Après avoir déposé Noah et Liam à l’école, Sofia remonta la rue à pas rapides, profitant de la brise matinale qui balayait doucement son visage. Les premiers rayons du soleil illuminaient les façades des immeubles, et l’odeur du café flottait dans l’air, se mêlant à celle du pain chaud provenant d’une boulangerie voisine.
Elle inspira profondément, savourant ces instants de calme avant le tumulte de la journée. Enseignante dans une petite école privée, Sofia aimait son métier, bien qu’il ne soit pas toujours facile. Son quotidien était rythmé par les rires des enfants, les copies à corriger et les défis liés à l’éducation.
En arrivant devant l’établissement, un bâtiment modeste mais bien entretenu, elle aperçut immédiatement une silhouette familière adossée à l’encadrement de la porte.
— Tu fais encore le guet, Julien ? soupira-t-elle en levant les yeux au ciel.
Son collègue et ami, Julien Marchand, un homme d’une trentaine d’années au sourire malicieux et aux cheveux châtains ébouriffés, croisa les bras, l’air faussement vexé.
— Je continuerai tant que je pourrai, répondit-il avec un clin d’œil.
Sofia secoua la tête, amusée mais légèrement agacée.
— Je n’aime pas cette habitude de m’attendre à la porte chaque matin, lui lança-t-elle en lui jetant un regard en coin.
— Et pourtant, tu serais déçue si je ne le faisais pas, rétorqua-t-il en la suivant dans le couloir.
Sofia ne prit même pas la peine de répondre. Elle savait qu’il n’avait pas tort. Julien était devenu un repère dans son quotidien, une présence constante qui la faisait sourire malgré elle.
— Alors, comment vont tes petits génies aujourd’hui ? demanda-t-il en ouvrant la porte de la salle des professeurs.
Sofia posa son sac sur une chaise et soupira doucement en s’asseyant.
— Toujours aussi bavards, toujours en compétition. Tout le monde veut être plus grand et plus fort que l’autre, comme si c’était une course permanente, répondit-elle avec un sourire attendri.
Julien éclata de rire.
— C’est bien des enfants, ça. Et je parie que Noah veut encore battre un record aujourd’hui.
— Exactement, il compte bien prouver qu’il est le plus rapide en maths, pendant que Liam espère enfin un défi à sa hauteur.
Sofia parlait avec affection de ses fils, fière de leur intelligence et de leur personnalité unique. Mais derrière son sourire, une pointe de nostalgie traversa son regard. Parfois, elle se demandait si elle en faisait assez pour eux. C’était pour cette raison qu’elle les avait inscrits dans une école réputée, persuadée qu’ils méritaient le meilleur.
— Ils vont s’épanouir là-bas, tu as pris la bonne décision, dit soudain Julien, comme s’il lisait dans ses pensées.
Sofia releva la tête vers lui, légèrement surprise.
— J’espère…
Julien lui adressa un sourire sincère avant de lui tendre un café qu’il avait préparé à son intention.
— Allez, bois ça avant que la horde d’élèves n’envahisse ta classe.
Sofia rit doucement et attrapa la tasse, appréciant l’attention.
Sofia entra dans sa salle de classe avec son habituel sourire doux, saluant les enfants déjà installés à leurs bureaux. Le soleil du matin projetait une lumière dorée sur les murs décorés de dessins colorés, rendant l’atmosphère chaleureuse et accueillante.
— Bonjour, mes petits génies ! lança-t-elle d’une voix enjouée en posant son sac sur son bureau.
— Bonjour, maîtresse Sofia ! répondirent-ils en chœur, certains avec enthousiasme, d’autres encore à moitié endormis.
Comme chaque matin, elle prit une craie et se tourna vers le tableau noir pour inscrire la date. Mais dès que sa main traça les premiers chiffres, son cœur manqua un battement.
17 février.
Elle sentit une vague de froid envahir son corps. Ses doigts se crispèrent sur la craie alors que son regard restait figé sur la date.
Le jour où sa mère était décédée.
Un frisson parcourut son échine, et malgré elle, une douleur sourde envahit sa poitrine. Cela faisait des années qu’elle évitait de penser à ce jour, refusant d’y accorder la moindre place dans son esprit. Mais aujourd’hui, la mémoire était plus forte.
Un flot d’images défila devant ses yeux : le visage grave du médecin, les machines qui s’arrêtaient une à une, la main glacée de sa mère dans la sienne.
Et surtout, ce regard.
Le regard chargé de colère et de déception que sa mère lui avait lancé avant de rendre son dernier souffle.
Sofia déglutit difficilement. Elle savait pourquoi sa mère était partie avec cette rancœur.
Parce qu’elle avait fait quelque chose d’ignoble pour la sauver. Quelque chose dont elle ne parlait à personne, dont elle ne voulait même pas se souvenir.
Une main tremblante se porta à sa poitrine, comme pour calmer les battements affolés de son cœur. Elle sentit ses jambes faiblir et s’appuya discrètement contre le bureau.
— Maîtresse ?
La voix fluette d’un petit garçon la tira de son tourment. En relevant les yeux, elle croisa les regards curieux et inquiets de ses élèves.
— Est-ce que ça va ? demanda une fillette aux tresses bien serrées.
Sofia se força à sourire, mais elle savait que c’était raté.
— Oui… oui, tout va bien, murmura-t-elle d’une voix légèrement tremblante.
Mais elle ne trompait personne.
L’émotion qui l’étranglait était trop forte, trop brutale. Elle devait sortir, respirer, retrouver son calme avant que les souvenirs ne la submergent complètement.
— Je vais juste… prendre un peu d’air, d’accord ? Restez bien sages.
Camille observa Sofia avec attention. Son amie était crispée, son regard perdu dans le vide, et ses mains tremblaient légèrement. Elle n’était pas seulement en colère. Non, elle était bouleversée.— Sofia, où sont les garçons ? demanda Camille d’une voix douce, mais ferme.Sofia détourna le regard avant de répondre d’un ton sec :— Dans leur chambre.Camille haussa un sourcil.— Attends… Tu es fâchée contre eux ?Sofia serra la mâchoire et se redressa brusquement, croisant les bras comme pour se protéger.— Pourquoi je ne le serais pas ? J’ai le droit d’être en colère contre eux !Camille secoua la tête, abasourdie.— Mais Sofia… Ce ne sont que des enfants ! Ils n’ont que trois ans !— C’est justement ça le problème ! répliqua Sofia, la voix tremblante d’émotion. Ils n’ont que trois ans et pourtant, ils réfléchissent plus qu’un adulte ! Qui leur a donné la permission de partir comme ça ? De traverser la ville seuls ? Tu te rends compte des dangers qu’ils ont courus ?Camille s’approch
Sofia ne disait plus un mot. Son visage était fermé, son regard distant. Lorsqu’ils arrivèrent à la maison, elle enleva son manteau, se dirigea vers la cuisine et prépara le dîner en silence. Pas un seul regard vers ses fils, pas une parole échappée de ses lèvres. Elle était là, mais en même temps absente, enfermée dans sa déception et sa colère.Les jumeaux s’installèrent sagement à table, jetant de rapides coups d'œil vers leur mère qui s’activait devant les fourneaux. L’ambiance était lourde, pesante. Ils savaient qu’ils avaient franchi une limite, qu’ils avaient blessé Sofia, mais ils ne savaient pas comment arranger les choses.Quelques minutes plus tard, elle posa deux assiettes devant eux sans un mot. Le repas était servi, mais le silence pesait comme une chape de plomb. Habituellement, Sofia discutait avec eux, leur demandait comment s’était passée leur journée, racontait quelques anecdotes, plaisantait même parfois. Mais ce soir-là, rien. Juste le bruit des couverts cognant c
Elle inspira profondément, essayant de maintenir le contrôle. Quand elle parla à nouveau, sa voix était froide et tranchante, la dureté du moment l'enveloppant.Sofia fixa intensément ses enfants, son regard glacial plongeant dans le leur. Elle pouvait sentir la colère et la confusion bouillir en elle, mais une question persistait : quel père étaient-ils allés voir ? Leurs mensonges ne faisaient plus sens, et son instinct maternel la poussait à obtenir la vérité.Elle s’approcha d’eux, ses bras croisés sur sa poitrine, ses yeux brillant d’une colère qu’elle ne pouvait plus contenir.— Quel père êtes-vous allés voir ? demanda-t-elle d’une voix froide et autoritaire.Liam se mordit la lèvre inférieure, évitant le regard de sa mère. Noah, lui, ne pouvait plus supporter la pression. La vérité s’échappa de ses lèvres, brisée par la honte et la peur de la réaction de sa mère.— Adrien Lancaster, murmura-t-il, les yeux baissés.Sofia sentit son cœur s'arrêter un instant. Un choc violent trav
Après le départ d’Elias, Adrien resta un moment immobile derrière son bureau, le regard perdu dans le vide. Son frère avait soulevé trop de questions auxquelles il refusait de répondre. Il n’avait pas besoin de complications dans sa vie, et encore moins d’enfants surgissant de nulle part pour bouleverser son existence parfaitement contrôlée.Il poussa un profond soupir et se passa une main sur le visage avant de se lever brusquement. Son regard sombre se posa sur la baie vitrée qui offrait une vue imprenable sur la ville.— Merde…Sa mâchoire se contracta alors qu’il repensait à ces deux enfants. Ils lui ressemblaient, certes, mais cela ne signifiait rien. Il y avait des milliers de personnes dans ce monde avec des traits similaires. Et cette Sofia… Pourquoi maintenant ? Pourquoi n’était-elle jamais venue avant s’il était vraiment leur père ?Non. Il ne voulait pas entrer dans ce jeu. Il avait été clair avec eux.“Je ne suis pas votre père.”Ces mots avaient résonné dans son bureau co
En quittant le restaurant, Adrien sortit discrètement son téléphone et tapa rapidement un message.Adrien : Elias, j’ai besoin de te voir immédiatement. Rejoins-moi dans mon bureau, c’est urgent.Il envoya le message avant de ranger son téléphone dans la poche intérieure de sa veste. À ses côtés, Clara lui lança un regard en biais, mais il fit semblant de ne rien remarquer.— Tu es sûr que tu vas bien ? demanda-t-elle en montant dans la voiture.— Oui, tout va bien, répondit-il d’un ton qui ne trompait personne.Le trajet du retour se déroula dans un silence pesant, ponctué par le ronronnement du moteur et les bruits étouffés de la circulation. Adrien avait le regard rivé sur la vitre, mais en réalité, il ne voyait rien. Son esprit était ailleurs, tourmenté par les événements de la matinée.Dès leur arrivée à l’entreprise, il salua brièvement Clara et s’éloigna d’un pas rapide vers son bureau. À peine avait-il refermé la porte derrière lui qu’on frappa fermement.— Entre, lança-t-il s
Adrien, qui venait juste d’arriver dans la salle où les jumeaux se cachaient, les fixa un moment en silence. Le poids des mots qu’il allait prononcer s’imposa à lui, mais il ne pouvait pas reculer. Il devait leur dire la vérité, aussi brutale soit-elle.— Écoutez-moi, les garçons, commença-t-il d’une voix grave, mais froide. — Je ne vous connais ni vous ni votre mère. Vous voyez, j’ai une femme. Alors ne pensez pas que moi je suis votre père. Vous me ressemblez certes, mais les gens se ressemblent dans ce monde, et c’est normal. Votre père est mort, comme votre mère vous l’a dit. Moi, je ne suis pas votre père.Les mots résonnèrent dans l’air comme un coup de tonnerre, secouant un peu plus le fragile espoir qu’ils avaient entretenu. Liam et Noah restèrent figés, choqués par la dureté de ses paroles.Adrien sentit un pincement à son cœur, mais il resta implacable. L’instant où il avait accepté l’idée que ces enfants étaient potentiellement les siens lui paraissait si lointain maintenan