Le bureau du commandant était plongé dans une semi-obscurité, seul un rai de lumière perçait à travers les stores. Morgan Williams, capitaine de brigade, se tenait droite, à l’écoute, son regard fixé sur l’homme assis derrière le bureau. Le commandant la fixait avec intensité.
— Capitaine Morgan, vous devez sans doute vous demander pourquoi vous avez été convoquée ici. Elle ne répondit pas tout de suite, attentive à ce qui allait suivre. — C’est pour vous confier une mission, poursuivit-il. Une mission que vous seule êtes en mesure de mener à bien. Elle correspond parfaitement à votre profil… mais soyez prévenue : elle est dangereuse, très dangereuse. Discrétion, stratégie et adaptation seront vos meilleures armes. Morgan fronça légèrement les sourcils, mais garda son calme. — Sans vouloir vous offenser, mon commandant, je… — Êtes-vous en train de discuter les ordres ? coupa-t-il sèchement. Elle se redressa, au garde-à-vous. — Non, mon commandant. — N’oubliez pas que vous avez prêté serment : protéger et défendre votre pays, quels qu’en soient les risques. — En quoi consiste cette mission ? Le commandant esquissa un sourire satisfait. — Voilà l’état d’esprit que j’attendais. Vous devrez infiltrer l’un des plus puissants cartels internationaux. Trafic de drogue, d’organes, d’armes… tout y passe. Vous allez devenir l’une des leurs afin de démanteler leur réseau de l’intérieur. Morgan afficha un sourire confiant. — Ça ne devrait pas être trop compliqué. Le commandant secoua la tête, amusé par son assurance. — Ne soyez pas trop sûre de vous. Regardez bien cette photo, dit-il en la lui tendant. Voici Yasinkov, surnommé le Caméléon. L’un des bras droits de Volodimir. Le nom fit réagir la jeune femme. — Volodimir ? — Ce nom vous est familier ? — Oui. Il est à la tête d’une branche de la mafia russe. — Exact. Et l’un des criminels les plus dangereux que nous ayons jamais traqués. Si vous êtes découverte, vous serez immédiatement désavouée. — Je comprends, mon commandant. Je ferai tout ce qu’il faut pour réussir. — C’est ce que je veux entendre. Vous devrez nous transmettre toutes les informations possibles : noms, lieux, activités, réseaux. Dès maintenant, vous nous remettez votre arme et votre insigne. Officiellement, vous n’existez plus. Morgan hocha la tête. Elle savait ce que cela impliquait. — Nous allons effacer toute trace de votre existence, y compris à l’état civil. Vous renaîtrez sous une nouvelle identité. Nouveau nom, nouvelle apparence, nouveau passé. Le commandant sortit un dossier et le lui tendit. — Vous vous appelez désormais Ekaterina. Vous vivez seule. Vos parents ont été tués dans un attentat commandité par Sergeï, rival de Volodimir. Vous êtes assoiffée de vengeance. Pour cela, vous vous êtes plongée dans le trafic illégal de stupéfiants. Votre objectif : approcher Yasinkov, gagner sa confiance et lui proposer vos services. En échange, il vous promettra la tête de Sergeï sur un plateau d’or. Il marqua une pause. — La mission se déroulera à Moscou. Vous devrez vous installer là-bas jusqu’à ce qu’elle soit accomplie. — Très bien, répondit-elle simplement. — Posez vos questions si vous en avez. Et n’ayez aucun scrupule à refuser si vous ne vous en sentez pas capable. Je peux envoyer quelqu’un d’autre. Morgan éclata de rire. — Ne vous inquiétez pas pour moi, Commandant. Dites-moi simplement quand je pars. — Demain. Voici vos nouveaux papiers. Bonne chance, Mademoiselle Ekaterina. — Je vous tiendrai informé de chaque avancée. — Capitaine Morgan. — Oui, mon commandant ! — N’oubliez pas de passer par l’équipe maquillage et esthétique. — J’y vais immédiatement. Quelques heures plus tard, Ekaterina — ou plutôt Morgan, encore elle sous ce nom — se tenait devant un miroir. Elle avait du mal à se reconnaître. Ses cheveux roux coupés au carré avaient laissé place à une longue prothèse capillaire brune descendant jusqu’au bas du dos. Ses yeux, désormais d’un noir profond grâce aux lentilles, lui donnaient un air totalement différent. — C’est bien moi ? murmura-t-elle. Ils avaient fait un travail remarquable. Même sa façon de parler avait été modifiée, tout comme sa posture, ses gestes, son maquillage. Une transformation totale. Elle soupira. Elle allait devoir s’habiller vulgairement, jouer un rôle à mille lieues de sa nature. Mais elle était prête à relever le défi. Ce qui la préoccupait le plus, c’était l’absence. Elle allait devoir laisser Santiago, son fils de trois ans. Il était tout pour elle, son unique raison de se battre. Le laisser lui brisait le cœur. Heureusement, Thomas, son petit ami, serait là. Marin rencontré lors d’une croisière, il avait rapidement pris une place dans sa vie. Pas l’amour de sa vie, mais un homme bien. Il aimait Santiago comme son propre fils. Le père du petit les avait abandonnés dès qu’il avait appris la grossesse. Un lâche. Depuis ce jour, elle s’était juré de ne plus dépendre de personne. Elle se redressa. Ses yeux bleus brillaient d’une détermination froide. Morgan Williams, 27 ans, capitaine de brigade, mesurant près d’1m80, allait bientôt devenir Ekaterina. Et cette mission, elle comptait bien la réussir, quoi qu’il en coûte. Après un long briefing avec le commandant et une transformation complète assurée par l’équipe d’esthéticiennes et maquilleuses de la mission, elle rentra chez elle. Entre joie et peine, son cœur balançait. Heureuse, car une mission d’une telle envergure lui était enfin confiée ; mais triste à l’idée de devoir laisser derrière elle ce qu’elle avait de plus précieux : son fils. Elle savait que son absence durerait longtemps— peut-être des mois, voire des années. L’idée qu’il puisse l’oublier durant ce laps de temps lui serrait la gorge. Santiago n’était encore qu’un enfant. Elle, qui avait tant souffert d’un vide parental dans sa propre enfance, avait toujours veillé à être présente pour lui. Mais cette mission… elle ne pouvait pas la refuser. C’était une opportunité en or pour monter en grade, prouver que les femmes pouvaient, elles aussi, défendre la patrie. Elle voulait que son fils dise un jour : “C’est maman qui a fait ça.” Thomas, son compagnon, comprendrait. Lui aussi était un militaire. Lui aussi avait été absent, longtemps. Certes, il n’avait pas d’enfant, mais il restait un homme posé, calme, compréhensif. Lorsqu’elle franchit le seuil de l’appartement, le silence qui l'accueillit fut de courte durée. Santiago, assis sur le tapis du salon, leva les yeux. Son feutre tomba de ses doigts. — Maman ?! s’écria-t-il, les yeux écarquillés. Il resta figé une seconde, bouche bée, avant de se lever d’un bond et de courir vers elle. — Maman, c’est toi ? Tu as changé ! Elle s’accroupit pour l’embrasser et le serra contre elle, le cœur serré par l’émotion. — Oui, mon ange, c’est bien moi. — Mais... t’as les cheveux rouges ! Et t’as l’air... différente... trop belle ! s’exclama-t-il, les yeux brillants. Elle éclata de rire. — C’est gentil, mon chéri. Tu trouves que ça me va ? Il hocha la tête avec enthousiasme. — T’es comme une super-héroïne ! Comme dans les films ! À ce moment-là, Thomas apparut dans l’encadrement de la porte, stoppé net par la vision qui s’offrait à lui. Il la détailla lentement des pieds à la tête, un sourcil levé. — Wow... Je... c’est toi ? dit-il en s’approchant. Elle se releva doucement, un sourire en coin. — Tu n’aimes pas ? — Attends, laisse-moi m’habituer... Tu es... méconnaissable. Mais c’est... spectaculaire. Tu es magnifique, souffla-t-il en posant une main sur sa taille. — Tu crois ? demanda-t-elle en arquant un sourcil. — Je suis sérieux. On dirait une autre femme. Une star de cinéma. T’es... bluffante. Santiago leva les bras. — Je l’ai dit avant toi ! C’est une super-héroïne ! Thomas lui ébouriffa les cheveux.Dans sa course effrénée, Sky heurta de plein fouet madame Magdalena. Celle-ci, fidèle à sa réputation, la foudroya du regard avec une sévérité glaciale.— Espèce de sale petite morveuse, tu pourrais au moins regarder où tu mets les pieds! cracha-t-elle.— Pardon, grand-mère, répondit Sky, confuse.— Qui tu appelles grand-mère? Moi? Tu crois vraiment que moi, je pourrais être ta grand-mère? Écoute-moi bien, petite: je ne suis pas ta grand-mère et je ne le serai jamais. Pigé?— Pigé…— Si je te revois encore traîner autour de moi, je n’hésiterai pas à te faire fesser, menaça-t-elle.Sky fronça les sourcils.— Mais j’ai dit pardon. Je ne l’ai pas fait exprès. Pourquoi êtes-vous toujours si aigrie? Ce n’est pas bon pour votre santé, vous savez. À force de vous énerver comme ça, vous allez finir par vieillir plus vite que prévu.Madgalena haussa les sourcils, choquée par tant d’aplomb.— Voilà qu’une petite bâtarde me fait la morale. Je sais très bien comment prendre soin de moi, je n’ai p
Après son échange complice avec Sky, Yasinkov se retira pour répondre au coup de fil qu’il avait dû interrompre.— _J’écoute_, dit-il d’un ton ferme.— _Monsieur_, fit Serena à l’autre bout du fil, _la police est passée nous voir._— _La police?_ s’étonna-t-il, ses traits se durcissant.— Oui. Apparemment, quelqu’un les aurait alertés, mais... Un instant, s’il vous plaît...Yasinkov grimaça. Il détestait être mis en attente. Sans attendre, il raccrocha et remonta directement dans sa chambre, où Morgan l’attendait déjà.En le voyant entrer, elle le fixa d’un regard plein de reproches.— Un souci? Tu me regardes comme si j'avais tué quelqu’un, lança-t-il avec un sourire en coin.— Jusqu’à quand vas-tu garder cette rancune envers ta sœur? Entre toi qui boude, et Vich qui la rejette, Yulia ne sait plus où donner de la tête...Yasinkov la coupa, presque amusé:— Dis-moi, on s’est salués ce matin?— Ah… pardon. Bonjour! souffla-t-elle, légèrement confuse.Il s’approcha d’elle, l’enlaça douc
Le lendemain matin, la maison s’éveillait doucement. Tous étaient debout, à l’exception des enfants encore plongés dans le sommeil. Dans le jardin, Yasinkov profitait du calme, adossé à un arbre, tandis que Yulia l’observait discrètement depuis le balcon.Elle venait tout juste d’apercevoir Mitrovich.— Tu crois que je devrais lui parler? demanda-t-elle avec hésitation.— Je n’en sais rien, répondit-il en haussant les épaules, prêt à repartir.— Tu n’as pas passé la nuit ici, lança-t-elle avec reproche.— Et en quoi ça te concerne? répliqua-t-il sèchement.Yulia sentit son cœur se serrer.— Pourquoi tu m’en veux, Vich? À cause de Sky? À cause d’Alfonso? Ou est-ce que...— C’est parce que tu es une idiote, coupa-t-il.— _Quoi?! s’étrangla-t-elle, les yeux écarquillés.— Ne sois pas choquée. Tu es la reine des idiotes. Unique en ton genre. Un spécimen rare.— Vich, tu as bu…?— Je ne t’en veux pas d’avoir un enfant, soupira-t-il. Je t’en veux parce que tu m’as menti. Tu sais que je déte
Ils étaient toujours dehors, quand Yasinkov, intrigué, ne cessait de fixer Sky. La fillette, fidèle à elle-même, arborait un grand sourire espiègle.— Pourquoi me regardez-vous comme ça, monsieur? demanda-t-elle en haussant un sourcil. Vous auriez pas eu… le coup de tonnerre pour moi?Yasinkov éclata de rire.— On dit _le coup de foudre_, pas de tonnerre! Et non, je te rassure. C’est juste que ton visage me dit quelque chose.Sky ouvrit de grands yeux, dramatique.— Mon Dieu… comme le monde est étrange…— Qu’est-ce qui est étrange, petite dame?— Dame, s’il vous plaît. J’aime pas le mot “petite”, ça sonne mal dans mes oreilles. Moi, je suis une grande fille. Vous pouvez le demander à ma maman.— Ta maman, hein? Et où est-elle, ta maman?— Elle est...Mais avant qu’elle n’ait pu finir, une voix retentit.— Sky, tu…Yulia venait d’apparaître. À la vue de Yasinkov, elle se figea, le teint blême.— Yulia? murmura-t-il.— Grand... grand... grand frèèèèèèèèèère!Sa voix tremblait, son regar
Après l’incident houleux survenu plus tôt dans la journée, Yulia s’était enfermée dans sa chambre avec Sky. Elles n’étaient toujours pas sorties, ce qui commençait sérieusement à inquiéter Ekaterina.Elle s’approcha de la porte, frappa doucement, mais aucun son ne lui parvint en retour. Elle crut cependant entendre Yulia demander à la servante de faire venir Dimitri.— Ah, le voilà…— Dimitri! l’interpela-t-elle en bas des escaliers.— Ekaterina, bonsoir, répondit-il d’un ton poli.— Bonsoir… Yulia est là-haut.— Merci, je vais voir ce qu’il en est, répondit-il, déjà en route pour l’étage.Ekaterina voulut le suivre, puis s’immobilisa. Elle venait d’apercevoir Mitrovich, prêt à monter dans un véhicule.Elle pressa le pas et le rattrapa juste à temps.— Un problème? demanda-t-il en se retournant.— Pas vraiment… Où est mon fils?— Ah, tiens, j'avais complètement zappé, admit-il en sortant son téléphone.Il composa rapidement un numéro.— Serrena? Ramène-moi le petit, s’il te plaît.Il
Après sa conversation avec Vich, Yulia pénétra dans la maison, sans se douter qu’elle allait croiser le regard perçant de madame Magdalena. Cette dernière la fixa avec une froideur glaciale.— Tiens donc… Qui voilà? Ce ne serait pas… Yulia? lança Magdalena avec un sourire aussi tranchant qu’un couteau.Yulia s’efforça de garder contenance.— Bonjour, ma tante…— Hum! En quoi cette journée pourrait-elle être bonne si c’est toi que je croise en premier? Ne devais-tu pas être morte?Le regard de Magdalena foudroya la jeune femme, qui recula d’un pas, saisie.— Morte? Je ne comprends pas…— Tu comprendras tôt ou tard. Toi et ton cher petit ami, avec l’appui de son mollusque de père, avez détruit ma fille. Je m’étais dit que le poids de la honte et de la culpabilité finirait par t’achever, mais te voilà bien vivante. Il semblerait que tu aies oublié ce que tu lui as fait. Ne crois pas un instant que je pourrai te le pardonner. Jamais, tu m’entends? Jamais!La voix de Magdalena tremblait de