Mariés en secret depuis trois ans, ils avaient toujours rempli leurs obligations conjugales de cette manière.
Ce jour-là, comme chaque 5 du mois, Alex Dubois avait demandé au majordome d'aller chercher Clara Richard pour la conduire au Manoir Annoria.
Elle, elle avait toujours aimé cet endroit.
Le jardin était rempli de lys blancs, dont le parfum flottait dans l'air, créant une ambiance douce et irréelle, presque onirique.
Mais cette fois, les trois ans, prescrits par le contrat, étaient révolus.
Et si elle venait honorer ce dernier rendez-vous, c'était aussi pour une raison bien plus claire : aujourd'hui, elle comptait divorcer.
Lorsqu'elle est entrée dans la pièce, Alex sortait tout juste de la salle de bain.
Il était torse nu. Des épaules larges, une taille fine, une silhouette en V parfaitement dessinée. Chaque centimètre de son corps dégageait une force contenue, puissante et magnétique.
Une simple serviette blanche était nouée négligemment autour de ses hanches. Des gouttes d'eau glissaient le long de ses muscles bien sculptés, suivaient le relief net de ses abdominaux, et disparaissaient au niveau de sa ceinture pelvienne, juste sous le bord de la serviette.
La suggestion était irrésistible.
Son visage, quant à lui, semblait avoir été façonné par un dieu perfectionniste. Une beauté froide, presque irréelle.
À cet instant, ses lèvres restaient fermement serrées. Légèrement teintées par la chaleur de la douche, mais sans la moindre trace de douceur. Il émanait de lui une distance glaciale. Un air sauvage.
Il l'a soulevée d'un geste brusque, sans prévenir, et il a marché droit vers le lit.
Clara a poussé un cri de surprise, ses bras ont instinctivement entouré son cou.
Alex n'a rien dit. Il s'est penché pour l'embrasser, puis il a tiré sur sa robe, ses doigts agrippant le tissu avec une urgence difficile à contenir.
Clara a serré son cou, enivrée par ce parfum familier de cèdre mêlé à une légère odeur d'alcool. Tout cela lui a donné un peu le vertige.
Aujourd'hui encore, il a été pressé. Même brutal, comme souvent.
Peut-être parce qu'ils ne s'étaient pas vus depuis longtemps.
Il l'a embrassée avec force, comme s'il avait voulu la dévorer toute entière.
La température dans la pièce n'a cessé de monter. L'air s'est imprégné d'une sensualité trouble, presque étouffante.
Et peu à peu, ils ne formaient plus qu'un.
Les 5 et 25 de chaque mois, c'étaient les jours où Alex et elle s'étaient mis d'accord pour coucher ensemble.
À chaque fois, le majordome venait la chercher pour l'emmener au Manoir Annoria. Mais en dehors de ces nuits, ils ne vivaient pas ensemble.
Le moment était venu.
Dans son sac, les papiers du divorce lui rappelaient une chose : cette union n'avait jamais été pour l'éternité.
Juste un passage.
Elle ne lui avait prêté que trois années de sa vie.
Au milieu de la nuit, Clara s'est réveillée, le ventre creux.
L'homme qui était à ses côtés avait disparu depuis longtemps, même la chaleur sur les draps s'était évaporée.
Tout son corps était endolori. Elle s'est péniblement redressée, puis elle a enfilé une robe de chambre avant de descendre l'escalier.
En bas, le majordome s'est approché avec respect.
« Madame, vous êtes réveillée. Vous devez avoir faim. Avant de partir, monsieur nous a demandé de vous préparer un velouté léger au lait d'amande. »
« D'accord. Merci. »
Clara s'est installée et a commencé à boire le velouté, calmement, sans se presser.
Elle a fait défiler son téléphone machinalement. Soudain, plusieurs notifications ont surgi à l'écran :
#Fête de luxe : Alex Dubois célèbre en grande pompe l'anniversaire d'Anne Dupont, héritière du Groupe Dupont
#Alex Dubois officialise sa relation avec Anne Dupont dans le pays F
Ses pupilles se sont brusquement contractées. Les mots à l'écran l'ont figée sur place. Une montée de vertige l'a saisie.
Anne Dupont !
C'était donc elle.
C'était elle, la femme qu'il n'avait jamais pu oublier.
Ce Manoir Annoria, si beau, si parfait en apparence. Il n'avait fait que lacérer son cœur, un peu plus à chaque instant.
Annoria, ce n'était pas pour elle.
Chaque détail, chaque fleur, chaque pierre portait son nom. Anne.
Ses yeux se sont légèrement humidifiés. Elle fixait cette photo. Cet homme, au sourire éclatant, qui tenait une femme dans ses bras, c'était son mari, Alex Dubois.
Un sourire aussi lumineux, elle ne lui en avait jamais vu.
Elle l'avait cru de nature froide, incapable de sourire.
Mais non.
Il souriait.
Il ne souriait simplement pas à elle.
Autour du cou d'Anne, elle portait un collier de jade rouge, finement taillé en forme de fleur de lys.
Clara a senti une douleur vive lui traverser le regard. Ce collier, c'était celui qu'elle avait longtemps rêvé de porter.
Elle a reposé sa cuillère. Sans un mot, elle est montée à l'étage pour se changer.
En regardant ce lit désormais vide, Clara a senti le froid lui remonter jusqu'au fond des yeux.
Cet homme, quelle endurance il avait. L'après-midi, il couchait avec elle. Le soir, il s'envolait pour le pays F, célébrer l'anniversaire de sa précieuse Anne.
Dix minutes plus tard, elle est descendue et a demandé au majordome de la raccompagner chez elle.
Elle le savait : elle ne reviendrait plus.
De retour chez elle, elle a sorti les papiers du divorce de son sac et les a feuilletés calmement.
Elle les avait préparés un mois plus tôt. Ils étaient là, toujours dans son sac. Elle comptait les lui remettre aujourd'hui. Mais hélas, il s'était envolé vers un pays lointain .
Le lendemain midi, elle a été réveillée par la sonnerie de son téléphone.
En voyant plus de vingt appels manqués de Zoé Martin, sa meilleure amie, elle a aussitôt compris que quelque chose n'allait pas.
Elle l'a rappelée sans attendre.
« Clara, tu réponds enfin ! J'ai cru que t'allais faire une connerie. Tu m'as fait flipper, sérieux ! »
Zoé s'est plainte, à la fois soulagée et inquiète.
« T'inquiète, j'adore la vie. Et j'y tiens trop. »
Une bonne nuit de sommeil, et son cœur lui semblait déjà un peu moins serré.
« Bouge pas, je saute dans le premier avion pour venir te voir ! »
Zoé a dit, visiblement pressée.
« D'accord, je t'attends. »
Après avoir raccroché, Clara a ressenti un vide étrange s'installer en elle. Elle est restée là, les yeux fixés au plafond, la tête pleine de souvenirs : chaque moment passé avec Alex de toutes ces dernières années.
Au collège, il avait sauté une classe. Elle aussi. Juste pour ne pas le perdre de vue.
Quand il était parti à l'étranger, elle l'avait suivi.
Il avait choisi la médecine, elle aussi, sans la moindre hésitation.
Et même ce jour-là, quand il était tombé dans la mer, elle avait sauté après lui, sans réfléchir.
Et pourtant, il ne s'était toujours pas souvenu d'elle.
Trois ans plus tôt, il avait eu un grave accident de voiture. Depuis, il avait perdu la vue. Et peu après, son premier amour était partie à l'étranger.
Et elle, Clara, elle était venue auprès de lui, encore une fois.
À ce moment-là, Marguerite Delorme, l'amie d'enfance de Monsieur Dubois, déjà gravement malade, avait mobilisé toutes ses relations pour qu'elle puisse épouser Alex. C'est ainsi qu'elle avait fini par entrer dans la famille Dubois.
Au début, Alex la rejetait totalement. Il ne supportait même pas sa présence.
Par la suite, grâce au stratagème soigneusement orchestré par Albert Dubois, le grand-père d'Alex, leur mariage arrangé s'était transformé en union conjugale réelle.
Puis étaient venues les pressions. Toujours la même question : quand auraient-ils un enfant ?
C'est ainsi qu'Alex avait fini par imposer une règle, avec deux rendez-vous conjugaux chaque mois.
Elle se souvenait que ce n'est qu'à leur deuxième année de mariage qu'Alex avait retrouvé la vue.
Et dès qu'il l'avait regardée avec ses yeux redevenus clairs, c'était comme si tout son corps irradiait de froid. Son regard était chargé de rejet.
Elle avait cru pouvoir le réchauffer.
Mais non.
La flamme n'était tout simplement pas destinée à venir d'elle. Mais quelqu'un d'autre.
Le téléphone s'est remis à sonner, ramenant Clara à la réalité.
Elle a appuyé sur le bouton pour décrocher. La voix à l'autre bout a dit deux phrases, puis la ligne a été coupée.
C'était Christine Dubois, la mère d'Alex, qui lui demandait de rentrer immédiatement au manoir familial.
Un mauvais pressentiment lui traversait l'esprit, mais elle n'a pas eu le temps de s'y attarder. Elle s'est levée en hâte.
À seize heures, Clara est déjà revenue au manoir Dubois.
La famille Dubois était l'une des plus influentes de Beaumarin, avec ses vastes entreprises et son héritage imposant, elle occupait depuis longtemps les sommets du pouvoir économique.
Albert avait eu deux fils et deux filles. Alex était l'aîné des petits-enfants du fils aîné, et bénéficiait naturellement d'une attention toute particulière.
Lorsque Clara est entrée dans le salon, Christine s'est levée d'un bond.
Elle l'a fusillée du regard.
« C'est toi qui es allée te plaindre auprès de papa, n'est-ce pas ? Je ne te pensais pas capable d'un coup pareil. Toi qui parles si peu d'habitude, tu choisis de jouer dans l'ombre, maintenant ? »
Clara a soutenu le regard de sa belle-mère chargé de mépris. Ses lèvres se sont entrouvertes doucement.
« Madame Dubois, je ne vois pas du tout de quoi vous parlez. »
« Alex est dans le bureau. Il a été puni. »
D'un simple regard, Christine a fait signe au majordome, qui a aussitôt conduit Clara à l'étage.
À l'approche du bureau, des cris ont commencé à résonner.
« Espèce de petit ingrat ! Tu oses encore me répondre ? Tu veux me faire mourir de colère, c'est ça ? »
Albert avait pris son petit-fils à part pour le sermonner en privé. Il était si furieux qu'il avait failli cracher du sang.
« Papi, un amour forcé ne donnera jamais rien de bon. Tu m'avais promis que si Clara ne tombait pas enceinte dans les trois ans, tu me laisserais divorcer et me remarier, non ? »
« Espèce de petit con ! Tu parles encore de divorce ? Vous êtes toujours mariés, je te le rappelle. Et je ne veux plus entendre parler de cette Anne je-sais-pas-quoi ! Tu fais un communiqué tout de suite pour démentir cette rumeur. C'est un ordre. »
« Je peux pas contrôler ce que les gens racontent sur le net. Papi, à quoi bon t'énerver pour ça ? »
« Je vais t'apprendre à respecter ton grand-père, moi ! »
On entendait des bruits de coups et de meubles qui s'entrechoquaient dans la pièce.
Clara a repris son calme, puis elle a levé la main pour frapper à la porte.
La porte s'est ouverte. Quand Albert a vu Clara, il a marqué un temps d'arrêt, clairement surpris.
« Oh, Clara, te voilà ! »
« Papi, vous devez faire attention à votre santé. Il ne faut pas vous énerver comme ça. »
Clara a tendu la main pour le soutenir et l'a raccompagné doucement dans la pièce, avec un sourire plein de tendresse.
« Tu restes planté là pourquoi ? Excuse-toi tout de suite auprès de Clara ! »
Albert a aboyé l'ordre d'un ton dur, sans laisser place à la discussion.
Alex serrait les lèvres, le regard plein de mépris. Ce communiqué, il l'avait gardé sous le coude exprès pour ces trois années. Il était persuadé que cette femme comprendrait enfin sa place.
« Papi, j'aimerais parler à Alex en privé. »
Albert, comprenant le message, s'est retiré sans faire d'histoires.
Clara a posé les yeux sur Alex.
« Alex, divorçons. Je te rends ta liberté. »
Alex a montré un léger étonnement, comme s'il regardait une étrangère tombée d'une autre planète.
Il s'était attendu à une scène, à des cris, au moins à ce qu'elle supplie papi de prendre sa défense. Mais non. Elle avait proposé de divorcer avec une désinvolture déconcertante.
Elle était vraiment prête à abandonner sa place de Madame Dubois ?
Elle a ajouté d'une voix calme :
« On peut faire les démarches d'abord. Tu diras à papi quand tu te sentiras prêt. »
Il est resté silencieux quelques secondes, puis a fini par dire :
« Tu veux quoi en échange ? »
Clara a secoué la tête, le ton toujours aussi détaché :
« Rien. Je veux juste qu'on se quitte en bons termes. Voici l'accord de divorce que j'ai préparé. »
Elle a sorti le document de son sac et l'a posé sur la table.
Alex a soufflé avec mépris, les yeux glacés fixés sur elle.
« Puisque tu sais te tenir, je ne serai pas ingrat. Demain matin, viens au bureau pour la signature. Je demanderai au service juridique de rédiger l'accord. »
Ce qui voulait clairement dire que c'était encore lui qui dictait les conditions du divorce.
« Très bien. J'y serai. »
Clara lui a lancé un regard vide d'émotion, puis elle a quitté le bureau sans se retourner.
Pour elle, partir dignement, c'était la seule élégance qu'elle pouvait encore offrir à ce mariage.
Clara est restée dîner au manoir Dubois. Avant de partir, elle a pris l'initiative de serrer Albert dans ses bras, puis elle s'est dirigée vers sa voiture.
À ce moment-là, la pluie a commencé à tomber, fine, froide, comme un gémissement étouffé.
Elle n'a fait que quelques pas quand une douleur aiguë lui a transpercé le bas-ventre. Une chaleur soudaine a coulé entre ses jambes. Du sang. Beaucoup de sang.