L'alarme de son téléphone avait déchiré le silence de l'aube, mais Alma n'avait pas dormi. Chaque fibre de son être vibrait d'une anticipation fiévreuse, d'une étrange excitation mêlée d'une appréhension glaciale. Le rendez-vous avec Leonard Moretti, seule à seule, avant même que la ville ne s'éveille tout à fait, résonnait en elle comme un prélude. Un prélude à quoi ? Elle n'osait le nommer. Quelque chose d'important, sans doute, mais surtout d'interdit. Elle avait passé une partie de la nuit à revoir le dossier Aether, chaque chiffre, chaque projection gravés dans sa mémoire. Il fallait qu'elle soit irréprochable, que sa compétence soit un bouclier contre l'attraction inavouable qu'elle ressentait. Mais au fond d'elle, elle savait que cette discussion dépasserait de loin les bilans financiers.
En cette aube genevoise, le froid perçait encore, mordant la peau malgré les couches de vêtements. La ville, habituellement si ordonnée, semblait retenir son souffle, comme si elle pressentait l'importance de ce matin. Les rues étaient étrangement silencieuses tandis qu'elle marchait vers le siège de Morvest Holdings, cet immeuble de verre et d'acier qu'elle avait quitté la veille sous le poids des regards soupçonneux de ses collègues. Aujourd'hui, elle n'était plus la simple chargée de clientèle. Elle était l'invitée matinale du PDG, une situation qui lui donnait un vertige mêlé d'une excitation dangereuse. Son tailleur sombre, épuré, ses cheveux attachés en une queue de cheval basse, étaient une armure. Elle ne cherchait pas à séduire, mais à inspirer une respectabilité inattaquable. L'accueil au rez-de-chaussée fut d'une discrétion quasi militaire. L'agent de sécurité, le regard impassible, l'attendait. Ses pas résonnaient dans le hall immaculé tandis qu'il la conduisait directement à l'ascenseur privé des dirigeants. Les portes coulissèrent en silence, l'emportant vers les hauteurs vertigineuses. Chaque étage gravissait était une ascension non seulement physique, mais aussi symbolique. Elle était sur le point d'entrer dans le sanctuaire du pouvoir de Leonard Moretti, un espace que peu avaient le privilège de fouler. L'air se fit plus rare à mesure qu'elle montait, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Quand les portes s'ouvrirent, ce ne fut pas sur un bureau classique, mais sur un immense espace ouvert, une sorte de penthouse de la finance. Baigné d'une lumière naturelle crue filtrant à travers de larges baies vitrées, il offrait une vue imprenable sur le lac Léman, miroir sombre et silencieux, et les cimes enneigées des Alpes. C'était un chef-d'œuvre de design, un mélange audacieux d'acier brossé, de verre, de pierre naturelle et de bois précieux, une incarnation même de la puissance et du raffinement. Leonard l'attendait debout, près d'une table basse en verre épurée, un mug à la main. Il portait une chemise blanche impeccablement repassée, les manches retroussées, révélant des avant-bras musclés, striés de veines. Il semblait plus détendu, moins encravaté que la veille, mais son aura de pouvoir était toujours aussi palpable, presque écrasante. Il la vit. Et un sourire ténu, presque intime, effleura ses lèvres, transformant son visage habituellement si froid. C'était un sourire qui ne se livrait pas, mais qui invitait à la découverte. « Mademoiselle Roustin, » commença-t-il, sa voix grave, veloutée, un murmure dans le vaste espace. « À l'heure, comme toujours. » Il fit un geste vague de la main, englobant la pièce. « Bienvenue à mon… sanctuaire. » Alma sentit une chaleur brûlante monter à ses joues, une réaction qu'elle maudit intérieurement. « Monsieur Moretti. Merci de me recevoir. » Sa formalité était un bouclier, une tentative désespérée de maintenir une distance alors que la pièce elle-même l'attirait inexorablement vers lui. Ce « sanctuaire » était impressionnant, intimidant, presque suffocant. « Leonard, s'il vous plaît, » corrigea-t-il, sa voix se faisant plus douce, son regard la défiant de le faire. C'était un ordre déguisé en invitation. « Asseyez-vous. Je vous ai préparé un café. Ou un thé, si vous préférez. » Il désigna deux fauteuils bas en cuir face à la table basse, sur laquelle trônaient des dossiers, mais aussi un plateau d'argent avec deux tasses fumantes et une théière en porcelaine fine. Alma s'assit, sa main effleurant le cuir doux du fauteuil. Le café était parfaitement dosé, son arôme riche réconfortant dans l'immensité de la pièce. Leonard s'assit en face d'elle, son regard fixe, intense, la dévorant. Il ne la pressa pas. Le silence qui s'installa était différent de celui de la veille. Il n'était plus anxieux, mais chargé d'une attente presque complice, comme si un secret était sur le point d'être partagé. « Le dossier Aether, » commença Leonard, rompant finalement le silence, mais sa voix n'avait pas la froideur habituelle des réunions. C'était le timbre d'un homme qui avait pris une décision. « J'ai relu vos notes. Elles sont… plus que pertinentes. » Il la regarda droit dans les yeux, son regard brûlant. « Surtout vos points sur les problèmes cachés. Vous n'avez pas eu peur de dire la vérité. » Alma sentit son cœur s'emballer, un rythme effréné sous sa poitrine. Il reconnaissait son courage. Il reconnaissait son honnêteté. « Je pense que la transparence est la seule voie pour résoudre des problèmes aussi complexes, Leonard, » répondit-elle, le prénom franchissant ses lèvres avec une légère hésitation qui lui coûta un effort immense. Mais il sembla approuver, son regard s'intensifiant, comme un prédateur qui sent sa proie. « La transparence coûte cher parfois, Alma, » dit-il, son ton grave, une nuance d'avertissement dans sa voix. « Surtout dans ce monde. Vous l'avez appris à vos dépens, n'est-ce pas ? » Ses yeux la sondaient, faisant référence à son passé, à cette discussion silencieuse qu'ils avaient eue la veille, cette fois sans détour, sans ambiguïté. C'était une intrusion directe dans son âme. Alma sentit une vague de vulnérabilité la submerger. Elle détourna le regard vers la vue imprenable, la ville qui s'étirait sous eux, cherchant un échappatoire. « Oui, » murmura-t-elle, sa voix à peine audible, chargée d'une amertume contenue. « La vie enseigne des leçons parfois cruelles. » Leonard ne la pressa pas. Il prit une gorgée de son café, son regard toujours posé sur elle, une intensité qui ne faiblissait pas. « Je suis un homme qui apprécie la vérité, Alma. Même quand elle est inconfortable. » Il posa son mug. « Dites-moi. Au-delà des chiffres, quel est votre sentiment sur Aether ? Ce que les rapports ne disent pas. Ce que seul quelqu'un avec… votre perception peut voir. » Alma inspira profondément. C'était une invitation à la confiance, à l'intuition, mais surtout, une porte ouverte sur son intimité. Elle se lança, parlant du moral des employés, des dynamiques internes qu'elle avait perçues, de la peur sous-jacente qui paralysait l'entreprise. Elle parlait avec passion, avec une empathie qui contrastait violemment avec le monde froid de la finance. Leonard l'écoutait, son visage impassible, mais ses yeux ne la quittaient pas un instant, absorbant chaque nuance de son récit, chaque tremblement de sa voix. Lorsqu'elle eut terminé, un long silence s'installa, plus pesant que jamais. Leonard la regarda, ses yeux sombres, profonds, comme s'il voyait en elle bien plus que la chargée de clientèle. « Vous avez une sensibilité rare, Alma. Une perception que beaucoup, dans mon monde, ont perdue. » Sa voix était basse, presque confidentielle, emplie d'une résonance inattendue. « D'où vous vient cette force ? Cette résilience ? Dites-moi. » C'était un ordre doux, irrésistible. La question la prit au dépourvu, l'atteignant au plus profond. Elle n'était pas habituée à ce qu'on s'intéresse à elle de cette manière, surtout pas dans ce milieu. Elle hésita, puis, encouragée par l'intensité de son regard et le sentiment étrange de sécurité qu'il dégageait, elle commença à parler. Non pas de tous les détails sordides, mais de l'essence de sa lutte. Elle parla de la perte de son père, des difficultés rencontrées par sa mère et elle face à la famille paternelle, du sentiment d'avoir été dépouillées, de la nécessité de se battre pour remonter la pente. Elle ne pleura pas, mais la douleur, le sacrifice, transparaissaient dans le léger tremblement de sa voix, dans la dignité de ses mots. Leonard l'écoutait sans l'interrompre. Ses yeux noirs ne la lâchaient pas, une sorte de compréhension silencieuse et animale s'y lisait. Il y avait une tendresse inattendue dans son regard, un éclaire fulgurant de protection. Quand elle eut fini, le silence fut lourd de l'écho de ses confidences. « Je comprends, » dit-il simplement, sa voix grave, presque caressante. « C'est une histoire… déchirante. » Il se pencha légèrement vers elle, son regard plongeant dans le sien. « Et je comprends mieux pourquoi vous ne pleurez pas seule. Vous portez le poids de deux vies. » Il tendit une main, et avant qu'elle ne puisse réagir, effleura sa joue, son pouce caressant doucement la peau sous son œil. Le contact, si bref, si délicat, la fit frissonner. La chaleur de sa main se propagea comme un brasier. « Vous êtes une femme de courage, Alma Roustin. Un courage que la plupart des hommes d'affaires, aussi redoutables soient-ils, ne connaîtront jamais. » Alma sentit son cœur s'emballer, un galop sauvage dans sa poitrine. Son geste, ses mots, brisaient toutes les barrières, toutes les conventions. C'était une intrusion, oui, mais une intrusion si douce, si empathique, si possessive, qu'elle ne put s'en offusquer. Elle sentait le vertige de cette intimité naissante, de cette connexion qui dépassait l'entendement. C'était dangereux, elle le savait, mais une force irrésistible la poussait vers lui. Il retira sa main, mais l'intensité de son regard demeura, une flamme sombre. « C'est pourquoi je veux que vous soyez mon bras droit sur ce dossier, Alma. Vous avez la vision, la détermination, l'intégrité. Et une force que je n'ai vue chez personne d'autre. Je vous veux à mes côtés. » Alma le regarda, les yeux brillants, un mélange de surprise, de gratitude et d'une attraction qu'elle ne pouvait plus nier. « Je… je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, Leonard. » Le prénom lui vint cette fois sans hésitation, une reconnaissance mutuelle. Un sourire, cette fois franc et ouvert, illumina son visage. Un sourire qui transforma son visage froid en un tableau d'une beauté désarmante, révélant la puissance et le magnétisme de l'homme. « J'en suis certain. » Il se pencha vers la table basse et poussa un dossier vers elle. « Il y a un dîner ce soir avec la direction d'Aether, et quelques investisseurs clés. Je veux que vous soyez présente. Mon assistante vous enverra les détails. Soyez prête. » Un dîner. Ce soir. Alma sentit une nouvelle vague d'appréhension et d'excitation. Ce n'était plus le bureau, mais un cadre social, intime, où les règles du jeu seraient encore plus floues. « Bien sûr, Leonard. » « Et une dernière chose, Alma. » Il se leva, sa silhouette massive se découpant sur le panorama de Genève, dominant l'espace. « Le mouchoir… Je suis ravi qu'il ait pu vous servir. » Il la regarda, un soupçon de malice, de possessivité dans ses yeux. « Gardez-le. C'est un gage. Un symbole. » Alma rougit, ses joues ardentes. Il se souvenait de tout. Il savait. Il était entré dans son intimité la plus profonde. Elle se leva à son tour, le cœur battant à tout rompre. « Je… je le ferai. » Il se dirigea vers son bureau, son pas sûr, son aura de puissance emplissant l'espace. « À ce soir, Alma. Et n'oubliez pas... vous n'êtes plus seule. » Elle quitta son bureau, le corps léger et l'esprit en ébullition. L'aube avait cédé la place au jour, mais pour Alma, c'était le début d'une nouvelle ère. Leonard Moretti l'avait fait entrer dans son monde, un monde de pouvoir, de secrets, et de promesses inavouées. Le chemin de l'interdit était désormais tracé, et elle sentait déjà la flamme de la passion brûler les ponts derrière elle.Le baiser de Leonard fut une déflagration silencieuse, mais Alma le sentit résonner jusqu'à la moelle de ses os. Ce n'était plus un simple contact, mais une invasion, un abandon total que son corps, malgré toutes ses résistances, acceptait avec une faim inavouée. Ses lèvres, chaudes et insistantes, ne scellaient pas seulement leur évasion, mais gravaient une promesse interdite au plus profond d'elle. Quand il se recula, leurs souffles courts se mêlaient dans l'air épais de la suite, chargés d'un mélange de désir ardent et d'une culpabilité lancinante. Les larmes d'Alma avaient cessé de couler, laissant des traces humides sur ses joues rougies, mais ses yeux restaient embués alors qu'elle cherchait les siens. Pour la première fois, au-delà du désir vorace, elle y décela une pointe d'urgence, une vulnérabilité brute qui la saisit au dépourvu."Tu ne me feras pas fuir, Alma," avait-il murmuré, et la possessivité dans sa voix résonnait comme une promesse gravée dans le marbre et une mena
L'Alfa Romeo de Leonard dévora l'asphalte, fendant la nuit comme une flèche. À chaque kilomètre avalé, Genève s'éloignait, et avec elle, la suffocante réalité, les regards pesants, les chuchotements de Madame Smith. Alma était assise, silencieuse, le regard perdu dans les lumières qui défilaient, mais à l'intérieur, un tourbillon d'émotions la submergeait. La colère, l'indignation face à l'arrogance de Leonard, le disputaient à une euphorie coupable. Elle avait cédé. Encore une fois. Mais cette fois, c'était pour Milan, pour une évasion imprévue, pour la promesse d'un instant loin de tout.Leonard conduisait avec une décontraction déconcertante, sa main posée sur le volant, l'autre détendue, de temps à autre effleurant sa cuisse. Chaque contact, aussi fugace soit-il, envoyait des décharges électriques à travers Alma. Elle sentait son corps réagir malgré elle, trahissant la guerre intérieure qu'elle menait. Il n'avait pas prononcé un mot sur Isabella depuis qu'ils avaient quitté l'imm
Le matin suivant la confrontation dans la rue, Alma se réveilla avec la sensation d'avoir été prise dans une tempête. Le repas avec Leonard avait été un duel silencieux, une joute verbale où chaque bouchée, chaque regard, était chargé de sens. Il avait parlé de son travail, de ses ambitions, de la complexité de son monde, sans jamais aborder directement l'éléphant dans la pièce – Isabella, ses fiançailles. Alma avait écouté, fascinée malgré elle par l'intelligence acérée de cet homme, par la façon dont son esprit fonctionnait, par la vision quasi prophétique qu'il avait des marchés. Mais au fond d'elle, une alarme retentissait. Il était dangereux. Pas seulement pour son cœur, mais pour sa vie, pour ses principes. Il était le piège dont sa mère l'avait inconsciemment mise en garde, le monde qui broyait les faibles.Elle avait capitulé cette nuit-là, pas devant ses arguments, mais devant sa persistance implacable. Il l'avait raccompagnée jusqu'à sa porte, ses yeux noirs fixés sur elle,
Le lendemain matin, le réveil d'Alma fut un calvaire. Chaque muscle de son corps semblait peser une tonne, et son esprit était un champ de bataille où les souvenirs de la veille s'entrechoquaient avec les lambeaux de son cœur. La scène de la galerie, le sourire d'Isabella, le regard de Leonard, tout cela tournait en boucle, une boucle infernale. Elle avait pleuré jusqu'à l'épuisement, ses draps humides de larmes et de sueur froide. La honte la dévorait, une honte qu'elle connaissait trop bien, celle d'être rejetée, de ne pas être assez bien, d'être reléguée à l'ombre. Elle avait dit qu'elle ne revivrait jamais ça, et pourtant, elle y était, en plein dedans.Se lever fut un acte de pure volonté. Elle se força à prendre une douche froide, espérant que l'eau glacée emporterait une partie de la douleur, mais elle ne fit qu'amplifier le frisson qui parcourait son âme. Devant le miroir, ses yeux étaient cernés, rouges, mais sa mâchoire était serrée, signe de la résolution qui commençait à
Le monde d'Alma s'était brisé en mille éclats. Chaque pas hors de la galerie était une lame qui se plantait plus profondément dans sa chair. Le sourire d'Isabella, son élégance ostentatoire, le mot "fiancée" prononcé par Leonard, tout cela s'était gravé dans sa rétine, dans son cœur, dans son âme. C'était donc cela, la vérité. La voilà, l'humiliation suprême. Elle, la femme de l'ombre, le secret honteux, tandis qu'une autre s'affichait au grand jour, au bras de l'homme qu'elle avait naïvement cru pouvoir toucher.Elle marcha sans but, le vent glacial de Genève fouettant son visage, mais elle ne sentait rien d'autre que la brûlure intérieure. Les larmes, elle les refusait obstinément. Pas dehors. Pas devant ce monde cruel qui semblait se délecter de sa chute. Elle pressa le pas, ses talons claquant sur les pavés comme le rythme frénétique de son cœur. L'air manquait, ses poumons se serraient, et l'envie de hurler, de tout briser, la submergeait. La douleur était si intense qu'elle en
Le quotidien d'Alma était devenu une toile tissée de fils contradictoires : l'éclat enivrant des nuits passées dans les bras de Leonard, et la grisaille oppressante des journées où elle devait jongler avec le secret. Chaque sourire de Leonard, chaque baiser volé, était une ancre qui la retenait à lui, mais aussi une chaîne qui la liait à un avenir incertain, à une position qu'elle n'avait jamais désirée. La tension était une compagne constante, un nœud à l'estomac qui se serrait à chaque appel discret, à chaque rendez-vous dérobé. Elle se surprenait à guetter son téléphone, à espérer son message, tout en se maudissant de cette dépendance grandissante. Leonard, lui, jonglait avec une facilité déconcertante entre ses obligations professionnelles à l'international et leurs rencontres secrètes. Sa possessivité s'affirmait, se traduisant par des gestes, des mots, des cadeaux discrets qui accentuaient le décalage entre leurs deux mondes. Il la traitait comme sa propriété la plus précieuse,