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sous le velours
sous le velours
Author: Heart flower

chapitre :1

Author: Heart flower
last update Last Updated: 2025-10-12 17:54:48

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Le matin gris de la ville sentait toujours le café rance et la pluie nocturne évaporée, un parfum âcre qui collait aux pierres humides des ruelles étroites où vivait Elara Vance. Son antre, un petit appartement niché au troisième étre d’un immeuble qui semblait lutter contre le temps, ne payait vraiment pas de mine. Les murs, écaillés par l’humidité tenace, ressemblaient à une carte de géographie fantôme, traçant les cicatrices d’un passé oublié. Pourtant, contre toute attente, c’était son havre. Un refuge modeste qu’elle avait patiemment apprivoisé : des plantes vertes, guerrières résilientes, sur le rebord de la fenêtre, des livres entassés comme des remparts contre l’ennui, et un vieux rideau de velours bleu, pâli par le soleil, qui transformait la lumière crue du matin en une lueur d'aquarium, douce et mystérieuse.

Ce jour-là, comme tous les autres, Elara émergea du sommeil avant l’aube. Le tic-tac sourd de la petite horloge mural scandaient les secondes dans la pénombre : 5h45. D’un mouvement vif, presque mécanique, elle enfila son armure du quotidien l’uniforme noir et blanc, strict, le tablier immaculé et emprisonna sa crinière de cheveux châtains en une queue-de-cheval haute, sévère. Dans le miroir terni, ses yeux noisette, cernés d’un halo de fatigue, brillaient d’une détermination farouche, comme une braise sous la cendre.

Le Velours Pourpre, le restaurant où elle œuvrait depuis trois ans, était un temple de la gastronomie, un lieu bruissant de murmures et de cliquetis de cristal. Il appartenait à Marius Croft, un homme au charme aussi tranchant qu’un couteau de chef, la quarantaine triomphante, vêtu d’élégance et de secrets. Pour Elara, chaque shift dans ce palace culinaire était une grâce, un ticket inespéré pour frôler un monde qui n'était pas le sien. Mais cette chance se payait cash : des clients aux sourires de glace, des heures interminables à martyriser ses pieds, et l’obligation de sourire, toujours, d’arborer une sérénité de façade même lorsque le doute ou l’épuisement lui rongeaient les entrailles.

Elle dévala les escaliers en colimaçon, spirale étroite qui sentait le chou et la cire, et adressa un signe de tête bref à Mme Dubois, la voisine du premier, une silhouette fripée qui guettait le monde derrière son judas. Puis elle plongea dans la rue, encore luisante des averses de la nuit. La cité s’étirait, paresseuse : les bus grognaient au loin, les boulangers dérouillaient leurs rideaux de fer dans un crissement métallique, et les journaux frais s’empilaient sur les trottoirs avec un claquement sec. Elara enfonça ses écouteurs dans ses oreilles et fit jaillir sa bande-son, un mélange envoûtant de mélodies douces-amères qui transformait sa marche en scène d’ouverture, chaque pas la rapprochant d’un destin qu’elle sentait vibrer au-delà de l’horizon.

Le trajet jusqu’au restaurant durait vingt minutes. Vingt minutes de liberté volée. Elle se gorgeait de ces instants précieux où elle pouvait dévorer des yeux les vitrines, déchiffrer les vies pressées des inconnus… C’était son oxygène, le souffle qui alimentait ses rêves d’évasion, d’une existence plus vaste, plus audacieuse. Mais invariablement, la réalité, telle une marée, finissait par la rattraper.

En poussant la lourde porte du Velours Pourpre, l’atmosphère changeait instantanément. L’air, maintenant chargé des effluves de cuir, de café frais et de parfums chers, était électrique. Elle trouva Marius, déjà, en conciliabule serré avec le chef, une conversation à voix basse qui se figea net à son entrée.

—« Elara », lança-t-il, sa voix un velours posé sur de l’acier. Un sourire se dessina, mais il n’atteignit pas tout à fait ses yeux, gris et perçants.

—« Bonjour, monsieur Croft », répondit-elle en glissant son sac dans le vestiaire, le cœur battant un peu plus vite sous sa carapace professionnelle.

—« Ce soir, Elara. Un dîner privé. Capital. » Son regard se fit plus intense, presque lourd. « Je vous mets sur les tables du fond. Soyez mes yeux et mes oreilles. La perfection, rien d’autre. »

—« Compris, monsieur. »

Elle savait que ces « dîners privés » drainaient l’élite et l’ombre : politiciens au sourire de circonstance, magnats de l’industrie, et parfois des visages plus troubles, qu’on ne s’attendait pas à croiser en pleine lumière. Marius, lui, naviguait dans ces eaux avec une aisance déconcertante, portant ses secrets comme il portait ses costumes sur mesure avec une élégance qui désarmait toute question.

Elara se jeta dans le service du matin, alignant les tasses avec une précision d’horloger, polissant les verres jusqu’à ce qu’ils crient de propreté, accueillant les premiers clients avec un sourire calibré, chaleureux mais distant. Au fond d’elle, une partie d’elle aimait cette danse. La frénésie contrôlée, le ballet des serveurs, les confidences volées aux tables. Mais une autre partie, plus instinctive, sentait le danger. Elle avait appris à lire les non-dits, les silences qui en disaient trop, les regards échangés en coup de vent. Elle savait que dans ce temple des apparences, certaines conversations n’étaient que la partie émergée d’un iceberg de mystères, et qu’il valait mieux, pour sa propre sécurité, feindre l’ignorance.

Ce qu’Elara ne pouvait pas savoir, alors qu’elle ajustait la nappe d’une table en frôlant de ses doigts le lin immaculé, c’est que ce dîner, précisément, allait faire basculer son existence. Que derrière les rires cristallins, les épaules nues et les costards sommes, se dissimulait un jeu bien plus dangereux qu’elle n’aurait pu l'imaginer. Et qu’avant la fin de la nuit, un seul regard, croisé dans la pénombre dorée, allait l’entraîner dans un tourbillon dont elle ne sortirait pas indemne. Le velours, après tout, n’est souvent qu’un doux piège pour masquer l’acier.

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