Le crépitement discret du serveur distant s’affichait en lignes de codes sur l’écran d’Émilia. Les heures défilaient, rythmées par le cliquetis régulier de ses doigts sur le clavier, tandis qu’elle peaufinait les derniers éléments de son rapport. Mais en réalité, ce n’était pas uniquement le rapport qu’elle peaufinait. Depuis quelques jours, elle avait commencé à exécuter les instructions de ses commanditaires.Le plan s’était enclenché juste après son premier échange avec Julian et l’intégration officielle à l’équipe d’analyse avancée. L’accès qu’on venait de lui ouvrir lui permettait de poser ses premiers jalons : discrètement, presque innocemment, elle répertoriait les structures de dossiers du projet M-Vector, identifiait les serveurs rattachés, notait les adresses internes des répertoires sensibles. Rien d’illégal en apparence ; seulement de la préparation.Elle avait débuté par analyser les rapports de conformité financière. Ensuite, elle avait cartographié les croisements jurid
Quelques semaines s’étaient écoulées depuis qu’Emilia avait intégré l’équipe chargée de M-Vector. Les échanges réguliers avec Lucien Brémaud s’étaient installés dans une routine professionnelle maîtrisée. Malgré les souvenirs douloureux qu’il réveillait en elle, Céleste parvenait à maintenir une distance convenable. Mais elle savait qu’à chaque pas, le terrain devenait plus instable. Plus elle avançait, plus le gouffre se creusait sous ses pieds. Ce matin-là, une nouvelle convocation tomba. Sobre. Officielle. « Rencontre de suivi — Monsieur Vale souhaite échanger personnellement. » Son cœur battit un peu plus vite. Jusqu’ici, Julian s’était montré présent, attentif, mais toujours à travers le prisme des réunions collectives ou de validations ponctuelles. Cette fois, c’était différent. Un tête-à-tête formel. Elle inspira profondément en montant dans l’ascenseur de verre. Les étages défilaient, lentement, inexorablement. À chaque niveau, la tension montait, oppressante. Une frontièr
Le lendemain, dès l’aube, Emilia s’était plongée dans les documents que Lucien lui avait transmis après la réunion. Des centaines de pages de contrats, de projections financières et de schémas industriels détaillant chaque rouage du projet M-Vector. Derrière la complexité des chiffres, elle cherchait ce qu’on attendait d’elle : les failles. Mais quelque chose clochait. Tout semblait… trop parfait. La porte de son bureau s’ouvrit légèrement. Daniel passa la tête, son éternel sourire aux lèvres. — Salut Emilia. Lucien te demande dans la salle 17-C. Il veut qu’on revoie ensemble la planification opérationnelle. Elle acquiesça avec un sourire poli. — Merci, j’arrive. Tout en rassemblant ses dossiers, elle sentit à nouveau ce pincement désagréable au creux de l’estomac. Depuis leur première rencontre, Lucien Brémaud exerçait sur elle une pression sourde, difficile à définir. Pas de la méfiance explicite, non… Plutôt un sentiment diffus d’être observée avec un œil d’une acuité inqui
Le lendemain matin, Emilia gravit les marches menant à la salle de réunion, la tête pleine de pensées contradictoires. Son badge clignota vert sans heurt, mais elle n’en retira aucun soulagement — juste une étrange sensation d’appartenance, ou peut-être d’enfermement. Maintenant, elle faisait partie d’EverCore. Ce constat la troublait plus qu’elle ne l’aurait imaginé. Sous son calme apparent, la tempête grondait. La veille, la conversation avec Julian avait laissé une empreinte difficile à effacer. Ce n’était pas seulement son professionnalisme ou sa façon de la sonder du regard qui l’avaient marquée. Il y avait eu chez lui une nuance inattendue, un mélange d’autorité, d’intelligence et — elle hésitait à le reconnaître — d’attention. Un éclat dans ses yeux qui l’avait déstabilisée, un instant, la ramenant à des sensations qu’elle croyait rangées au placard. Elle s’en voulait de s’attarder sur ces détails. Elle était venue pour manipuler cet homme, pas pour se laisser troubler. Pour
Julian faisait tourner son café dans la tasse, distrait, les yeux posés sur les chiffres d’un tableau qu’il ne lisait plus. Depuis le matin, il avait enchaîné les réunions, les synthèses d’analyses stratégiques, les messages urgents venus de Londres et de Singapour. Et pourtant, depuis une heure, une seule pensée continuait de faire surface, comme un écho discret mais persistant : Emilia Carter.Il l’avait convoquée la veille au soir pour lui annoncer qu’elle serait intégrée au projet mVector en tant qu’analyste dédiée. Une décision qui s’était imposée presque naturellement après son initiative lors de l’incident technique. Mais ce qu’il n’avait pas anticipé, c’était sa propre réaction face à elle. Sa posture droite, sa voix claire mais prudente, son regard un peu trop fuyant pour être indifférent… Il n’avait pas été préparé à ce que cette rencontre laisse une impression.Il reposa sa tasse avec un soupir discret. Une autre image surgit dans son esprit : celle d’Emilia quittant la sal
Le lendemain, l’atmosphère avait changé. L’annonce de sa nomination au comité de supervision du projet M-Vector s’était répandue aussi vite qu’un éclair dans un ciel d’orage. Certains la félicitaient à voix haute, d’autres se contentaient d’un regard mi-curieux, mi-soupçonneux. Mais dans son esprit à elle, un seul nom résonnait, encore et encore, comme un battement sourd : Lucien Brémaud. Il figurait sur le document transmis par la direction ce matin-même : organigramme de travail, répartition des missions, équipes rattachées au comité. Lucien était mentionné en tant que consultant externe rattaché à la branche partenariats stratégiques. Et elle allait devoir travailler avec lui. Ses doigts s’étaient crispés sur le dossier imprimé. Elle l’avait lu et relu, espérant une erreur, une confusion de nom. Mais non. C’était bien lui. Elle s’était levée de son bureau, comme pour échapper au vertige. L’open space semblait soudain flou, les conversations assourdies. Elle s’adossa à une clo