Lorenzo
Elle apprend vite.
Trop vite.
Camille n’est pas une femme ordinaire. Je l’ai su dès le premier instant où je l’ai vue défier Lambert au tribunal. Mais ici, dans mon monde, elle est en train de se transformer.
Et je ne sais pas encore si c’est une bonne ou une mauvaise chose.
Elle attaque.
Son geste est vif, précis, mais elle manque encore de vitesse. J’esquive facilement et l’attrape par le poignet.
Elle pivote pour se dégager, mais je la bloque et la désarme en une seconde.
— Pas assez rapide.
Elle se recule, essoufflée, son regard brûlant de frustration.
Elle veut gagner.
Et ça… c’est dangereux.
Je lui tends son arme, et sans hésiter, elle reprend position.
Elle ne se rend pas compte à quel point elle a changé en quelques jours seulement.
Son regard est plus sombre. Son corps plus tendu.
Elle n’est plus l’avocate arrogante qui pensait pouvoir me tenir tête.
Elle est en train de devenir… quelque chose d’autre.
Et je ne peux pas m’empêcher de me demander jusqu’où elle ira.
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Camille
L’entraînement dure des heures.
J’ai mal partout. Mes bras tremblent, mes jambes sont lourdes, mais je refuse de m’arrêter.
Chaque mouvement devient plus fluide. Chaque coup plus rapide.
Lorenzo continue de me défier, et je commence à anticiper ses gestes.
Je finis par réussir à lui échapper une fois. Juste une.
Mais cette unique victoire me fait ressentir une fierté inexplicable.
Lorsque nous arrêtons enfin, il s’approche et tend la main.
Je fronce les sourcils.
— Quoi ?
— Votre arme.
Je baisse les yeux vers le couteau dans ma main.
Puis je le serre plus fort.
— Non.
Il cligne des yeux.
Un silence tendu s’installe entre nous.
Puis, lentement, un sourire apparaît sur son visage.
— Bien.
Il recule d’un pas et me laisse garder la lame.
C’est un test.
Et je viens de le réussir.
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Lorenzo
Je n’aurais jamais dû lui donner cette arme.
Mais le feu dans son regard…
C’est ce qui m’attire.
Et ce qui finira peut-être par nous détruire.
Camille
La lame repose sur la table devant moi.
J’ai du mal à détacher mon regard d’elle.
Il y a quelques jours encore, je n’aurais jamais imaginé tenir une arme, encore moins l’utiliser. Mais maintenant, elle semble être une extension de moi.
Je ferme les yeux et inspire profondément.
Lorenzo a poussé mon corps jusqu’à ses limites aujourd’hui. Chaque muscle me fait souffrir, et pourtant…
Je veux recommencer.
J’ai soif d’apprentissage.
Soif de contrôle.
Lorsque j’ouvre les yeux, Lorenzo est là, adossé au mur, un verre de whisky à la main.
— Vous réfléchissez trop, encore une fois.
Je lève les yeux au ciel.
— Et vous, vous parlez trop.
Son sourire en coin me fait immédiatement regretter ma provocation.
En deux pas, il est devant moi, son regard brûlant ancré dans le mien.
— Vous avez franchi une ligne aujourd’hui, Camille.
Je ne détourne pas le regard.
— Quelle ligne ?
Il se penche, son souffle caressant mon oreille.
— Celle qui sépare votre monde du mien.
Un frisson me parcourt.
Parce que je sais qu’il a raison.
Je ne suis plus seulement une avocate.
Je suis en train de devenir quelque chose d’autre.
Et je ne sais pas encore si cela me terrifie… ou si cela m’excite.
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Lorenzo
Je la regarde s’accrocher à son masque de froideur.
Mais je vois les fissures.
Elle pense pouvoir garder le contrôle, mais elle est déjà trop impliquée.
Trop proche de la vérité.
Je bois une gorgée de mon whisky sans la quitter des yeux.
— Vous devriez vous reposer.
Elle arque un sourcil.
— C’est une invitation ?
Mon sourire s’élargit.
— Si c’en était une, vous seriez déjà dans mon lit.
Je m’attends à ce qu’elle réplique, mais au lieu de ça, elle détourne simplement les yeux, ses doigts caressant la lame sur la table.
Elle change.
Et je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose.
Mais en même temps…
Je ne peux pas m’empêcher de vouloir voir jusqu’où elle ira.
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CamilleJe sens encore ses mains sur moi. La morsure de ses doigts. Le feu dans mes entrailles. Mon corps entier résonne de sa présence, comme une cloche fêlée qu’il a frappée trop fort. Trop juste. Chaque parcelle de ma peau se souvient. De la violence. De l’abandon. De la chute. De la montée. De cette déflagration qui m’a réduite en cendres… pour mieux me faire renaître.Et pourtant, dans ce silence qui nous enveloppe après le chaos, c’est mon esprit qui hurle.Je ne bouge pas. Je suis blottie contre lui, nue, salie, glorifiée. Brûlante et glacée à la fois. Comme si tout ce qui me tenait debout avait été arraché et remplacé par autre chose. Quelque chose de plus brut. De plus vrai. Quelque chose de lui.Ses bras sont autour de moi. Lourds. Protecteurs. Possessifs. Et pourtant, je me sens libre. Libre comme je ne l’ai jamais été. Parce qu’il n’a pas cherché à me posséder. Il m’a laissée devenir. Il m’a regardée me déchirer, m’abandonner, m’effondrer pour me redresser plus forte, plus
LorenzoElle est là, ses yeux brûlants d'une intensité que je connais, d’une faim que je reconnais. Ses lèvres sont entrouvertes, et sa respiration saccadée résonne comme un signal, un appel à l'extase, à la destruction. J’attrape ses poignets, la forçant à s’abandonner dans le tourbillon que j’ai lancé. Tout en elle me crie que cette nuit, il n’y a pas de place pour la douceur. Pas de place pour les hésitations. Ce qui nous lie, ce n’est pas l’amour, ni le désir, mais quelque chose de plus primal, d’indomptable. Un cri, une rage, un besoin de brûler ensemble, jusqu'à n'être plus que des cendres.Je la soulève sans un mot. Elle s'accroche à moi comme si sa vie en dépendait. Ses mains se posent sur mon torse, ses doigts frémissent, s’enfoncent dans ma peau. Je la sens trembler, pas de peur, mais d'excitation. C’est elle qui m’attire, qui me pousse dans cette folie. Chaque fibre de son corps hurle, réclame, désire tout à la fois.Je la dépose sur le lit d’un geste impétueux. Ses yeux ne
LorenzoLe vent de la mer souffle froid, frais contre ma peau. Le bruit des vagues est comme une mélodie ancienne, une chanson que je n’ai jamais entendue avant, mais qui résonne en moi comme si elle m’avait toujours appartenu. Ce matin, il y a une douceur dans l’air, presque irréelle. Comme une promesse, mais une promesse qu’on sait qu’on ne pourra pas tenir.Je suis là, sur ce balcon, seul. Le regard plongé dans l’horizon. Camille n’est pas loin, mais elle m’a laissé ce moment. Ce moment où il n’y a plus de nous, juste moi et le vide du monde. Le vide qu’on essaie tous de fuir, mais qui revient toujours. Parce qu’il n’y a pas de fuite. Il n’y a que l’acceptation.J’ai l’impression de l’avoir cherchée toute ma vie, et quand je l’ai enfin trouvée, je l’ai laissée s’échapper à travers mes doigts, inaperçue, comme une illusion trop fragile. Camille a été ma quête, mon erreur et ma rédemption. Chaque partie d’elle, chaque mouvement, chaque geste que j’ai cru posséder, m’a échappé. Et pou
LorenzoL'aube se glisse silencieusement par les fenêtres, ses rayons effleurant notre peau encore brûlante des fragments de la nuit. L’air est frais, mais il porte encore l’odeur de la chair, de l’intimité. L’odeur de nous. Il y a dans cette lumière douce quelque chose de déconcertant, comme une promesse et une trahison, une invitation à se lever mais aussi à rester, à ne jamais bouger.Je suis allongé sur le dos, mon bras autour de son corps. Elle est là, contre moi, profondément endormie, son souffle encore irrégulier, mais apaisé. Je la regarde, fascinée par la paix qui l’habite, un calme que je ne lui connaissais pas, que je n’ai jamais cru possible.Elle est belle, fragile, humaine. Chaque imperfection, chaque fissure sur son corps est une victoire silencieuse. Une victoire sur tout ce que la vie lui a pris, sur ce que j’ai pris. Et je reste là, figé dans cette vision, comme si l’instant avait une fin, comme si demain était déjà une promesse qu’on ne pourrait pas tenir.Je cares
LorenzoLe silence après l’extase. Il est là. Dense. Chargé. Pas vide — jamais vide avec elle — mais habité de tout ce qui ne s’est pas dit.Je suis encore en elle. Ma joue contre sa tempe. Nos souffles lents, décalés. Elle ne parle pas. Elle ne me repousse pas non plus. Son bras reste enroulé autour de mon dos, ses doigts effleurent distraitement ma peau. Comme si elle essayait de dessiner un mot secret sur mes omoplates.Je me redresse un peu. Je glisse mes lèvres contre sa mâchoire, puis sa bouche. Elle m’embrasse doucement. Ce n’est plus un baiser de désir. C’est un baiser d’après. De ceux qui disent : je suis encore là. Je ne suis pas partie.— Tu pleures ? je demande, sans bouger.Elle secoue imperceptiblement la tête. Mais une larme, pourtant, trace une ligne humide sur sa joue.— Non… Je respire, c’est tout.Je fronce les sourcils. J’effleure sa tempe du bout du nez.— Ça faisait combien de temps que t’avais arrêté ?Elle esquisse un sourire. Triste. Vrai.— Assez pour ne plus
LorenzoElle ne dit rien. Elle ne m’enlace pas, ne me guide pas. Mais elle reste là. Sa main dans la mienne. Et c’est le seul consentement dont j’ai besoin ce soir.Je me relève lentement, comme on sort d’un rêve ou d’un deuil. Chaque mouvement semble soupesé par la peur de réveiller la douleur. Mon corps est lourd, mais quelque chose en moi redevient vivant. Un battement. Un souffle. Une certitude ténue.Son regard ne lâche pas le mien. Pas une seconde. Il est noir de souvenirs, de douleurs, de tempêtes. Mais il est là. Présent. Brûlant. Et dans cette intensité muette, je lis quelque chose d’infiniment fragile. Comme si elle me disait : essaie encore. Mais fais-le bien, cette fois.Je n’ai pas l’habitude qu’on me laisse aimer. J’ai toujours cru qu’aimer, c’était prendre. Enfermer. Posséder. Ce qu’on m’a appris, c’est l’obsession, le contrôle, la peur de perdre. Pas la tendresse. Pas la patience.Mais ce soir, j’ai peur de la casser si je la touche trop vite.Alors je tends la main. D