Le portable vibra sur mon bureau en acajou, entre deux dossiers de comptes. Je jetai un œil à l’écran : Emma. Ma cousine.
Je savais déjà que ça allait être chiant.
— Quoi encore ? grognai-je en décrochant, sans même la saluer.
— Bonjour à toi aussi, Noah, fit-elle d’un ton ironique. T’es libre deux minutes ?
— Pas vraiment, j’ai une réunion dans dix minutes, mais vas-y, crache ton venin.
Elle souffla, comme si elle savait que j’allais râler.
— J’ai besoin d’un service.
Évidemment. Toujours. Jamais un “comment tu vas”, jamais un “bravo pour le taf”. Non, avec Emma c’était toujours des combines.
— J’écoute, dis-je en m’adossant à mon fauteuil.
— Tu pourrais héberger une amie à moi. Juste quelques mois, le temps qu’elle s’installe à Paris.
Je fermai les yeux. J’avais pas que ça à foutre. Mon appart était grand, oui, mais c’était MON appart. Mon seul coin tranquille quand je sortais de l’hôtel.
— Sérieusement, Emma, tu me prends pour Airbnb ?
— Noah, sois pas con. T’es jamais là. Ton appart est vide neuf jours sur dix. Autant qu’il serve à quelqu’un.
Je serrai les dents. Elle marquait un point. Mais partager mon espace avec une inconnue ? Hors de question.
— Non.
Silence. Puis son arme secrète :
— C’est Tessa.
Je me redressai d’un coup, comme si le nom m’avait électrocuté.
— Attends… quelle Tessa ?
— Tu sais très bien de qui je parle.
Putain.
Je pinçai l’arête de mon nez, un juron muet aux lèvres. Voilà le piège.
Tessa.
L’été de mes dix-huit ans.
Son sourire insolent. Ses yeux noirs qui me défiaient. Sa bouche qui avait goûté à la mienne.
Et sa confiance, que j’avais brisée comme un con.
Je lâchai un rire amer.
— Non mais tu rêves, Emma. Elle va jamais accepter de vivre chez moi. Elle me déteste.
— Justement. Elle croit que c’est Paul qui l’héberge.
Je me figeai.
— … QUOI ?
— J’ai pas eu le choix, Noah. Si je lui avais dit que c’était toi, elle aurait refusé direct. Et elle a besoin de ce logement, tu comprends ? Elle démarre son BTS, elle a pas une thune.
Je me laissai tomber contre le dossier de mon fauteuil, les yeux rivés au plafond. Génial.
Dans moins de vingt-quatre heures, Tessa allait débarquer dans mon appart en croyant tomber sur mon cousin.
Emma continua, implacable :
— Tu n’as qu’à faire comme si de rien n’était. De toute façon, tu passes ton temps à l’hôtel. Tu ne la verras presque jamais.
Je grognai.
— Tu me connais, Emma. Tessa va me haïr dès qu’elle me verra. Elle va faire la gueule, m’insulter, et claquer la porte.
— Ou pas, répondit ma cousine d’une voix douce. Peut-être que c’est l’occasion de… je sais pas… tourner la page ?
Je ricanais. Tourner la page ? J’avais pas besoin de tourner la page. C’était elle qui avait besoin de grandir. Moi, j’avais juste été… moi. Un ado qui s’amusait, qui testait. Elle avait cru que c’était plus. Pas mon problème.
Enfin… c’est ce que je me répétais depuis des années.
Je terminai la conversation sèchement :
— Trois mois max. Après, elle dégage.
— Merci Noah ! T’es le meilleur ! lança Emma avant de raccrocher.
Je restai là, portable à la main, le cœur battant plus vite que je ne voulais l’admettre.
Putain.
Tessa.
Le flash me revint comme un coup de poing.
L’été brûlant. Le jardin de mon oncle, les soirées sous les lampions, les rires, les bières volées.
Tessa en short, les cheveux en bataille, les pieds nus dans l’herbe.
J’avais dix-huit ans, elle en avait seize. Elle m’avait regardé comme si j’étais son univers.
Je me souvenais de sa main dans la mienne. De sa voix quand elle avait murmuré “je te fais confiance”.
Et moi, comme un con, j’avais pris ce qu’elle m’offrait… avant de la jeter, de la ridiculiser devant les autres.
Je me revoyais, fier, condescendant, jouant au mec indifférent.
Alors qu’au fond, j’avais juste flippé.
Depuis, chaque fois que je pensais à elle, c’était comme une écharde dans ma mémoire.
Je secouai la tête, me levant d’un bond. Pas question de me laisser ramollir par des souvenirs. J’étais Noah Delcourt, fils d’un milliardaire, manager d’un hôtel de luxe en plein cœur de Paris. J’avais pas le temps pour la nostalgie.
Tessa pouvait bien débarquer, faire la gueule, m’insulter.
Moi, j’avais une réunion avec des investisseurs japonais dans dix minutes.
J’avais un empire à gérer.
Elle, elle n’était qu’un fantôme de mon passé.
Enfin… c’est ce que je me persuadai en enfilant ma veste.
TESSAL’alarme de mon portable sonna à six heures pile. Je sursautai, me jetai sur mon téléphone pour couper le vacarme, et faillis m’étaler de tout mon long en butant contre une chaussure qui traînait au milieu de la chambre.— Putain… Le mot m’échappa, plus fort que la sonnerie elle-même. Je coupai l’alarme d’un geste sec, les doigts crispés sur l’écran, et restai immobile quelques secondes, à l’écoute. Rien. Silence total.Un silence lourd, presque oppressant. Comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle.Je tirai les rideaux. Les premiers rayons du soleil envahirent la pièce, dessinant des ombres pâles sur le parquet. L’air déjà chaud me donna l’impression d’être enfermée dans un four. Septembre à Paris. Rien à voir avec les matins frais de ma campagne. Ici, la ville s’imposait, étouffante, saturée de chaleur et de bruit latent.Je fouillai dans ma valise, les gestes encore engourdis, pour attraper ma tenue de sport. Le tissu froid du short et du débardeur me glaça les doig
NoahBérénice, c’était le calme dans le chaos. La seconde meilleure amie de Tessa, celle qui ne faisait jamais de vagues mais qui savait toujours où poser les mots, ou les silences. Douce, patiente, rassurante — une sorte de refuge ambulant. Avec elle, Tessa se sentait safe. Pas besoin de jouer un rôle, pas besoin de se défendre.Physiquement, Bérénice avait ce charme voluptueux qui ne cherchait pas à séduire, mais qui captait les regards malgré elle. Une blonde aux cheveux mi-longs, souvent lâchés en vagues naturelles, avec cette couleur entre le miel et le sable. Ses yeux turquoise, clairs comme une mer d’été, semblaient toujours poser des questions sans jamais juger. Sa peau était pâle, douce, presque diaphane, et ses traits avaient quelque chose de paisible, comme si elle avait été dessinée pour apaiser.Elle avait un corps généreux, assumé sans provocation. Une poitrine pleine, qui dessinait sa silhouette avec douceur. Des hanches rondes, un fessier ferme et bien proportionné, un
NoahJe refermai la porte de ma chambre d’un coup d’épaule, lessivé. La journée avait été une merde interminable — entre les comptes du casino qui ne collaient pas, un fournisseur qui menaçait de tout plaquer, et un client VIP qui m'avait emmerdé pour un mini bar pas assez garnie parce que “c’est comme ça à Monaco”. J’avais déjà pris ma douche à l’hôtel, entre deux crises, alors il ne me restait plus qu’à m’écrouler dans mon lit comme un sac de sable.En temps normal, je n’étais là que le week-end, quand j’avais envie de fuir l’hôtel et ses obligations. Parfois, je disparaissais carrément, direction un palace à Deauville ou un chalet en Suisse, avec Béatrice ou une autre. Tout dépendait de mon humeur. Ou de ma capacité à tenir debout.Je balançai ma chemise par terre, gardai mon boxer, et m’affalai sur les draps frais. Trop frais. L’appart surchauffait, même avec la fenêtre grande ouverte sur le balcon. Septembre à Paris, c’était ça : une chaleur lourde, collante, qui vous rappelait q
TessaLa porte d’entrée claqua. Joris avait marmonné un “à demain” et j’avais cru qu’il s’en allait enfin, lui aussi.Le silence tomba quelques secondes, puis un grésillement discret me parvint : la télé, allumée en sourdine.Je fronçai les sourcils.Il était encore là.Je restai assise sur mon lit, immobile, attentive. Peut-être qu’il finirait par filer ? Mais non : j’entendis le canapé grincer, des pas lourds résonner sur le parquet.Il allait sûrement dormir ici.Et moi, avec toute cette eau avalée et ma vessie en rébellion, je n’en pouvais plus. J’avais besoin des toilettes. J’ouvris ma porte et sortis sur la pointe des pieds.Mais le parquet ne pardonne pas : ça couine, même quand on n’est pas lourde.Comme par hasard, il était là. En plein milieu du couloir.— Tu as besoin de quelque chose ? demanda Noah.Je pris une inspiration, crispée.— Non.Un silence, puis il s’avança encore. Il s’arrêta juste devant moi, imposant.— La salle de bain est juste là, au cas où, dit-il simplem
TessaJe franchis le seuil sans un mot, le menton haut, comme si je n’avais pas passé deux heures à poireauter dans le couloir.Joris s’écarta, toujours hilare, ses éclats de rire résonnant comme une insulte dans l’appartement surchauffé. Je l’ignorai, mes yeux glissant sur lui comme sur un meuble encombrant. Noah, adossé au mur près de la porte, la referma derrière moi avec un claquement sec qui me fit sursauter.— Tu veux boire quelque chose ? lança-t-il, sa voix teintée d’une provocation tranquille, comme s’il testait jusqu’où il pouvait pousser ma patience.— Je veux du silence, répondis-je, les dents serrées, sentant encore l’humiliation s’accrocher à chaque fibre de mon corps.Il haussa les épaules, un sourire en coin, et retourna s’affaler sur le canapé, reprenant sa manette comme si je n’étais qu’un courant d’air. Le salon empestait la pizza froide et la bière, vestiges d’une soirée improvisée entre mecs. Joris s’installa à côté de lui, mais son rire s’était éteint, remplacé
Tessa Quand je franchis la porte cochère de l’immeuble, mon portable vibra. Anaïs m’avait envoyé un message : “Tu es bien arrivée ? Tu me manques déjà.”Je serrai les dents pour ne pas pleurer.Je pris une photo rapide de l’entrée, du tapis rouge élimé, et lui répondis : “Oui ma chérie, tout va bien. Je te raconterai demain.”L’ascenseur grinça en montant. J’avais hâte de me glisser sous mes draps et de fermer les yeux.Sauf que.En fouillant dans mon sac, je sentis mon cœur s’arrêter.Pas de clés.Rien.Je fouillai une fois, deux fois, trois fois. Je renversai presque le contenu sur le sol du couloir. Mon téléphone, ma bouteille d’eau, mon carnet, mon portefeuille… mais pas ce foutu trousseau.Je dus l’avoir laissé sur la table de nuit en partant.L’angoisse me saisit à la gorge. J’étais enfermée dehors. Comme une idiote.Je m’approchai de la porte, collai mon oreille.Un bruit. Des voix. Un éclat de rire.La télé ? Non. Plus rythmé. Plus constant. Une manette, des pas rapides. Des