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Chapitre 4 – Marquages invisibles

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-05-07 22:41:39

Maya

Je me réveille en sursaut. Quatre heures quarante-sept.

Mes draps sont en désordre, comme si j’avais lutté toute la nuit. Et c’est vrai, au fond. Ce n’était pas du sommeil, c’était un combat. Une tentative vaine de repousser une présence qui ne me quitte plus.

Lior.

Il s’est glissé dans mes pensées comme une encre noire sous la peau, s’étalant lentement, irrémédiablement, jusqu’à ce que tout ce que je suis en soit taché. Je ferme les yeux. Je vois son regard. Je les rouvre. Je sens encore son odeur.

Je me lève. Douche brûlante. Je veux gommer sa trace, laver ce qu’il a déclenché. Mais rien ne part. Ni la tension, ni la chaleur dans mon ventre, ni cette sensation d’être observée même dans la solitude.

Je m’habille vite. Je sors avant que le soleil ne se lève. J’ouvre le studio une heure plus tôt. Je ne supporte plus les murs de mon appartement. Trop étroits. Trop silencieux. Ici au moins, j’ai mes outils. Mon monde. Mon contrôle.

Je commence un croquis. Rien de prévu aujourd’hui. Aucun rendez-vous. Juste du silence et du vide à combler.

Mais à dix heures, il passe la porte.

Comme s’il avait entendu mon besoin avant moi.

Lior.

Toujours aussi calme. Trop calme. Une tempête en costume sombre. Un regard qui fixe sans jamais trembler. Je ne dis rien. Il s’avance. Il ne demande pas s’il peut entrer. Il sait déjà la réponse.

— J’ai repensé à ce que vous avez dit, hier soir.

Sa voix est grave. Elle accroche les murs. Elle fait vibrer l’air.

Je lève les yeux de mon dessin.

— Et qu’ai-je dit d’inoubliable ?

— Que ce n’était pas un jeu. Que j’étais dangereux. Que vous aviez peur.

Je le fixe. Il s’approche encore. Assez pour que je sente la chaleur de son corps irradier vers moi.

— Et vous êtes revenu malgré ça ?

— Justement pour ça.

Je recule légèrement, mais pas assez. Il me suit du regard. Pas un geste brusque. Tout chez lui est lent, précis, calculé. Comme un prédateur. Comme s’il savait qu’il finirait par m’avoir. Et qu’il n’avait pas besoin de se presser.

— Je ne tatoue pas sans rendez-vous, Lior.

Il sort une enveloppe. Il la pose sur le comptoir.

— Dedans, il y a une photo. Et une question.

Je ne bouge pas. Il me pousse à bout, doucement. Subtilement.

J’ouvre.

C’est une cicatrice. Une longue balafre sur une épaule d’homme. La sienne, sûrement. Mal recousue. Un souvenir brut d’un événement qu’il ne me nomme pas. Je sens mes doigts trembler.

Au dos de la photo, une phrase : Tu peux la rendre belle ?

Je relève les yeux. Il est toujours là, figé. Attentif. Il n’attend pas juste ma réponse. Il attend ma réaction. Ma faille.

— Tu veux que je la tatoue ? dis-je à voix basse.

— Je veux que tu lui donnes un sens. Ou que tu l’effaces.

Le ton a changé. Moins de défi. Plus de douleur. Et cette douleur m’accroche.

Je devrais dire non. Je devrais rester dans les limites. Mais je le fais entrer. Je verrouille la porte. Je tire les rideaux.

— Enlève ta chemise, dis-je sans détour.

Il obéit. Il ne sourit pas. Il ne provoque pas. Il expose.

Et je reste figée devant son dos. Ce n’est pas qu’une cicatrice. C’est une histoire. Un silence trop lourd, trop ancien. La chair parle mieux que les mots. Et cette chair-là a hurlé un jour.

Je m’approche. Je effleure la ligne. Il tressaille à peine.

— Tu l’as eue où ?

— Dans un autre monde. Un monde qui n’existe plus. Mais dont je porte encore les traces.

Je l’examine en silence. Je prends des mesures. Je fais des esquisses rapides. Une branche d’olivier. Un serpent. Un animal mythique. Chaque idée me semble trop faible. Trop décorative.

— Tu veux cacher ou sublimer ? je demande.

Il me regarde par-dessus son épaule.

— Je veux que tu comprennes. Et que tu marques à ton tour.

Je me fige.

— Ce n’est pas juste un tatouage, alors.

— Non. C’est un pacte.

Je ne réponds rien. Parce que je sais qu’il a raison. Ce que je vais tracer sur sa peau ne s’effacera jamais. Ce que je ressens maintenant non plus.

Je commence à dessiner. Des lignes fines. Des courbes puissantes. Un animal aux yeux de feu. Une créature hybride. Sauvage. Blessée. Vivante.

Il me regarde faire pendant des heures. Il ne parle pas. Il ne bouge pas. Et plus je dessine, plus je m’oublie. Plus je me perds dans la création, dans sa présence, dans cette tension invisible qui lie nos gestes.

— Tu dessines comme on respire, dit-il doucement.

— Et toi, tu me regardes comme on me lit.

Il s’approche. Il s’assoit à côté de moi. Je sens sa jambe frôler la mienne. Je ne me recule pas.

— Pourquoi tu te caches, Maya ? demande-t-il, presque tendrement.

Je serre les dents.

— Et toi, pourquoi tu cherches autant ?

Il ne répond pas.

Son regard descend sur mes lèvres.

— Tu crois que tu peux me repousser encore longtemps ? murmure-t-il.

Je réponds sans réfléchir :

— Je crois que je n’ai pas envie de réussir.

Le silence tombe. Épais. Chargé d’un désir qu’on n’ose pas toucher. Pas encore.

Il se lève. Il remet sa chemise.

— Je reviendrai demain. Pour l’encre.

Je hoche la tête. Mécanique. Vidée. Saturée.

Il sort.

Et je reste seule. Les doigts tachés de graphite. Le cœur cabossé. L’âme marquée.

Je crois que je suis déjà tatouée de lui.

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