L'air de la salle de conférence, quelques secondes après le départ de Leonard, semblait vibrer encore de sa présence, un parfum subtil et puissant s'attardant comme un fantôme. Alma resta figée, la main encore frissonnante du contact de la sienne, le regard perdu sur la porte fermée. « N'ayez pas l'habitude de pleurer seule. » Les mots résonnaient dans son esprit, une mélodie étrange et persistante qui contrastait violemment avec la froideur habituelle du monde qui l'entourait. Qu'était-il en train de se passer ? Cet homme, le titan des affaires, le célibataire le plus convoité de Genève, venait de la reconnaître, de se souvenir d'un moment de vulnérabilité extrême, et de lui offrir un point de contact direct, privilégié. La stupeur se mêlait à une forme d'euphorie fragile, presque dangereuse.
Elle ramassa ses dossiers d'une main tremblante, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Le mouchoir, son mouchoir brodé, était toujours serré dans son autre main. Il était le symbole de leur première rencontre, un lien mystérieux qui, à l'instant, s'était transformé en une connexion professionnelle inattendue. Sortant de la salle, elle sentit les regards peser sur elle. Ceux des autres directeurs et cadres qui n'avaient pas osé rester après l'ordre de Leonard étaient désormais des balises de curiosité, d'envie, et de méfiance. La nouvelle, inévitablement, allait se répandre comme une traînée de poudre. Le chemin jusqu'à son bureau sembla interminable, chaque pas résonnant dans le silence assourdissant des couloirs vides de la fin de journée. L'entreprise, d'ordinaire si animée, se vidait de ses employés, laissant place à une atmosphère de suspense. Elle poussa la porte de son petit espace de travail, le souffle court. Elle s'assit, le dossier Aether posé devant elle, mais incapable de se concentrer. Son esprit était un tourbillon. Quelques minutes plus tard, la porte de son bureau s’ouvrit avec un claquement sec qui la fit sursauter. Madame Dubois se tenait sur le pas de la porte, le visage livide, les yeux brûlant d'une rage froide. Son sourire habituellement figé avait disparu, remplacé par une grimace de fureur contenue. « Mademoiselle Roustin, » siffla-t-elle, sa voix à peine audible, mais chargée d'une violence qu'Alma connaissait bien. « Que s'est-il passé dans cette salle ? » Alma se redressa, tentant de paraître calme, malgré le nœud qui lui serrait la gorge. « Monsieur Moretti m'a demandé de rester pour discuter plus en détail du dossier Aether et de mes propositions, Madame. » « Ah oui ? » La voix de Madame Dubois montait d'un cran, chaque mot étant craché avec venin. « Et vous n'avez pas jugé bon de m'informer ? De me dire ce que vous alliez manigancer derrière mon dos ? » « Il n'y a eu aucune manigance, Madame, » répondit Alma, essayant de garder un ton neutre. « Monsieur Moretti a simplement apprécié mes analyses et m'a demandé d'être le contact principal pour ce dossier. » « Le contact principal ? » ricana Madame Dubois, un rire amer qui résonna dans le petit bureau. « Mais vous n'êtes qu'une chargée de clientèle ! Qui vous donne le droit de vous adresser directement à un PDG d'un tel calibre, de démanteler le travail de votre supérieure en pleine réunion ? » Ses yeux, injectés de sang, la dévoraient. « Vous avez tenté de me discréditer, c'est ça ? De me voler ma place ? » La tension dans la pièce était insoutenable. Alma sentait la colère monter en elle, une colère sourde qui menaçait de déborder. Après toutes ces années à subir, à encaisser les injustices et les humiliations, cette accusation était la goutte de trop. « Je n'ai fait que présenter la vérité, Madame, » dit-elle, sa voix tremblant à peine, mais avec une fermeté nouvelle. « Des chiffres réels, des problèmes concrets et des solutions. Des choses que vous avez choisi d'ignorer pour ne pas faire de vagues. » Le visage de Madame Dubois se tordit de rage. « Ne me donnez pas de leçons, petite ! Vous ne savez rien de ce monde, de comment les choses fonctionnent. Vous croyez qu'un homme comme Moretti s'intéresse à vos petites analyses ? Il s'intéresse à autre chose, Mademoiselle Roustin. Il s'intéresse à votre joli visage, à votre exotisme. » Elle fit un pas en avant, son index pointé sur Alma. « Ne croyez pas que vous êtes intouchable. Je vais vous faire regretter d'avoir joué à ce jeu. » Alma ne répondit rien. Les paroles blessantes de Madame Dubois la frappaient, mais elle se força à ériger un mur. Elle savait que la jalousie était le moteur principal de cette femme. La menace était claire, mais Alma avait appris à vivre avec les menaces, petites et grandes. Elle avait survécu à bien pire que la fureur d'une supérieure jalouse. Madame Dubois resta là, le souffle court, ses yeux dardant des éclairs, puis, voyant qu'Alma ne cèderait pas, elle pivota brusquement et quitta le bureau avec un nouveau claquement de porte. Le silence retomba, plus pesant encore. Alma ferma les yeux, sentant une fatigue immense l'envahir. La première confrontation directe. Mais le regard de Leonard, sa main, ses mots résonnaient plus fort que la fureur de Madame Dubois. Ce qui venait de se passer était plus qu'une simple promotion professionnelle ; c'était un tournant, le début d'une nouvelle épreuve, d'un nouveau chapitre de sa vie. Les jours qui suivirent furent un tourbillon. La rumeur de l'attention de Leonard Moretti envers Alma se propagea dans l'entreprise à la vitesse de la lumière. Les collègues qui, d'ordinaire, l'ignoraient ou la jalousaient discrètement, se mirent à la regarder différemment. Certains la saluaient avec un sourire forcé, d'autres l'évitaient, d'autres encore, plus audacieux, tentaient de lui arracher des détails sur ce qui s'était passé. Alma répondait avec courtoisie mais sans jamais se départir de sa réserve, alimentant les spéculations. Le travail, lui, était devenu colossal. Comme Leonard l'avait souhaité, toutes les communications concernant le dossier Aether passaient par elle. Elle recevait des mails de son équipe, des demandes d'informations, des rappels de délais serrés. Le rythme était effréné, bien au-delà de ce à quoi elle était habituée. Elle travaillait tard, ramenant des dossiers à la maison, dormant peu. Mais étrangement, une nouvelle énergie l'animait. Ce n'était plus seulement pour sa mère qu'elle se surpassait, c'était aussi pour elle-même, pour prouver à Leonard, mais surtout à elle-même, qu'elle était à la hauteur de la tâche. Chaque matin, en arrivant au bureau, une tension nouvelle l'habitait, un mélange d'anticipation et d'appréhension. Y aurait-il un appel ? Un mail ? Un message direct de Leonard ? Elle se surprenait à vérifier son téléphone plus souvent qu'à l'accoutumée. Et puis, le premier contact direct, en dehors des mails formels de son équipe, arriva. Un soir, tard, alors qu'elle était encore au bureau, un message apparut sur son écran. Ce n'était pas un mail professionnel, mais un simple SMS sur son numéro personnel, un numéro qu'il n'aurait pas dû avoir. « J'espère que le rythme n'est pas trop intense. Vous avez été impressionnante à la réunion. L.M. » Alma regarda le message, son cœur manquant un battement. Leonard Moretti. Son numéro personnel. La possessivité qu'il avait révélée dans le synopsis se manifestait déjà, subtile, troublante. Un simple "L.M." à la fin. Elle sentit ses joues s'empourprer. Il pensait à elle. Il se souciait de son bien-être. Ce n'était pas un simple remerciement professionnel. C'était un pas de plus au-delà de la ligne invisible, un rappel de ce qui s'était passé dans le parc, de ses mots. Elle hésita. Que devait-elle répondre ? Professionnellement ? Personnellement ? Finalement, elle opta pour une courte réponse, un mélange des deux. « Merci, Monsieur Moretti. Le rythme est soutenable. Je ferai le nécessaire pour être à la hauteur. Alma Roustin. » La réponse vint presque immédiatement. « Pas de ‘Monsieur Moretti’ quand il s'agit du rythme de travail, Alma. Leonard suffira. Et je n'en doute pas. Bonne nuit. » Alma relut le message. Alma. Il l'avait appelée par son prénom. Une intimité naissante, audacieuse, presque interdite, s'installait. Leonard. C'était un nom qu'elle ne prononçait que dans ses pensées, associé à une image de pouvoir lointain et inaccessible. Désormais, ce nom était directement lié à elle, à son téléphone. Elle serra son portable contre sa poitrine, un sourire timide flottant sur ses lèvres malgré la fatigue. Le jeu avait bien commencé, et elle sentait qu'elle était déjà en train de s'y perdre, de s'y brûler. Les jours suivants, les messages s'intensifièrent. D'abord professionnels, puis subtilement plus personnels. Leonard lui demandait si elle avait bien dormi, s'il y avait trop de pression, des questions anodines en apparence, mais qui révélaient une attention constante. Alma y répondait, d'abord avec réserve, puis, peu à peu, avec plus de naturel. Elle ne pouvait s'empêcher de sourire en lisant ses messages, une bouffée d'oxygène dans son quotidien difficile. Ces échanges, aussi furtifs soient-ils, créaient un espace intime entre eux. Alma se surprenait à penser à lui en dehors du travail, à imaginer son visage impassible s'éclairer d'un sourire discret. Elle sentait le vertige de cette connexion inattendue, le danger de cette proximité avec un homme qui était à des années-lumière de son monde. Un après-midi, elle reçut un appel de son assistante. Leonard souhaitait la voir le lendemain, tôt le matin, avant le début officiel des heures de bureau, pour une discussion en tête-à-tête sur le dossier Aether. Alma sentit une décharge électrique la parcourir. C'était la première fois qu'il la demandait spécifiquement, en dehors d'une réunion formelle. Elle passa la nuit à revoir tous ses chiffres, tous les aspects du dossier, se préparant à la rencontre. Mais au fond d'elle, elle savait que cette discussion ne serait pas seulement professionnelle. Il y avait une force entre eux qui dépassait les bilans financiers et les stratégies de restructuration.Le baiser de Leonard fut une déflagration silencieuse, mais Alma le sentit résonner jusqu'à la moelle de ses os. Ce n'était plus un simple contact, mais une invasion, un abandon total que son corps, malgré toutes ses résistances, acceptait avec une faim inavouée. Ses lèvres, chaudes et insistantes, ne scellaient pas seulement leur évasion, mais gravaient une promesse interdite au plus profond d'elle. Quand il se recula, leurs souffles courts se mêlaient dans l'air épais de la suite, chargés d'un mélange de désir ardent et d'une culpabilité lancinante. Les larmes d'Alma avaient cessé de couler, laissant des traces humides sur ses joues rougies, mais ses yeux restaient embués alors qu'elle cherchait les siens. Pour la première fois, au-delà du désir vorace, elle y décela une pointe d'urgence, une vulnérabilité brute qui la saisit au dépourvu."Tu ne me feras pas fuir, Alma," avait-il murmuré, et la possessivité dans sa voix résonnait comme une promesse gravée dans le marbre et une mena
L'Alfa Romeo de Leonard dévora l'asphalte, fendant la nuit comme une flèche. À chaque kilomètre avalé, Genève s'éloignait, et avec elle, la suffocante réalité, les regards pesants, les chuchotements de Madame Smith. Alma était assise, silencieuse, le regard perdu dans les lumières qui défilaient, mais à l'intérieur, un tourbillon d'émotions la submergeait. La colère, l'indignation face à l'arrogance de Leonard, le disputaient à une euphorie coupable. Elle avait cédé. Encore une fois. Mais cette fois, c'était pour Milan, pour une évasion imprévue, pour la promesse d'un instant loin de tout.Leonard conduisait avec une décontraction déconcertante, sa main posée sur le volant, l'autre détendue, de temps à autre effleurant sa cuisse. Chaque contact, aussi fugace soit-il, envoyait des décharges électriques à travers Alma. Elle sentait son corps réagir malgré elle, trahissant la guerre intérieure qu'elle menait. Il n'avait pas prononcé un mot sur Isabella depuis qu'ils avaient quitté l'imm
Le matin suivant la confrontation dans la rue, Alma se réveilla avec la sensation d'avoir été prise dans une tempête. Le repas avec Leonard avait été un duel silencieux, une joute verbale où chaque bouchée, chaque regard, était chargé de sens. Il avait parlé de son travail, de ses ambitions, de la complexité de son monde, sans jamais aborder directement l'éléphant dans la pièce – Isabella, ses fiançailles. Alma avait écouté, fascinée malgré elle par l'intelligence acérée de cet homme, par la façon dont son esprit fonctionnait, par la vision quasi prophétique qu'il avait des marchés. Mais au fond d'elle, une alarme retentissait. Il était dangereux. Pas seulement pour son cœur, mais pour sa vie, pour ses principes. Il était le piège dont sa mère l'avait inconsciemment mise en garde, le monde qui broyait les faibles.Elle avait capitulé cette nuit-là, pas devant ses arguments, mais devant sa persistance implacable. Il l'avait raccompagnée jusqu'à sa porte, ses yeux noirs fixés sur elle,
Le lendemain matin, le réveil d'Alma fut un calvaire. Chaque muscle de son corps semblait peser une tonne, et son esprit était un champ de bataille où les souvenirs de la veille s'entrechoquaient avec les lambeaux de son cœur. La scène de la galerie, le sourire d'Isabella, le regard de Leonard, tout cela tournait en boucle, une boucle infernale. Elle avait pleuré jusqu'à l'épuisement, ses draps humides de larmes et de sueur froide. La honte la dévorait, une honte qu'elle connaissait trop bien, celle d'être rejetée, de ne pas être assez bien, d'être reléguée à l'ombre. Elle avait dit qu'elle ne revivrait jamais ça, et pourtant, elle y était, en plein dedans.Se lever fut un acte de pure volonté. Elle se força à prendre une douche froide, espérant que l'eau glacée emporterait une partie de la douleur, mais elle ne fit qu'amplifier le frisson qui parcourait son âme. Devant le miroir, ses yeux étaient cernés, rouges, mais sa mâchoire était serrée, signe de la résolution qui commençait à
Le monde d'Alma s'était brisé en mille éclats. Chaque pas hors de la galerie était une lame qui se plantait plus profondément dans sa chair. Le sourire d'Isabella, son élégance ostentatoire, le mot "fiancée" prononcé par Leonard, tout cela s'était gravé dans sa rétine, dans son cœur, dans son âme. C'était donc cela, la vérité. La voilà, l'humiliation suprême. Elle, la femme de l'ombre, le secret honteux, tandis qu'une autre s'affichait au grand jour, au bras de l'homme qu'elle avait naïvement cru pouvoir toucher.Elle marcha sans but, le vent glacial de Genève fouettant son visage, mais elle ne sentait rien d'autre que la brûlure intérieure. Les larmes, elle les refusait obstinément. Pas dehors. Pas devant ce monde cruel qui semblait se délecter de sa chute. Elle pressa le pas, ses talons claquant sur les pavés comme le rythme frénétique de son cœur. L'air manquait, ses poumons se serraient, et l'envie de hurler, de tout briser, la submergeait. La douleur était si intense qu'elle en
Le quotidien d'Alma était devenu une toile tissée de fils contradictoires : l'éclat enivrant des nuits passées dans les bras de Leonard, et la grisaille oppressante des journées où elle devait jongler avec le secret. Chaque sourire de Leonard, chaque baiser volé, était une ancre qui la retenait à lui, mais aussi une chaîne qui la liait à un avenir incertain, à une position qu'elle n'avait jamais désirée. La tension était une compagne constante, un nœud à l'estomac qui se serrait à chaque appel discret, à chaque rendez-vous dérobé. Elle se surprenait à guetter son téléphone, à espérer son message, tout en se maudissant de cette dépendance grandissante. Leonard, lui, jonglait avec une facilité déconcertante entre ses obligations professionnelles à l'international et leurs rencontres secrètes. Sa possessivité s'affirmait, se traduisant par des gestes, des mots, des cadeaux discrets qui accentuaient le décalage entre leurs deux mondes. Il la traitait comme sa propriété la plus précieuse,