CHAPITRE 1

Le point de vue d'Arabella

Sans effort, le liquide quitte ma vessie. Les yeux fermés, mon cœur bat la chamade dans ma cage thoracique, anxieux.
Sans raison, je ne veux plus faire ça. L'espace d'un instant, je commence à réfléchir à la décision à prendre dès que cela sera confirmé.
Dois-je quand même continuer ? L'ignorance, dit-on, est un bonheur. Et s'il ne voulait pas d'enfant maintenant ?
Réalisant que je fixe mon urine depuis plus d'une minute, je rassemble suffisamment de courage pour attraper le récipient et tremper l'embout absorbant de la bandelette de test PT avant de compter de un à dix, puis de la refermer.
Les mains tremblantes, je place la bande sur le comptoir plat, tout en jouant avec mes doigts et en regardant la minuterie sur mon téléphone.
Dans cinq minutes, je connaîtrai mon destin. Dans cinq minutes, je devrai choisir. Dans cinq minutes, je saurai si je le verrai ce soir ou non. Dans cinq minutes, mon monde changera… ou restera le même.
Je ferme les yeux, serre les poings et tape du pied avec impatience. Quand je les rouvre, l'expression dubitative d'une femme que je reconnais à peine me fixe dans le miroir.
Je me reconnais à peine. Que se passera-t-il si je suis effectivement enceinte ?

J'essaie de sourire, mais je n'y parviens pas. J'essaie de rester calme, mais je tremble encore. J'essaie aussi d’avoir l’air contrariée, peut-être que ça m’aiderait… mais je n’ai même pas l’air en colère.
Mon expression n’est remplie que d’anxiété, d’espoir, de doutes et d’optimisme.
Quelque chose sonne, et je réalise que c'est le minuteur. Cinq minutes sont écoulées.
Il est temps de voir les résultats de ce que nous avons fait il y a un mois.
Même si ma curiosité m'a poussée à faire cela, je n'arrive pas à me résoudre à regarder la bande juste devant moi. Mes yeux sont fixés sur le miroir.
Soudain, mes yeux se remplissent de larmes.
J'ai la gorge serrée. Ma poitrine est lourde aussi.
Serrant mon poing et poussant un long soupir, je baisse la tête pour fixer les deux lignes rouges qui me regardent droit dans les yeux.

Mon cœur s'arrête un instant. Ma respiration s'accélère.
Quand je réalise enfin que c'est ce que je veux, je mets ma main sur ma bouche et recule, le rire jaillissant de ma gorge.
Enfin !
Je suis enceinte. J’attends un bébé.
Quand mon dos heurte le mur, il s'enfonce, ce qui fait que mon rire s'arrête à mi-chemin.
Ma première crainte, c’était de savoir s'il le voudrait aussi. Il ne s'agit pas que de moi. Il s'agit de nous. De notre enfant.
Je devrais lui dire. Comme ça, je saurais s’il veut un bébé autant que moi.
À la hâte, j'attrape la bande et la jette dans la poubelle avant de me précipiter dehors, incapable de cacher mon excitation.

Richard et moi sommes mariés depuis trois ans. Notre relation n'a pas démarré comme prévu. Nous avons mal commencé.
Notre mariage a été arrangé.
De mon côté, ce n'était pas arrangé. C'était ce que je voulais. J'ai aimé Richard dès le premier jour où j'ai posé les yeux sur lui.
Alors que je monte les escaliers en courant, mon cœur bat plus fort. Arrivée au dernier escalier, je m'agrippe à la rampe pour prendre une grande inspiration avant de me diriger vers la porte de son bureau.
Mais un bruit m'empêche d'ouvrir la porte alors que ma main se fige sur la poignée.
« Je t'aime, Eve », résonne la voix de Richard, me choquant au plus haut point.
Quand son rire profond et riche suit, je sais que je n’imagine rien. C’est bien réel.
J’imagine comment sa pomme d’Adam va bouger d’avant en arrière tandis qu’il ricane. J’imagine ses yeux briller de joie lorsqu’il prononcera le mot « amour » sans difficulté.

Eve.
Mais qui est-ce ?
Une colère intense, mêlée de jalousie, s’installe.
Mais qui est donc Ève ? Qui est-elle pour le faire rire ainsi, alors qu’il m’a fallu trois bonnes années pour enfin voir son rire sincère ?
Inconsciemment, j'ouvre la porte, juste à temps pour le voir se lever de derrière l'immense bureau en acajou.
Nos regards se croisent une seconde.
Je ne sais pas s'il voit la colère dans mes yeux ou s’il choisit de l’ignorer, parce qu’il détourne aussitôt le regard, comme s’il n’avait pas été infidèle quelques instants plus tôt.
Juste avant que je puisse lui demander avec qui il était au téléphone et pourquoi il disait à une autre femme qu’il l’aimait, il me devance.

« J’allais justement venir te voir », dit-il, me rappelant la raison pour laquelle je suis venue aussi.
Quand il est ici, je ne le dérange pas. Je viens rarement le voir, car il déteste les interruptions. Pourtant, il était au téléphone avec une femme pour lui dire qu’il l’aimait, alors qu’il était censé travailler.
La rage bouillonne en moi.
« Tu as reçu les papiers ? » demande-t-il presque aussitôt, sans me regarder. Il prend des dossiers sur le bureau et les glisse dans sa serviette. On dirait qu’il va sortir.
Si je n’avais pas entendu sa conversation avec la soi-disant Ève, j’aurais cru qu’il partait travailler.
Mais non.
Au fond, je sais que ce n’est pas le travail qui l’attend. C’est Ève.
« Quels papiers ? » Ma curiosité l’emporte. Je devrais l’ignorer et lui parler du bébé. Peut-être que cela le ferait changer d’avis.

« Les papiers du divorce », lâche-t-il avec indifférence.
Je reste bouche bée et recule d’un pas. Je ne l’avais pas vu venir.
Divorce ? Qu’en est-il des changements entre nous ces dernières semaines ? Est-ce à cause d’Ève ? Comment peut-il faire ça ?
« Di… Divorce ? » Je me surprends à bégayer, en serrant mon ventre comme s’il allait disparaître.
Il hoche la tête et tourne les yeux vers moi.
« Ma petite amie, Eve Rogers, est de retour », annonce-t-il sans la moindre honte. « Tu te souviens de notre accord ? Maintenant qu’Ève est de retour, on devrait divorcer pour que je puisse l’épouser. »
Ève Rogers ?
Comment ai-je pu oublier ?

Je fais un autre pas en arrière. Les larmes montent, une boule me serre la gorge.
Je secoue la tête. J’ai désespérément envie de dire quelque chose. De me battre pour nous. De préserver mon mariage. De lui dire que nous attendons un bébé.
Mais je sais que rien ne pourra le faire changer d’avis. L’homme grand, fort et beau devant moi me fixe avec espoir et une détermination sans faille.
L’esprit de Richard ne peut pas être changé.
Eve Rogers est son obsession. Si mon mariage arrangé avec lui ne l’a pas empêché de l’aimer toutes ces années, alors rien ne l’empêchera de l’épouser maintenant.
Réalisant que la perdante ici, c’est moi, je fais demi-tour et prends la sortie… avant que mes larmes ne commencent à couler.