LUNA NEUF ANS PLUS TARD.Le soleil incendiait l'horizon, teintant le ciel de pourpre et d'or, comme si les dieux eux-mêmes avaient allumé un bûcher en l'honneur des disparus. Les ombres s'allongeaient, épousant les courbes du tertre où reposait Ace, désormais enfermé dans le silence éternel. La pierre tombale, rugueuse sous les doigts de ceux qui osaient la toucher, portait son nom gravé en lettres profondes, comme des cicatrices dans la roche. À côté, une seconde stèle, plus petite mais tout aussi solennelle, veillait sur le dernier sommeil de sa compagne. Deux âmes unies dans la vie, désormais couchées côte à côte pour l'éternité.Luna sentit la chaleur du soir s'attarder sur sa peau, mais rien ne pouvait dissiper le froid qui lui serrait le cœur. Sa main, tremblante, se referma autour de celle d'Askel, cherchant dans cette étreinte un fragile réconfort. Les doigts de son fils étaient tièdes, vivants, et pourtant, elle y percevait déjà la même force calme qui avait caractérisé ceux
LUNAQUELQUES JOURS PLUS TARD.Qu'est-ce que l'amour ?Qu'est-ce que véritablement aimer ?Devant son miroir aux reflets tremblants, éclairé par la lueur dansante des chandelles, Luna se perdit une fois encore dans cette question éternelle. Depuis l'aube de ses souvenirs, elle s'était interrogée, cherchant en vain une réponse dans les livres poussiéreux, dans les murmures des anciens, dans les battements capricieux de son propre cœur. Mais jamais la vérité ne s'était offerte à elle—jusqu'à ce soir.Une larme, lourde comme une goutte de rosée sur une rose fanée, glissa le long de sa joue d'albâtre, traçant un chemin argenté sur sa peau aussi pâle que la lune qu'elle contemplait à travers la fenêtre. Ses doigts effilés, légèrement tremblants, effleurèrent cette trace humide comme pour en vérifier l'existence.L'amour est un traître, comprit-elle enfin.Il s'insinue dans l'âme comme un voleur dans la nuit, s'empare des sens sans permission, et lie le cœur à un autre, qu'on le veuille ou
SIGVARD Le lourd portail de chêne clouté grinça sinistrement en s'ouvrant devant eux, dévoilant la cour intérieure du château transformée en camp retranché. Sigvard franchit le seuil, la nuque raide sous la menace d'une dizaine de lames frémissantes pointées vers lui. Sous la lumière pâle du soleil hivernal, une centaine de guerriers vêtus de tuniques blanches frappées de larmes écarlates se tenaient en rangs serrés - la redoutable Confrérie des Lames Blanches.Ses propres hommes, enchaînés comme du bétail, gisaient contre les murailles, leurs armures maculées de sang et de boue gelée. Parmi eux, des femmes et des enfants tremblants étouffaient leurs sanglots, terrassés par la peur. L'odeur âcre de la sueur, du fer rouillé et de la neige fondue emplissait l'air glacé.Soren - en réalité Luna - fit avancer son cheval d'un pas mesuré, l'épée toujours posée contre la gorge de Sigvard. Sa voix, habilement modifiée pour imiter celle du guerrier, claqua comme un coup de fouet :- Voici vot
SIGVARD Attrapant une dernière fois la main fine de Luna – qui n'était autre que Soren métamorphosée – Sigvard colla leur front un bref instant avant de s'écarter brusquement, comme brûlé. À ses yeux, ce n'était point sa bien-aimée qui se tenait là, mais bien le facétieux Soren, dissimulé sous son apparence. L'homme – ou plutôt, elle désormais – juché sur la monture noire de Sigvard, étouffa un dernier spasme de rire, ses épaules frémissant sous les plis de la cape de voyage. D'une voix faussement mélodieuse, il lança, enflant les syllabes avec une grâce trop étudiée : - Par les cornes d'Ymir, cessez donc cette mine funèbre, mon seigneur ! Certes, je porte les traits de votre dame, mais mon esprit demeure aussi railleur qu'un corbeau en ribote. Il pencha la tête, imitant à s'y méprendre l'attitude pudique de Luna, avant d'ajouter, malicieusement : Toutefois, si votre cœur s'égare... je ne vous en tiendrai point grief. Un grondement sourd s'échappa de la gorge de Sigvard. Autour
SIGVARD - De toute évidence, nous sommes tombés dans un guet-apens...La voix calme et mesurée de Soren rompit le silence oppressant de la cabane. La Confrérie des Lames Blanches n'est plus en ces terres. Nous avons entrepris ce voyage en vain, et perdu de bons hommes pour une ombre de légende.Une autre voix, plus frêle, s'éleva dans la pénombre :- Celui qui vous a menés ici ne vous a point menti... du moins, pas entièrement. Une vieille femme, le dos courbé par les années, émergea de l'ombre du foyer. En des temps oubliés, avant même que mes cheveux ne blanchissent, leur ordre siégeait en ces montagnes. Mais cela fait plus de vingt hivers qu'ils ont quitté ces pierres.Un frisson parcourut l'assemblée.Sigvard, les traits durcis par une colère froide, resserra son emprise sur le corps de sa bien-aimée :- Un piège longuement ourdi... murmura-t-il. Ils savaient. Ils nous ont attirés loin du château pour frapper en notre absence. À cette heure, je ne serais point surpris d'apprendre
SIGVARD À genoux sur le sol de pierre, Sigvard se penchait sur le corps frêle de sa bien-aimée, ses larges mains tremblantes encerclant son visage comme pour le protéger des griffes de la mort. La lueur vacillante du feu projetait des ombres mouvantes sur les traits tirés de Luna, son teint jadis si vif maintenant pâle comme la lune qu'elle portait en nom. Ses yeux bleus, autrefois pleins de vie, étaient clos, ses cils sombres posés sur ses joues comme des ailes d'oiseau blessé. D'un geste aussi doux que le frôlement d'une plume, il essuya la sueur perlant sur son front, effaçant d'un pouce calleux les stries de souffrance qui creusaient son visage. - Luna... murmura-t-il, d'une voix si rauque qu'elle semblait déchirée de l'intérieur. Il pressa sa paume contre la sienne, entrelaçant leurs doigts avec une ferveur désespérée. Le lien des âmes sœurs s'éveilla entre eux, brûlant comme un fer rouge dans ses veines. Il sentit aussitôt la douleur de sa blessure lui transpercer le flan