CHAPITRE 3

Le point de vue de Richard

Mes bras tremblent, tremblant de volonté pour ne pas craquer. Je renifle, espérant que cela me donnera au moins la force de filer d’ici.
Je relève la tête, boucle ma ceinture et démarre. J’ai remarqué que mes mains tremblaient encore.

Pendant une seconde, j’envisage d’appeler un taxi pour venir me chercher au lieu de conduire, afin de ne pas finir par percuter un poteau à cause de ce choc. Mais je ne peux pas attendre ici.
Je pars immédiatement.

Plus je reste ici, plus je prends de risques. Je pourrais finir par faire une bêtise, comme rentrer dans cet appartement et briser la mâchoire de Jake.
Et pas seulement ça.
Les choses que je veux faire à Ève incluent la gifler plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle me supplie de lui pardonner.

L’idée qu’elle m’ait trompé depuis le début me fait mal. Dire que je pensais qu’elle valait tout ça. Mais ce n’est pas le cas.
Cela signifie qu’elle couchait avec ce traître depuis le début. Pas étonnant qu’il soit revenu d’on ne sait où il y a quelques jours. Qui sait s’ils n’étaient pas ensemble à Londres, pendant que j’étais là à maltraiter Arabel, et même à lui demander le divorce, juste à cause de quelqu’un qui n’en valait pas la peine ?

Je ne sais pas si je suis blessé par ce que je viens de voir ou par ce que j’ai dit à Arabel il y a une heure à propos du divorce.
J’ai vu la douleur transparaître sur son expression, mais j’ai choisi de l’ignorer parce que je voulais être égoïste pour une fois dans ma vie.

Toute ma vie, j’ai œuvré pour le bonheur des autres. J’ai étudié le commerce, car c’est ce que mon père voulait que je fasse pour reprendre l’entreprise familiale.
Je suis allé en Angleterre pour étudier parce que c’était le choix de ma mère.
Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été obligé de retourner faire mon Master, simplement parce que je ne pouvais pas prendre la relève avec seulement un baccalauréat.

À la mort de mon père, ma mère a pris les décisions concernant ma vie. Elle a ensuite évoqué Arabella et son choix de l’épouser.
J’étais en couple avec Ève, alors j’ai résisté. Elle a fondu en larmes, me parlant de sa solitude depuis la mort de son père et de la gentillesse d’Arabel, ce qui m’a fait culpabiliser.

J’avais l’impression qu’elle voulait Arabel pour moi afin qu’elle puisse être sa compagne. J’avais vu Arabel à une ou deux reprises dans notre maison familiale à Boston.
Je ne savais pas comment j’avais réussi à céder à ses exigences, mais je sais que je l’ai fait, et que je l’ai regretté longtemps à cause d’Ève. Je ne savais pas comment m’expliquer à elle. Je ne voulais pas la blesser. Je ne voulais pas lui dire que c’était fini.

Alors je lui ai tout expliqué. Je lui ai dit que ce n’était que pour un temps. Je lui ai dit qu’Arabel partirait dans un an. Mais elle a choisi de partir. Elle a décidé d’aller à Londres pour poursuivre ses études.

Une année s’est transformée en deux, puis en trois. Et maintenant, elle était de retour.
Puis j’ai senti qu’il était temps de laisser partir Arabel.

La voiture a soudainement fait un bond en avant, me forçant à m’arrêter. Ma tête repose sur le volant.

Non !
Que vais-je faire maintenant ? Que dois-je dire à ma mère ? Que dois-je dire à Arabel ?
Les larmes menacent de couler, mais je les retiens. Je ne la laisserai pas me faire pleurer. Elle n’en vaut pas la peine.
Elle n’est rien d’autre qu’une tricheuse et une garce.

Mon cœur est en ébullition, pourtant je me redresse et redémarre la voiture, cette fois lentement, jusqu’à ce que j’arrive à la maison, en pensant à l’excuse qu’ils donneraient tous les deux pour leurs actes.

Ève utilisait le fait que j’étais marié alors que nous étions en couple comme excuse, tandis que Jake faisait comme s’il n’avait jamais su que nous étions ensemble, malgré mon statut de marié.
Il le savait.

En fait, il faisait partie de ceux qui m’ont conseillé de poursuivre le mariage. Il m’a suggéré de divorcer au bout d’un an, et j’ai trouvé l’idée intéressante, jusqu’à ce que la réalité me frappe.
Après mon mariage, j’ai réalisé que continuer à sortir avec Ève signifiait que je trompais, mais je n’arrêtais pas de me dire que c’était Ève que j’aimais et non Arabel, et que j’étais dans ce mariage pour le bien de ma mère.

Hier encore, Ève et moi avons failli coucher ensemble. C’est la raison pour laquelle j’ai dû accélérer la procédure de divorce.
Demander le divorce à Arabel était déjà assez déchirant. Je ne voulais pas ajouter la tromperie à ma liste de délits, alors je lui ai dit d’être patiente jusqu’à ce que je divorce d’Arabel.

Était-ce parce qu’on n’avait pas couché ensemble ? Depuis combien de temps sont-ils ensemble ?
Peu importe à quel point je veux oublier l’image fugace de ces deux-là, elle continue d’apparaître.

L’espace d’un instant, je m’efforce d’arrêter de penser à eux, de penser à Arabel et à la façon dont je suis censé changer le cours des événements. Ce que je suis censé lui dire en rentrant, je ne le comprends pas.
Je sais que je suis censé m’excuser, mais que vais-je dire d’autre après ? Je ne veux plus qu’on divorce. Et si elle me demande pourquoi ?

Je sais combien elle m’adore. C’est une femme adorable. Gentille. Et douce. Elle est aussi compréhensive. Je suis sûr qu’elle ne le prendra pas trop à cœur. Il me suffit de la serrer dans mes bras et de lui dire que je ne le pense pas.
Peut-être devrais-je lui dire que tout cela n’est qu’un piège.

La couette me serre l’estomac. Je suis vraiment égoïste.
Je voulais sortir à cause d’Ève et maintenant que je l’ai trouvée infidèle, je ne veux plus divorcer d’Arabel.

Alors que je m’approche de la maison, je parviens à garder mon calme et à serrer le poing pour m’empêcher de déverser ma colère sur le volant.
Dès que la voiture est garée dans le garage, je sors faiblement, un soupir de colère s’échappant de ma bouche. J’ai beau essayer de le chasser, la scène continue de me trotter dans la tête et mon cœur continue de me faire mal.

Ça fait un mal de chien d’être trahi par Ève, entre toutes. J’ai attendu trois ans pour la retrouver, et c’est tout ce que j’ai.

Réalisant que mon intention de rentrer à la maison au lieu d’aller dans un club pour noyer mon chagrin dans l’alcool est à cause d’Arabel, je secoue la tête par intermittence, marchant lentement vers l’entrée de notre maison.
Notre maison conjugale.

Le majordome ouvre la porte à la volée et j’entre sans répondre à ses salutations, comme d’habitude. Au lieu d’aller dans sa chambre, j’hésite un peu, la culpabilité de tout à l’heure me submergeant à nouveau.
Je passe ma main sur mon visage, expire un peu, avant de me diriger vers sa chambre.

Arabel et moi ne partagions plus la même chambre. Dès le début, j’ai établi des règles qu’elle a respectées scrupuleusement. L’une d’elles est d’avoir des chambres séparées. Ma mère était contre au début, mais comme je n’ai pas cédé, elle a arrêté de me harceler à ce sujet.

Mais il y a deux mois, quelque chose s’est produit. Elle a dormi dans ma chambre, sur mon lit et dans mes bras. Je ne sais pas ce qui m’a pris ni comment c’est arrivé. C’est arrivé comme ça, et je crois que ça lui a donné l’impression que je commençais à tomber éperdument amoureux d’elle.

Je ne peux pas aimer deux femmes à la fois, n’est-ce pas ?
Honnêtement, j’étais perplexe quand c’est arrivé. Mais ma ferme résolution de revenir vers Ève m’a fait oublier toute prudence quant à ce qui s’était passé entre nous.

Quand j’arrive à la porte, je frappe légèrement et j’attends, m’attendant à ce que la porte s’ouvre immédiatement.
Il n’y a pas de réponse.

Est-ce qu’elle pleure ?
Je m’approche pour entendre si elle pleure à chaudes larmes à cause de ce que j’ai dit plus tôt, mais je n’entends rien.

Un sourcil levé, le cœur battant deux fois plus vite que d’habitude, comme depuis que je suis arrivé à sa porte, je frappe à nouveau.
Cette fois, plus fort, et je sais qu’elle entendra certainement mes coups.

Une seconde passe, et la porte ne s’ouvre pas.
Une minute s’écoule, et le silence m’accueille.
Sans hésiter, j’ouvre la porte de sa chambre et j’entre, jetant un coup d’œil autour de moi pour l’apercevoir.

Je m’arrête brusquement en voyant le placard ouvert, complètement vide. Mes yeux s’écarquillent tandis que je m’avance, confus.

Que s’est-il passé ? Où est-elle allée ?
La panique me saisit à l’idée qu’Arabel soit partie.

J’arrive au placard, toujours vide. Tournoyant sur moi-même, espérant une farce, mon regard tombe instantanément sur le document posé sur son lit.
Les papiers du divorce.

Je l’attrape et ouvre aussitôt la page, où je vois déjà sa signature.
Juste avant que le document ne me quitte des mains, sous le choc, une feuille tombe au sol.

Rapidement, je la ramasse et je vois les deux mots qui brisent mon existence même, alors que la lourde réalité de son absence s’impose à moi :
« Merci. Au revoir. »