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Chapitre 2 : Le retour 2

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-12-03 22:14:23

Élise

Puis son regard descend. Il voit Noé à côté de moi, concentré sur son renne. Je vois le processus sur son visage. La curiosité. L’examen. Le choc. Ses yeux passent de Noé à moi, puis de nouveau à Noé. Il scrute ses traits, sa posture, la manière dont il penche la tête. Je vois l’interrogation naître, violente, interdite. Ses sourcils se froncent légèrement. Ses lèvres s’entrouvrent.

Non. Pas ça. Pas maintenant. Pas ici.

Je saisis l’épaule de Noé, un peu trop brusquement.

— On rentre, mon chéri. Il commence à faire vraiment froid.

— Mais le renne… je ne l’ai pas payé.

— Viens.

Je jette des billets sur le comptoir, sans attendre la monnaie. Je tire Noé, je me faufile, je presse le pas. Je sens le regard de Jonas dans mon dos, un poids brûlant entre mes omoplates. Je n’ose pas me retourner. Pas avant d’avoir tourné au coin de la rue, à l’abri des lumières.

Là, je m’arrête, le cœur battant la chamade, les jambes flageolantes. Je me penche, les mains sur les genoux, pour retrouver mon souffle.

— Maman ? Tu vas bien ? Tu es toute blanche.

Noé me caresse la joue, son petit geste de réconfort. Je relève la tête, je prends son visage entre mes mains. Ces yeux. Ces yeux qui sont maintenant une évidence criante, une preuve vivante que je viens d’exposer au seul homme qui pouvait la lire.

— Oui, mon amour. Je vais bien. C’était juste… la foule. Allons à la maison.

Je me redresse, je prends sa main. Nous marchons dans la rue silencieuse, vers la maison sombre. La neige recommence à tomber, légère, implacable. Elle effacera nos traces derrière nous. Mais rien n’effacera ce regard. Ce regard qui a vu, qui a soupçonné, et qui, je le sais au plus profond de moi, ne me laissera plus partir sans réponse.

Deux jours plus tard, la neige a tout enseveli. Elle tombe sans discontinuer, épaisse, cotonneuse, isolant la maison du reste du monde. Nous sommes devenus une île. Noé dessine à la table de la cuisine. J’essaye de lire, mais les mots dansent devant mes yeux. Je sursaute au moindre grincement de la maison, au moindre crépitement du feu dans l’âtre.

Quand le coup frappe à la porte, je le savais. Je l’attendais depuis le marché.

Mon sang se glace. Noé lève la tête.

— Quelqu’un est là !

— Oui. Reste ici.

Je me lève, mes paumes moites. J’essuie mes mains sur mon jean, je prends une profonde respiration. Je vais à la porte. Je l’ouvre.

Il est là. Encapuchonné de neige, les épaules blanches, le visage rougi par le froid. Jonas. Il a les traits tirés, comme s’il n’avait pas dormi. Ses yeux, ces yeux que Noé a hérités, plongent directement dans les miens. Ils sont pleins d’une tempête silencieuse.

— Élise.

Ma voix est un filet.

— Jonas.

— La neige… les routes sont bloquées vers la sortie de la ville. Je passais… je me suis dit que tu pourrais avoir besoin de quelque chose. De bois, peut-être.

Un prétexte. Transparent. Il regarde par-dessus mon épaule, dans l’entrée. Il cherche.

— C’est… gentil. Mais nous allons bien.

Un silence. Le froid entre à gros bouffons dans la maison.

— Maman ? Qui c’est ?

Noé est apparu dans l’encadrement de la porte de la cuisine, son dessin à la main. Il observe Jonas avec cette curiosité franche, sans gêne, des enfants.

Le monde se rétrécit à ce moment. Je vois le visage de Jonas se transformer quand il pose les yeux sur mon fils. Le souffle coupé. L’étude fébrile, détaillée. Il parcourt chaque centimètre de ce petit visage : la courbe des sourcils, la forme des lèvres, le menton têtu. Il voit ce que tout le monde pourrait voir, s’ils nous voyaient côte à côte. La ressemblance n’est pas flagrante, elle est en creux, dans les expressions, dans la manière de se tenir. C’est un écho. Une musique familière.

Jonas pâlit. Ses doigts se crispent sur le cadre de la porte.

— Bonjour, dit-il, la voix étranglée.

— Bonjour, monsieur. Moi c’est Noé. Vous venez à cause de la neige ?

— Oui. À cause de la neige.

Il dit cela en me regardant, fixement. Un sous-entendu lourd, dangereux.

— Veux-tu… entrer un moment ? Le temps de te réchauffer.

Les mots m’échappent. C’est de la folie. Mais le désir est là aussi, immédiat, pulsionnel. Le désir de le voir de près, de respirer son odeur, de savoir. Et la peur. La peur qu’il reparte. La peur qu’il reste.

Il hoche la tête, silencieusement. Il entre. Il enlève ses bottes couvertes de neige, sa parka. Il est en simple pull noir. Je l’avais oublié, cette façon qu’il a de remplir l’espace, de capter toute la lumière, toute l’attention. La maison semble soudain plus petite, plus chaude.

Noé, sans aucune méfiance, lui prend la main.

— Viens voir le feu ! Il fait des étincelles bleues !

Jonas se laisse guider, un peu raide, vers le salon. Je les suis, le cœur au bord des lèvres. Je les regarde, lui, grand et sombre, penché avec une gravité tendre vers mon fils qui lui montre les flammes. Un tableau qui aurait pu être. Un tableau interdit.

La neige continue de tomber dehors, enveloppant la maison, scellant notre sort pour les heures à venir. Nous sommes pris au piège. Tous les trois. Et je sais, avec une certitude qui me glace le sang et m’embrase la peau, que rien ne sera plus comme avant après cette nuit.

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