LOGINIrisLe jardin de la maison de pierre est en fleurs. Nous l’avons achetée, Liam et moi. L’associé n’en voulait plus. Elle est à nous, maintenant. Les pierres ont absorbé nos silences, nos rires, nos corps qui ont appris à se connaître au-delà du désir et de la crise.Je suis assise sur les marches de la terrasse, un café à la main. Le soleil se lève, teintant le ciel de rose et d’orange. C’est mon moment, avant que le monde ne se réveille.Liam apparaît dans l’encadrement de la porte, en jean et t-shirt, deux fois plus humain qu’il ne l’a jamais été au bureau. Il me tend un courrier.— C’est pour toi.L’enveloppe est épaisse, cartonnée. Mon nom est calligraphié. Je la reconnais. L’invitation. Le vernissage de Marc.Il a quitté l’entreprise il y a six mois. Il a monté sa propre galerie d’art, un rêve d’adolescent qu’il avait enterré sous l’ambition. L’architecte est avec lui. Ils forment un beau couple, m’a-t-on dit. Serein.Je fais glisser mon doigt sous le rabat. L’invitation est sob
IrisUn an.Un an depuis la promotion et le divorce. Un an depuis que nous avons commencé à écrire nos propres règles.L’appartement a changé. Ma plante trône sur le balcon. Mes livres s’entassent sur une étagère. Une photo de nous, prise en vacances en Italie, est posée sur la table du salon. Nous n’avons pas conquis l’endroit, mais nous y avons fait une trêve. Il sent un peu moins le neuf, un peu plus la vie.Ce soir, nous sommes seuls. Pas de dîner d’affaires, pas de mondanités. Juste nous. Liam a cuisiné, un plat simple, les manches retroussées, une tache de sauce sur son t-shirt. Le patron a disparu. L’homme est là.Nous mangeons à la table de la cuisine, la lumière est douce. Nous parlons de tout, de rien. De la pluie qui menace, d’un film que nous voulons voir. Le silence, quand il arrive, n’est plus lourd. Il est paisible.— J’ai vendu la maison, dis-je soudain.Les mots sortent calmement. C’était la dernière étape. La dernière part de ma vie avec Marc.Liam pose sa fourchette
IrisLes semaines qui suivent sont un apprentissage. Apprendre à vivre dans l’appartement de Liam, un espace qui refuse de prendre l’odeur, la trace de qui que ce soit. Apprendre à marcher dans les couloirs du bureau en supportant le poids des regards. Apprendre à être la compagne publique du patron, un rôle pour lequel je n’ai pas de texte.Marc est un fantôme efficace. Il occupe son nouveau bureau, deux étages au-dessus du mien. Nous ne nous croisons jamais. C’est un arrangement tacite, une trêve froide. Les papiers du divorce ont été signés. L’enveloppe beige est arrivée, contenant l’acte de décès de notre mariage. Je l’ai rangée dans un tiroir, sans la rouvrir.Liam et moi, nous sommes un spectacle. Nos déjeuners au restaurant, nos arrivées main dans la main, nos regards échangés lors des réunions. Les gens chuchotent, puis se taisent quand nous approchons. Je suis devenue « Madame Gauthier » dans le dos des gens, avant même que ce ne soit officiel. Le titre colle à ma peau comme
IrisLe reste de la journée est un brouillard. Je réponds à des e-mails, je saisis des chiffres, j’assiste à une réunion. Mon corps est là, professionnel, efficace. Mon esprit est ailleurs, flottant au-dessus de la scène du balcon, répétant en boucle les mots de Marc. « J’espère qu’il en vaut la peine. »La réponse, viscérale, immédiate, me terrifie : Je ne sais pas.À 18 heures précises, je me lève. Les bureaux se vident déjà, les regards évitent le mien maintenant. La nouvelle a dû se propager, amplifiée, déformée. La femme adultère. La maîtresse du patron. Je suis devenue un personnage de roman de gare.Liam m’attend près de l’ascenseur réservé à la direction. Il n’a pas l’air de quelqu’un qui vient de remporter une victoire. Il a l’air fatigué.— Tu viens ? demande-t-il simplement.Je hoche la tête. Nous descendons en silence. La voiture nous attend. Nous nous engouffrons à l’arrière. L’habitacle est un cocon, mais il n’arrive pas à étouffer le vacarme dans ma tête.— Il m’a parlé
IrisLa voiture glisse sur le périphérique, ramenant vers Paris sa cargaison d’angoisse. Je regarde défiler les paysages familiers qui me semblent appartenir à une autre vie. Les bâtiments, les panneaux, les autres automobilistes pressés… tout a l’air si normal. Mon cœur, lui, bat à tout rompre.Je suis habillée pour la guerre. Une tenue sobre, un tailleur-pantalon gris perle, une blouse blanche. Une armure. Mes mains sont sagement posées sur mon sac à main, mais mes doigts serrent le cuir jusqu’à blanchir les jointures.À mes côtés, Liam conduit, son profil de marbre. Il a revêtu son costume de patron, littéralement et figurativement. Costume trois-pièces sombre, cravate de soie, regard impénétrable. L’homme du refuge a disparu. Le requin est de retour.— Tu es prête ? demande-t-il sans me regarder.Sa voix est neutre, professionnelle. C’est la voix qu’il utilise en réunion.— Non.— Personne ne l’est jamais.Le hall de l’immeuble est un sanctuaire de verre et d’acier. L’air y est co
IrisLa nuit est tombée, plus noire que les précédentes. Le message a été envoyé. La connexion, aussi ténue soit-elle, est rétablie. Le silence de la maison n’est plus le même. Il est habité par l’écho de ce mot, « Merci », qui résonne comme un glas dans ma tête.Je ne peux pas dormir. Le plafond est un écran où défilent les visages. Celui de Marc, décomposé par la douleur. Celui de Liam, fermé, contrôlé, mais avec cette lueur nouvelle d’une inquiétude qui n’est plus seulement stratégique.Je me lève, enveloppée dans un plaid, et je descends sans bruit.Liam n’est pas dans le fauteuil. Je l’aperçois dehors, debout sur la terrasse, une silhouette sombre découpée dans la nuit. Il regarde le parc, les bras croisés. Il semble faire partie du paysage, un gardien de pierre.Je pousse la lourde porte-fenêtre. L’air glacé me mord la peau. Il se retourne, sans surprise, comme s’il m’attendait.— Tu ne dors pas, constate-t-il.— Non. Toi non plus.— Je pensais.— À quoi ?Il hésite, son souffle







