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Chapitre 5 – Le venin sous la peau

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-05-07 22:42:23

Lior

Le monde a un goût différent depuis que je l’ai vue. Comme si chaque détail portait maintenant son empreinte. Comme si chaque silence avait sa voix en écho.

Maya.

Ce prénom ne me quitte pas. Il m'habite. Il racle mes nerfs, il colle à mes pensées. Ce n'est pas une obsession, non. C'est pire. C'est une évidence. Comme une faim que rien ne peut étancher, à part elle.

Je la revois, concentrée, penchée sur mon dos, ses doigts fins effleurant ma peau avec la même délicatesse qu’un souffle. Elle m’a lu comme on déchiffre une cicatrice, lentement, méthodiquement, avec cette douleur silencieuse dans les yeux. Elle ne sait pas ce qu’elle a réveillé.

Ce matin, je retourne à elle. Je n’ai pas dormi. Je n’ai pas besoin. J’ai passé la nuit à relire chaque geste, chaque mot qu’elle n’a pas dit. Elle a cru me repousser, mais je l’ai sentie faiblir. Et ce fléchissement... c’est ma victoire.

Le studio est fermé quand j’arrive. Huit heures. J’attends. Dos au mur, bras croisés. Certains fument pour passer le temps. Moi, j’écoute le silence. J’écoute le monde respirer. Et j’écoute surtout ce que mon corps hurle sans que je puisse l’arrêter : je la veux.

À huit heures quarante, elle arrive. Manteau trop large, regard dissimulé sous des lunettes de soleil inutiles. Elle me voit. Elle ne s’arrête pas. Elle déverrouille la porte sans un mot. Je la suis. Évidemment.

— Tu es en avance, grogne-t-elle.

— Je suis impatient.

Elle retire ses lunettes. Son regard est cerné, mais brûlant. Fatiguée, et pourtant magnifique dans cette fatigue. Une femme qui lutte contre un feu intérieur.

— Assieds-toi. Je vais préparer le matériel.

Je m’installe. Torse nu. Bras détendu. Mais à l’intérieur, c’est le chaos. Elle me fait cet effet. Elle me désarme là où d’autres n’ont jamais eu prise.

Elle revient avec l’aiguille et l’encre noire.

— Le motif, tu ne veux pas le revoir une dernière fois ?

— Non. Je te l’ai confié.

Elle marque un arrêt. Elle ne s’attendait pas à cette confiance. Ou peut-être qu’elle sent ce qu’il y a derrière : ce n’est pas de la confiance, c’est une offrande.

Elle nettoie la zone, doucement. Ses doigts sont glacés. Ou c’est ma peau qui brûle. Je ne sais plus.

Puis l’aiguille commence à vibrer.

La douleur est immédiate. Pure. Elle trace dans ma chair ce qu’elle a imaginé avec son cœur. Et moi, je reste là. Immobile. Chaque point d’encre est comme une morsure. Et je ne veux rien d’autre. Je veux qu’elle me marque. Qu’elle laisse en moi quelque chose d’elle. Un souvenir. Un fragment. Un poison doux.

Le temps passe. Deux heures. Trois. Elle ne parle pas. Mais elle respire plus fort. Je l’entends malgré le bourdonnement de la machine. Elle se bat contre ce qu’elle ressent. Et plus elle résiste, plus elle me donne envie de la briser.

Je parle enfin.

— Tu crois en ce que tu fais ?

Elle relève les yeux, surprise par la question.

— Oui.

— Et tu crois en moi ?

— Je ne crois pas en ce qui me fait peur.

Je souris. Elle avoue. Je suis sa peur. Parfait.

— Alors tatoue-moi ta peur.

Elle hésite, l’aiguille suspendue au-dessus de ma peau.

— Tu veux que je laisse une trace de moi ?

— Je veux que tu laisses une trace que seul moi je peux porter.

Elle m’observe. Longuement. Puis elle reprend. Cette fois, je sens la différence. C’est plus personnel. Plus vif. Presque intime.

Elle me donne une partie d’elle.

À la fin, elle s’écarte. Elle nettoie le dessin en silence. Et quand elle tend le miroir, je découvre ce qu’elle a fait.

Un dragon. Noir et éclaté, courbé sur ma cicatrice. Mais ce n’est pas un dragon de conte. Il est brisé, sauvage, les ailes incomplètes. Il ne vole pas, il rampe. Il saigne encore. Mais il tient bon. Et dans son œil, elle a glissé une touche d’or.

Moi.

Je me relève, lentement. Elle me tend un tissu pour me couvrir. Je ne le prends pas. Je la fixe.

— Tu as mis quelque chose de toi, là-dedans.

Elle recule d’un pas.

— C’est un travail, Lior.

— C’est une confession.

Elle serre les dents. Elle refuse de plier. J’admire ça.

Alors je fais ce que je n’avais pas prévu. Je m’approche. Je prends son poignet.

Elle ne bouge pas.

Je le relève à hauteur de mes lèvres.

— Tu me marques, je te marque.

Je baisse lentement la tête et je dépose un baiser là, juste au creux de sa peau, là où la veine palpite.

Elle halète. Une inspiration trop courte. Trop vive. Son corps trahit ce qu’elle veut cacher.

— Arrête, souffle-t-elle.

— Dis-moi de sortir, et je sors.

Elle ne dit rien. Elle tremble.

Alors je relâche son poignet. Je recule.

— Je reviendrai, Maya.

— Pourquoi ?

— Parce que tu as réveillé quelque chose que tu ne contrôles plus.

Je la laisse là. Le silence est plus lourd que mille cris. Mais je sais. Elle m’a tatoué la peau, moi je suis déjà en train d’écrire en elle. L’encre n’est pas encore visible, mais elle est là. Elle coule doucement, lentement.

Et bientôt, elle ne pourra plus me laver de sa mémoire.

Je suis déjà là, sous sa peau.

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