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Chapitre 3 — L’entrée dans l’ombre

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-08-13 01:27:28

MARC

Je sens l’air lourd dès que je pousse la porte. Une odeur mêlée de cigarette froide, de parfum bon marché et de renfermé me saute au visage. C’est un mélange toxique qui me serre la gorge et fait naître un goût amer sur ma langue. Mon cœur cogne, un rythme irrégulier, autant à cause de l’angoisse que de la honte qui m’étouffe.

Lorent, mon ami d’enfance, m’a traîné ici sans vraiment me demander mon avis. Il ne comprend pas. Il ne peut pas comprendre. Ce genre d’endroit me donne la nausée. Je n’ai jamais eu l’habitude de franchir ces seuils où les hommes viennent chercher ce qu’ils n’osent pas demander ailleurs, ce qu’ils ne peuvent pas trouver dans un regard sincère ou dans la chaleur d’un vrai contact.

– Allez, Marc, lâche-toi un peu, lance Lorent d’un ton qui se veut rassurant, mais qui sonne surtout comme un ordre. C’est juste une chambre. Une femme, une nuit. Tu verras, ça te fera du bien.

Il ne sait pas que je me bats chaque jour contre une humiliation plus grande encore que celle de me trouver ici. Que malgré ma fortune, mes voyages, les meilleurs médecins que j’ai consultés, je ne bande pas. Je ne peux pas.

J’ai tout essayé. Des pilules, des traitements, des thérapies. Rien n’y fait. Quand le désir devrait m’embraser, mon corps reste froid, sourd à toute invitation. Je suis prisonnier de cette impuissance qui ronge mon âme plus que mes membres.

Je serre les dents, incapable de répondre. Comment lui dire que cette chambre, cette femme, ce monde ne m’appartiennent pas, que je me sens plus seul que jamais, que je porte en moi une honte qui m’étouffe ?

– Lorent, je t’ai dit que je ne veux pas. Je ne suis pas fait pour ça.

Mais il ne m’écoute pas. Il sourit, sûr de lui, comme si ma faiblesse était une simple caprice d’enfant. Puis il s’avance vers le comptoir, confiant.

– Réserve-moi ça, je m’occupe de lui.

Je suis balloté par la foule, poussé sans douceur. Mes pieds ne veulent pas avancer, mais mes jambes obéissent, trahissant ce que je ressens au plus profond de moi : une douleur sourde, un sentiment d’impuissance, un désespoir que je cache même à moi-même.

On m’ouvre la porte d’une chambre au décor défraîchi. Le lit est défait, les draps froissés. La lumière est tamisée, faiblarde, pourtant suffocante. Je m’assois sur le bord du lit, le dos droit, les mains crispées sur mes genoux.

Et puis elle est là.

Une femme, allongée sur le lit. Belle, malgré tout. Son visage fatigué cache une histoire que je devine sans vouloir y penser. Ses yeux croisent les miens un instant. Une défiance, une tristesse, une résignation que je reconnais, comme un écho à mon propre désarroi.

Je reste figé, incapable de bouger. L’air semble s’épaissir autour de moi, chargé de silence.

Lorent me pousse doucement vers elle.

– Allez, fais pas ton gamin. C’est juste pour te distraire .

Je ferme les yeux une seconde, tentant de rassembler ce qu’il me reste de courage. Mais le courage ne suffit pas. Le poids de cette impuissance physique est plus fort que tout.

– Je ne suis pas fait pour ça…

Ma voix tremble, trahissant ma peur, ma honte, ma solitude.

Lorent m’attrape le bras avec insistance.

– Fait l’effort, bordel. Tu vas voir, ça ira mieux après.

Je voudrais hurler que ça ne marche pas comme ça, que ce n’est pas une question de volonté. Que j’ai beau vouloir, mon corps refuse de me suivre. Que je me sens brisé, inutile, incapable d’aimer comme on devrait aimer.

Mais aucun son ne sort.

Je me laisse tomber sur le bord du lit, face à cette femme qui, sans un mot, m’invite à ne pas poser de questions. Son regard est dur, mais il y a une lueur d’humanité, de compassion peut-être. Ou simplement le reflet de sa propre prison.

Je pose mes mains sur mes cuisses, le visage brûlant de honte. Le silence devient étouffant.

Tout ce que je ressens, c’est ce poids immense d’une solitude inouïe, ce gouffre qui m’aspire, ce vide que personne ne peut combler.

Et le monde continue de tourner, indifférent à ma douleur.

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