CHAPITRE 6

— Cet homme que tu as rencontré hier c’était lui ?

Merde. Elle s’en souvenait maintenant sa fille était née avec ce don particulier. Daniella pouvait projeter des images dans l’esprit des autres, leur montrer ce qu’elle avait vu ou vécu. Elle pouvait aussi percevoir le passé et parfois même entrevoir l’avenir.

Un don aussi fascinant que terrifiant.

— Non, chérie c’est juste un vieil ami, répondit Laurie.

Ses deux frères, eux aussi, savaient pour le don de Daniella. Ils comprirent aussitôt qu’elle avait vu quelque chose.

— Le déjeuner est servi !

lança Martine depuis l’embrasure de la porte.

L’odeur du bacon croustillant et des œufs brouillés dont elle avait le secret envahit la pièce. Les enfants sourirent aussitôt.

— J’ai trop faim !

s’exclama Dan.

Pourtant, même à table, il attendit que Daniel se serve le premier. Laurie observait cela avec tendresse. Il se comportait déjà comme dans une meute, sans même en avoir conscience.

Et comme toujours, Daniel servit d’abord sa mère et sa petite sœur. Les assiettes remplies, les enfants mangèrent avec appétit.

— J’aimerais te parler de quelque chose,

dit Martine, d’un ton plus grave qu’à l’accoutumée.

Laurie leva les yeux vers elle.

— J’ai trouvé une lettre dans le cahier de Dan,Je crois qu’ils sont victimes de harcèlement à l’école.

— Ah bon ?

répondit Laurie, le cœur un peu serré.

Ses deux boulots l’épuisaient. Le plus grand risque, c’était justement de ne pas avoir assez de temps pour ses enfants.

— Les autres enfants se moquent de nous parce qu’on n’a pas de papa,

avoua Daniella, en mâchant un morceau de bacon.

— Mais moi je sais qu’on en a un !

ajouta-t-elle fièrement après avoir avalé.

— Bien sûr qu’on en a un. C’est juste qu’il est au ciel,

enchaîna Dan.

— Exactement ! Maman nous l’a déjà dit ! Si seulement Daniella pouvait arrêter de dire qu’il est toujours sur cette terre ! C’est à cause de ça que les autres se moquent de nous,

dit Daniel d’une voix calme mais ferme.

— N’oublie pas que c’est aussi parce que toutes les filles sont amoureuses de toi et de Dan . Alors les garçons vous détestent tous les deux,

répliqua Daniella pour ne pas porter seule la faute.

— Ça t’arrange bien quand elles font tout pour te plaire parce que tu es notre petite sœur,

lança Daniel avec un petit sourire.

— Oui maman ! Elles me donnent leurs goûters, même des jouets parfois,

avoua Daniella.

Martine souriait de bon cœur. Elle n’en doutait pas une seconde : leurs beaux yeux bleus, leur nez fin et leurs traits bien dessinés faisaient déjà tourner toutes les têtes.

— Et toi, tu n’as pas d’amoureuse, mon bébé ?

demanda Laurie à Daniel , taquine.

— Non. Elles sont toutes sans intérêt,

répondit-il, l’air détaché.

Laurie et Martine échangèrent un regard amusé.

— Je passerai voir votre proviseur. Il faut que ça cesse,

affirma Laurie en se levant.

Chacun se prépara. Martine aida les enfants, puis Laurie les accompagna jusqu’à l’arrêt de bus avant de partir elle-même au travail.

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Une fois en tenue, elle prit place à son poste. Margo était déjà là.

— Ce type trop mignon, là-bas, t’attend depuis un bon moment,

fit-elle en désignant Clark du doigt.

Margo enviait secrètement Laurie. Cette fille avait tant de chance. Les hommes tous aussi beaux que riches ne se lassaient pas de lui faire la cour.

Et pourtant, elle les repoussait tous.

— Si seulement j’avais son physique .

murmura Margo en observant Laurie s’approcher de Clark. Elle, elle avait hérité d’un corps plat et raide.

Clark se leva dès qu’il la vit arriver.

— Viens, on va s’asseoir quelque part, pas loin, pour discuter tranquillement.

— Je dois bosser.

— Tu préfères que ce soit Damien qui vienne, la prochaine fois ?

Ce nom la frappa comme une gifle. Huit ans qu’elle ne l’avait pas entendu. Clark avait visé juste. Laurie, alias Émilie, fuyait Damien.

Elle le suivit sans un mot. Il passa devant elle, et elle retourna brièvement à l’accueil.

— Margo, je reviens dans dix minutes. Couvre-moi, s’il te plaît.

Margo, surprise, acquiesça, déconcertée.

— Heu… okay.

Elle les regarda sortir, toujours sous le choc car s’était une première, en général son amie les envoyaient bouler.

Installés rapidement à une table dans un petit restaurant, ils commencèrent à parler.

— Clark, je suis désolée si tu as eu des problèmes à cause de moi. Mais d’après ce que je vois, tout s’est bien terminé pour toi.

— Je n’ai rien contre toi. Mais si moi j’ai réussi à te retrouver, Damien peut le faire aussi. Pourquoi avoir choisi New York pour te cacher ?

Elle haussa les épaules.

— Le meilleur moyen de se cacher, c’est de ne pas se cacher. Et j’ai toujours voulu visiter New York.

— Voilà ce que je te propose , je te donne dix millions de dollars en échange, tu t’installes en Haïti, au Burkina, ou dans un coin paumé de la planète. Là-bas, Damien ne te retrouvera jamais.

Laurie resta sans voix.

— Là-bas, il ne te croisera pas. Jamais.

Mais Clark ne parlait pas seulement de Damien. Il pensait surtout à Nate. Si Laurie disparaissait complètement, Nate ne risquait plus de tomber sur elle.Ainsi son obsession de venger son frère ne recommencerait pas .

— Pourquoi fais-tu ça ?

demanda-t-elle, les yeux plissés. Elle savait que rien n’était gratuit.

— Dis-toi que c’est juste un ami qui aide un autre.

L’idée était tentante. Elle y avait déjà pensé. Mais quelque chose sonnait faux. Était-ce un piège ? Et surtout elle n’était plus seule. Trois petites vies dépendaient d’elle.

— Je vais y réfléchir.

Clark soupira bruyamment.

— Soit tu acceptes, soit j’informerai Damien de ta position.

Elle le fixa, choquée. À quoi jouait-il ? Elle avait compris qu’il ne faisait pas ça pour elle. Mais alors pour qui ? Pour quoi ?

— Tout sera prêt pour ton départ d’ici une semaine. En attendant reste morte.