Camille
La nuit est longue.
Je suis allongée sur ce lit qui n’est pas le mien, dans cette maison qui n’est pas la mienne.
Les bruits de la ville me parviennent à travers la fenêtre entrouverte.
Et pourtant, ce n’est pas ça qui me tient éveillée.
C’est lui.
Lorenzo.
Sa présence.
Son ombre qui plane sur moi, même lorsqu’il n’est pas là.
Je me lève et sors dans le couloir silencieux.
Sans réfléchir, mes pas me mènent vers la pièce où il se trouve.
Lorsque j’ouvre la porte, il est là, torse nu, une cicatrice marquant son épaule. Il ne dort pas non plus.
Son regard se pose sur moi, perçant.
— Je vous manque déjà ?
Je croise les bras, refusant de montrer le trouble qui s’installe en moi.
— Je veux en savoir plus.
Il se lève lentement, son regard toujours planté dans le mien.
— Sur quoi ?
Je déglutis.
— Sur vous. Sur votre passé.
Un silence s’étire entre nous.
Puis, contre toute attente, il me fait signe d’entrer.
Et moi, au lieu de reculer… je franchis la porte.
Lorenzo
Elle est là, debout devant moi, plus proche qu’elle ne l’a jamais été.
Elle veut comprendre.
Mais comprendre signifie voir l’horreur.
Comprendre signifie ne plus jamais pouvoir faire marche arrière.
Je tends la main et prends la sienne.
— Vous voulez savoir ?
Elle ne recule pas.
— Oui.
Alors je la guide vers une porte que personne ne franchit jamais.
Derrière, se trouvent mes secrets.
Mes cauchemars.
Mon passé.
Et lorsqu’elle entrera…
Elle ne pourra plus jamais voir le monde de la même manière.
Camille
La pièce est sombre.
Seule une faible lumière éclaire les murs de béton brut, marqués par le temps et… autre chose.
Quelque chose d’invisible mais pesant.
Lorenzo referme la porte derrière nous.
Un frisson me parcourt. Pas de peur. Non.
D’anticipation.
Je sens que je suis sur le point de découvrir quelque chose qui changera tout.
Lorenzo avance et allume une lampe posée sur un vieux bureau en bois massif. La lumière vacille, révélant des classeurs empilés, des armes soigneusement alignées et… du sang.
Séché sur la lame d’un couteau.
Je déglutis, mais je ne recule pas.
Il m’observe, scrutant ma réaction.
— C’est ici que tout a commencé.
Je lève les yeux vers lui.
— Tout ?
Un sourire amer effleure ses lèvres.
— Ma première mission. Mon premier meurtre. Mon premier mensonge.
Il passe une main dans ses cheveux, et pour la première fois, je vois une faiblesse dans son armure.
Une fêlure dans l’homme indomptable qu’il semble être.
Je croise les bras.
— Pourquoi me montrer ça ?
Il s’approche lentement.
— Parce que vous devez savoir. Si vous restez, Camille, il n’y a pas de retour en arrière.
Il marque une pause, et son regard s’intensifie.
— Vous croyez que vous pouvez jouer avec ce monde et en sortir indemne ?
Je serre la mâchoire.
— Je ne joue pas.
Un silence s’installe.
Un silence chargé de tension, de défiance, de quelque chose de plus profond encore.
Puis il prend ma main et la pose sur la lame tachée de sang.
— Sentez ça. C’est la réalité. Ce n’est pas un tribunal. Ici, la justice n’existe pas. Seulement la survie.
Sa main brûle contre la mienne.
Je relève les yeux vers lui.
— Et vous, Lorenzo ? Vous survivez ou vous vous perdez ?
Son sourire s’efface.
Et soudain, il se recule.
Comme si ma question l’avait frappé en plein cœur.
Comme si j’avais vu trop de lui.
— Allez dormir, Camille.
— Non.
Il se fige.
Je fais un pas vers lui.
— Vous voulez que je comprenne ? Alors ne reculez pas.
Il ferme les yeux une fraction de seconde, puis rouvre les paupières, son regard noir et indéchiffrable.
Puis, sans prévenir, il saisit ma main et m’attire contre lui.
— Vous n’avez pas idée de ce que vous demandez.
Son souffle est chaud contre ma peau.
Ses doigts serrent ma taille.
Mon cœur s’emballe.
— Alors montrez-moi.
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Lorenzo
Elle joue avec le feu.
Elle ne le sait pas encore, mais elle est déjà trop loin.
Je la fixe, cette femme qui a défié mon monde et qui, maintenant, veut y plonger tête la première.
Je devrais la repousser.
Je devrais la garder à distance.
Mais au lieu de ça…
Je l’attire un peu plus contre moi.
Son regard ne vacille pas.
Elle est déterminée.
Je pourrais briser cette détermination en un instant.
Mais quelque chose m’en empêche.
Je la relâche brutalement et me détourne.
— Allez dormir. Demain, on continue votre formation.
Je l’entends inspirer profondément avant de répondre.
— Très bien.
Sa voix est posée, mais je sais qu’elle est frustrée.
Elle veut des réponses.
Elle veut me comprendre.
Mais je ne suis pas certain qu’elle soit prête pour la vérité.
Lorsqu’elle quitte la pièce, je laisse échapper un soupir.
J’ai fait une erreur.
Je l’ai laissée entrer trop près.
Et maintenant…
Elle ne repartira plus jamais indemne.
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Camille
Je ne trouve pas le sommeil.
Les images de cette pièce, de Lorenzo, de cette tension palpable entre nous, tournent en boucle dans mon esprit.
Je me redresse et sors sur le balcon de ma chambre.
La ville s’étend devant moi, vivante, vibrante.
Et quelque part, en bas, des ombres se meuvent.
J’observe.
J’analyse.
Puis, une silhouette attire mon regard.
Un homme, en bas de l’immeuble, qui fixe la fenêtre de Lorenzo.
Mon estomac se serre.
Je recule légèrement, dissimulée par l’obscurité.
Et là…
L’homme sort une arme.
Mon cœur rate un battement.
Je n’ai pas le temps de réfléchir.
Je tourne les talons et fonce vers la chambre de Lorenzo.
Sans frapper, j’ouvre la porte d’un coup.
Il est là, assis sur le bord du lit, torse nu, un pistolet déjà en main.
Son regard trouve immédiatement le mien.
— Qu’est-ce que—
— Il y a un homme en bas. Armé. Il te surveille.
Son expression change instantanément.
Il se lève, rapide comme l’éclair, et s’approche de la fenêtre.
Un silence.
Puis il murmure :
— Putain.
Il se tourne vers moi.
— Reste ici.
— Hors de question.
Nos regards s’affrontent.
Mais cette fois, je vois autre chose dans ses yeux.
De la peur.
Pas pour lui.
Pour moi.
Et ça…
Ça change tout.
CamilleJe sens encore ses mains sur moi. La morsure de ses doigts. Le feu dans mes entrailles. Mon corps entier résonne de sa présence, comme une cloche fêlée qu’il a frappée trop fort. Trop juste. Chaque parcelle de ma peau se souvient. De la violence. De l’abandon. De la chute. De la montée. De cette déflagration qui m’a réduite en cendres… pour mieux me faire renaître.Et pourtant, dans ce silence qui nous enveloppe après le chaos, c’est mon esprit qui hurle.Je ne bouge pas. Je suis blottie contre lui, nue, salie, glorifiée. Brûlante et glacée à la fois. Comme si tout ce qui me tenait debout avait été arraché et remplacé par autre chose. Quelque chose de plus brut. De plus vrai. Quelque chose de lui.Ses bras sont autour de moi. Lourds. Protecteurs. Possessifs. Et pourtant, je me sens libre. Libre comme je ne l’ai jamais été. Parce qu’il n’a pas cherché à me posséder. Il m’a laissée devenir. Il m’a regardée me déchirer, m’abandonner, m’effondrer pour me redresser plus forte, plus
LorenzoElle est là, ses yeux brûlants d'une intensité que je connais, d’une faim que je reconnais. Ses lèvres sont entrouvertes, et sa respiration saccadée résonne comme un signal, un appel à l'extase, à la destruction. J’attrape ses poignets, la forçant à s’abandonner dans le tourbillon que j’ai lancé. Tout en elle me crie que cette nuit, il n’y a pas de place pour la douceur. Pas de place pour les hésitations. Ce qui nous lie, ce n’est pas l’amour, ni le désir, mais quelque chose de plus primal, d’indomptable. Un cri, une rage, un besoin de brûler ensemble, jusqu'à n'être plus que des cendres.Je la soulève sans un mot. Elle s'accroche à moi comme si sa vie en dépendait. Ses mains se posent sur mon torse, ses doigts frémissent, s’enfoncent dans ma peau. Je la sens trembler, pas de peur, mais d'excitation. C’est elle qui m’attire, qui me pousse dans cette folie. Chaque fibre de son corps hurle, réclame, désire tout à la fois.Je la dépose sur le lit d’un geste impétueux. Ses yeux ne
LorenzoLe vent de la mer souffle froid, frais contre ma peau. Le bruit des vagues est comme une mélodie ancienne, une chanson que je n’ai jamais entendue avant, mais qui résonne en moi comme si elle m’avait toujours appartenu. Ce matin, il y a une douceur dans l’air, presque irréelle. Comme une promesse, mais une promesse qu’on sait qu’on ne pourra pas tenir.Je suis là, sur ce balcon, seul. Le regard plongé dans l’horizon. Camille n’est pas loin, mais elle m’a laissé ce moment. Ce moment où il n’y a plus de nous, juste moi et le vide du monde. Le vide qu’on essaie tous de fuir, mais qui revient toujours. Parce qu’il n’y a pas de fuite. Il n’y a que l’acceptation.J’ai l’impression de l’avoir cherchée toute ma vie, et quand je l’ai enfin trouvée, je l’ai laissée s’échapper à travers mes doigts, inaperçue, comme une illusion trop fragile. Camille a été ma quête, mon erreur et ma rédemption. Chaque partie d’elle, chaque mouvement, chaque geste que j’ai cru posséder, m’a échappé. Et pou
LorenzoL'aube se glisse silencieusement par les fenêtres, ses rayons effleurant notre peau encore brûlante des fragments de la nuit. L’air est frais, mais il porte encore l’odeur de la chair, de l’intimité. L’odeur de nous. Il y a dans cette lumière douce quelque chose de déconcertant, comme une promesse et une trahison, une invitation à se lever mais aussi à rester, à ne jamais bouger.Je suis allongé sur le dos, mon bras autour de son corps. Elle est là, contre moi, profondément endormie, son souffle encore irrégulier, mais apaisé. Je la regarde, fascinée par la paix qui l’habite, un calme que je ne lui connaissais pas, que je n’ai jamais cru possible.Elle est belle, fragile, humaine. Chaque imperfection, chaque fissure sur son corps est une victoire silencieuse. Une victoire sur tout ce que la vie lui a pris, sur ce que j’ai pris. Et je reste là, figé dans cette vision, comme si l’instant avait une fin, comme si demain était déjà une promesse qu’on ne pourrait pas tenir.Je cares
LorenzoLe silence après l’extase. Il est là. Dense. Chargé. Pas vide — jamais vide avec elle — mais habité de tout ce qui ne s’est pas dit.Je suis encore en elle. Ma joue contre sa tempe. Nos souffles lents, décalés. Elle ne parle pas. Elle ne me repousse pas non plus. Son bras reste enroulé autour de mon dos, ses doigts effleurent distraitement ma peau. Comme si elle essayait de dessiner un mot secret sur mes omoplates.Je me redresse un peu. Je glisse mes lèvres contre sa mâchoire, puis sa bouche. Elle m’embrasse doucement. Ce n’est plus un baiser de désir. C’est un baiser d’après. De ceux qui disent : je suis encore là. Je ne suis pas partie.— Tu pleures ? je demande, sans bouger.Elle secoue imperceptiblement la tête. Mais une larme, pourtant, trace une ligne humide sur sa joue.— Non… Je respire, c’est tout.Je fronce les sourcils. J’effleure sa tempe du bout du nez.— Ça faisait combien de temps que t’avais arrêté ?Elle esquisse un sourire. Triste. Vrai.— Assez pour ne plus
LorenzoElle ne dit rien. Elle ne m’enlace pas, ne me guide pas. Mais elle reste là. Sa main dans la mienne. Et c’est le seul consentement dont j’ai besoin ce soir.Je me relève lentement, comme on sort d’un rêve ou d’un deuil. Chaque mouvement semble soupesé par la peur de réveiller la douleur. Mon corps est lourd, mais quelque chose en moi redevient vivant. Un battement. Un souffle. Une certitude ténue.Son regard ne lâche pas le mien. Pas une seconde. Il est noir de souvenirs, de douleurs, de tempêtes. Mais il est là. Présent. Brûlant. Et dans cette intensité muette, je lis quelque chose d’infiniment fragile. Comme si elle me disait : essaie encore. Mais fais-le bien, cette fois.Je n’ai pas l’habitude qu’on me laisse aimer. J’ai toujours cru qu’aimer, c’était prendre. Enfermer. Posséder. Ce qu’on m’a appris, c’est l’obsession, le contrôle, la peur de perdre. Pas la tendresse. Pas la patience.Mais ce soir, j’ai peur de la casser si je la touche trop vite.Alors je tends la main. D