La pluie avait cessé dans la nuit. Au matin, un silence étrange enveloppait Paris, comme si la ville elle-même retenait son souffle. Dans l’appartement modeste qu’elles partageaient à nouveau, Lina ouvrit les volets avec lenteur. Le ciel était pâle, et la lumière matinale glissait à travers la pièce comme une caresse hésitante. Aïssatou dormait encore. Lina l’observa quelques instants. Son visage apaisé contrastait avec les tumultes qu’elle sentait monter en elle depuis des jours. Cette paix-là, fragile, tenait sur un fil. Elle le savait. Chaque regard, chaque mot échangé depuis le retour d’Aïssatou, semblait glisser sur une corde tendue, prête à rompre au moindre faux pas. Et pourtant, elle n’avait pas le droit de reculer. Pas cette fois. — Le bruit des tasses dans la cuisine réveilla doucement Aïssatou. Elle ouvrit les yeux, désorientée une seconde, puis se souvint de tout. Le retour. L’atelier. Les silences de Lina. L’album photo. Et cette lettre. Elle se leva, noua ses chev
Le ciel parisien était bas, chargé d’un gris pâle, presque blanc. Une pluie fine tombait depuis l’aube, s’infiltrant partout, comme un murmure insistant du passé. Lina, debout devant la fenêtre, observait les gouttes tracer des chemins incertains sur la vitre. Dans le silence de l’appartement, chaque tic-tac de l’horloge semblait amplifié, comme pour lui rappeler que le temps avançait… même quand tout semblait suspendu. Elle se retourna lentement. Aïssatou n’était pas encore sortie de sa chambre. Depuis leur dernière discussion, les mots s’étaient faits rares entre elles. Des regards. Des gestes. Mais plus aucune véritable phrase. Lina respectait ce besoin d’espace. Même si, à l’intérieur d’elle, une angoisse rampante prenait racine. --- Aïssatou, de son côté, était allongée sur son lit, les yeux rivés au plafond. Elle pensait à tout ce qu’elle avait appris. À ce que cela voulait dire. À Malik. À Demba Diouf. Et à ce tissu retrouvé dans le tiroir de Lina. Le même que celui qui orna
Lina tourna doucement la poignée de la porte, hésitant à entrer. Elle resta un instant figée devant la chambre, l’oreille tendue, à écouter le silence tendu qui régnait de l’autre côté. Aïssatou n’avait pas reparlé depuis leur retour. Elle s’était enfermée sans un mot, sans même manger. Lina savait qu’elle avait ouvert une brèche. Une brèche où la vérité voulait s’infiltrer à tout prix. Mais elle ne savait pas encore comment la contenir, ni comment l’adoucir. Elle poussa la porte, lentement. Aïssatou était assise sur le lit, jambes croisées, fixant le mur. Elle ne leva même pas les yeux. — Tu veux qu’on parle ? demanda Lina doucement. — Non, répondit Aïssatou. Enfin… si. Mais je veux pas que tu me mentes. Lina s’assit au bord du lit, à bonne distance. — Je ne te mentirai pas. Pas aujourd’hui. Un silence s’installa, lourd et chargé. — C’est vrai ? Malik est mon frère ? — Oui. — Pourquoi tu me l’as jamais dit ? Lina prit une grande inspiration. — Parce que moi-même je ne l’a
Lina sentit une boule dans sa gorge en regardant Aïssatou nouer ses lacets avec insouciance. Elle avait prévu de l’emmener dans un endroit qu’elle ne connaissait pas encore, un lieu où la vérité rôdait à chaque recoin : l’atelier Naaya. Jusqu’à présent, elle avait réussi à lui cacher l’essentiel. Mais elle savait que tôt ou tard, le monde qu’elle avait construit finirait par s’imposer à sa petite sœur. Et ce moment était arrivé. — Prête ? demanda-t-elle, feignant un sourire léger. — Ouais ! On va où, au fait ? T’as pas voulu me dire. — Tu verras, répondit Lina en attrapant son sac. Aïssatou haussa les épaules avec un air mi-amusé, mi-curieux. Dans l’ascenseur, elle ne cessa de parler, posant des questions, plaisantant. Mais Lina, elle, restait silencieuse, le regard ailleurs. Une tension invisible se formait autour d’elles, une tension que seule Lina ressentait. Le trajet jusqu’à l’atelier fut court. Lina avait tout prévu pour que personne ne soit là à leur arrivée, pour qu’Aïssa
La semaine était passée à toute vitesse. Aïssatou, rayonnante, avait repris ses marques dans leur ancien appartement. Les murs familiers, les meubles usés, les odeurs du quartier — tout lui semblait identique, rassurant, comme si rien n’avait changé. Mais la réalité, elle, avait pris de l’avance sur son innocence. Et les premières fissures commençaient à apparaître. — Ce matin-là, Lina la regardait dormir un instant, le visage paisible, les bras écartés. Elle avait grandi. Son corps s’était allongé, son rire avait changé de tonalité. Mais elle restait cette enfant qui croyait encore que le monde tournait rond. Lina, elle, se sentait au bord du vertige. Dans quelques jours, Aïssatou finirait par comprendre. Et Lina n’était pas prête. Pas encore. — — T’as encore reçu du courrier, dit Aïssatou en entrant dans la cuisine avec une enveloppe beige à la main. Lina sursauta. Elle attrapa rapidement l’enveloppe. — C’est rien, juste du boulot. — Pourquoi y’a écrit "Naaya" dessus ? L
Le moteur du car scolaire gronda une dernière fois avant de s’immobiliser sur le trottoir. Lina, les mains moites, attendait en bas des marches, les yeux rivés sur les visages qui défilaient derrière les vitres.Et puis elle la vit.Petite silhouette vive, sac de voyage bringuebalant sur une épaule, grand sourire aux lèvres. Aïssatou.— Linaaa !Elle courut vers elle et se jeta dans ses bras, comme si tout l’univers venait de se recentrer.— T’as pas changé ! T’es pareille !— Et toi t’as grandi, s’émerveilla Lina en la serrant plus fort.Elles restèrent enlacées quelques instants, jusqu’à ce que les voix des autres enfants les ramènent à la réalité.— Allez viens, j’ai préparé une petite surprise, dit Lina en récupérant le sac.— Une surprise ? Tu m’as manquée, grande sœur. Tu sais, j’ai pensé à toi tous les jours. Même quand on faisait du canoë !Lina esquissa un sourire. Ce genre de phrase, lancé avec innocence, lui piquait les yeux plus qu’elle ne l’aurait cru.—Au lieu de les ra