CHAPITRE 4

Le point de vue d’Arabella

QUATRE ANS PLUS TARD

Une bosse douloureuse bloque le flux d’oxygène vers mes poumons tandis que je parcours le couloir des yeux à la recherche de Daisy.
Elle était juste là.
J’étais trop absorbée par ma conversation avec la secrétaire des Sociétés Terrestres pour me rendre compte qu’elle était partie.

Je n’aurais pas dû être amenée ici.
Je n’aurais pas dû.
Je sais que ce n’est pas le moment de me culpabiliser. Je dois la retrouver. Elle ne connaît personne ni nulle part dans le coin. Nous sommes arrivées à New York il y a deux nuits, et j’ai été très occupée à tout organiser pour le lancement du partenariat avec Earthbound Corporations.
C’est la principale raison de mon retour à New York. Pour rencontrer le PDG, j’ai décidé d’assister au troisième anniversaire de l’entreprise.

Et Daisy est introuvable.

— Tu l’as vue ? me demande Ashley, la secrétaire avec qui je parlais avant la disparition de Daisy.
Je secoue la tête, essayant de me calmer et de ne pas fondre en larmes. La peur est de retour. Depuis la naissance de Daisy, j’ai toujours eu cette peur : la perdre.
Je n’ai aucune idée de ce qui se passerait si quelque chose de mal lui arrivait. Je ne peux pas vivre sans ma douce fille.

— On devrait aller voir les toilettes ? Elle a parlé d’y aller tout à l’heure, tu te souviens ? me rappelle Ashley.

C’est vrai. Mais c’était il y a trente minutes. Je l’avais complètement oublié.
Je lui ai dit de rester calme pour que je puisse m’en occuper moi-même dès que j’aurais fini de discuter avec Ashley. Je n’aurais jamais cru que notre conversation durerait aussi longtemps, car c’était une personne avec qui il était facile de discuter.
Elle est aussi amicale.
Je ne me suis pas fait d’amis depuis longtemps. C’est peut-être pour ça que je vois en elle une amie.

Je me dirige rapidement vers les toilettes. Le hall est déjà bondé de clients venus de tous horizons. Le PDG doit être un homme riche, vu les rumeurs qui courent à son sujet.
Ce n’est pas sa seule entreprise. Earthbound est même sa cinquième en cinq ans.

Nous arrivons aux toilettes et je m’arrête, me retournant pour voir Ashley juste derrière moi. J’ai peur d’ouvrir la porte et de voir quelqu’un d’autre à l’intérieur, alors je décide de frapper.
Me tournant vers la porte, je lève ma main tremblante pour frapper légèrement, fermant les yeux et souhaitant entendre sa petite voix douce répondre par un « Oui ».

Le silence s’installe.

J’ouvre les yeux, mon cœur bat fort tandis que je frappe à nouveau, cette fois plus fort.
Si Daisy n’est pas là, je ne sais pas où la trouver. Elle ne sait où aller. Où a-t-elle bien pu aller ? Est-ce qu’on l’a piégée ? A-t-elle vu quelqu’un de son âge qu’elle pensait être son ami ?

Daisy est tout à fait mon contraire. Je ne me fais pas facilement des amis, mais elle, oui. Je suis trop calme et réservée, mais elle, non. Je ne souris pas sans raison, mais elle, si. Je ne suis pas joviale, mais elle, si.
Tout le monde est l’ami de Daisy, y compris Ashley, quelqu’un que nous venons de rencontrer il y a trente minutes.

— Oh mon Dieu ! Je me frappe le front, le corps tremblant, me forçant à reculer. Je sais qu’elle n’est pas là.

— Calme-toi, on y va. Retourne là où on était avant sa disparition pendant que je vais voir dehors, d’accord ?

La voix apaisante d’Ashley ne fait rien pour apaiser la sensation d’amertume qui me monte à l’estomac.
Je me sens comme une mauvaise mère incapable de veiller sur son enfant. Seulement 48 heures après mon arrivée dans une nouvelle ville, ma fille a disparu. Qu’est-ce que ça fait de moi ?

Une mauvaise mère.

Ashley me pousse du coude, me ramenant à la réalité. Je pense déjà aux pires choses qui pourraient arriver à mon cher enfant.
Je ne peux pas perdre Daisy.
J’ai traversé beaucoup d’épreuves pour l’avoir. Je ne peux pas la perdre.

Comme une folle, je passe devant Ashley comme si nous étions de parfaites inconnues. Je ne retrouve mes esprits que lorsque je vois mon enfant.

Indifférente à la foule, je retourne précipitamment dans le hall, tenant ma longue robe de soirée pour ne pas trébucher. Je jette un coup d’œil autour de moi pour voir si je l’aperçois au milieu de la foule, mais elle est introuvable.
Forçant le nœud qui se forme dans ma gorge, j’essaie de me calmer et d’arrêter de courir pour ne pas attirer l’attention. À grandes enjambées, je retourne dans la deuxième partie du couloir où Ashley et moi nous trouvions plus tôt avec Daisy.

Nous étions là parce qu’elle voulait que je rencontre son patron avant notre réunion de demain.
Je ne serais pas venue à la cérémonie si je n’avais pas été responsable de sa décoration. Je voulais qu’elle soit parfaite, d’où ma présence.
Laisser mon équipe s’en charger me ferait vivre des moments d’inquiétude jusqu’à leur retour. Je voulais faire bonne impression, alors j’ai décidé de venir.

Je ne sais pas comment ils m’ont connue, mais ils m’ont proposé un partenariat, que j’ai immédiatement accepté. Un partenariat avec des entreprises comme celle-ci est essentiel à la réussite de ma nouvelle entreprise à New York.

Je m’arrête net en apercevant la robe rose pâle que porte Daisy. Elle parle et fait une démonstration avec ses mains en même temps.
Devant elle se tient un homme en costume noir Armani, la tête baissée, la regardant avec un sourire dessiné sur le visage.

Le soulagement m’envahit. Je me frappe le front en murmurant ma gratitude au Tout-Puissant de m’avoir permis de la voir. Sans perdre de temps, je me dirige vers eux.

Daisy se retourne immédiatement et nos regards se croisent.
— Maman ! crie-t-elle en me faisant signe avec enthousiasme, avant de me pointer du doigt et de se tourner vers l’homme derrière elle.

Je suppose qu’elle a dû lui parler de moi. Les mères ont tendance à vanter l’intelligence et la beauté de leurs enfants, mais dans mon cas, c’est mon enfant qui me met en valeur.

Quand je lève les yeux, je m’arrête net. Cette fois, la peur me monte à la gorge, mon pouls s’accélère et un mal de tête soudain me frappe le front.

Richard.
Mon pire cauchemar.
La principale raison pour laquelle je n’ai pas envisagé l’idée d’ouvrir une succursale de mon entreprise ici à New York pendant plus de trois ans.
C’est cet homme que j’espérais et souhaitais ne plus jamais croiser.

La colère d’il y a quatre ans atteint mes nerfs et me fait serrer les poings.
Mais qu’est-ce qu’il fait avec mon enfant ?

Son visage est inexpressif, mais je ne serais pas surprise s’il ne me reconnaissait plus.
Je m’avance rapidement, le quittant finalement du regard. Arrivée près de Daisy, je lui prends la main et passe devant Richard sans un mot.

Juste avant d’arriver à la porte, la tête pleine de souvenirs de notre vie de couple pendant trois ans, sa voix m’arrête.

— Arabel ?

La même voix qu’il y a quatre ans. Le même effet riche et autoritaire. Le même ton d’arrogance et de fierté.
Il n’a pas changé d’un pouce, mais moi, si.
Beaucoup de choses se sont passées en seulement quatre ans. Beaucoup de choses ont changé ma personnalité et ma mentalité.

Richard est le seul à m’appeler Arabel.
À Londres, tout le monde me connaît sous le nom de Bella. Je doute que Daisy sache que mon vrai nom est Arabella.

Je ferme les yeux, serre Daisy plus fort, heureuse qu’elle ne me pose pas de questions sur mon comportement. Je continue vers la porte, et une autre voix m’arrête.

— Mme Bella ?

Instantanément, je sais que c’est Ashley.
La courtepointe me guide. J’étais trop en colère pour me rappeler que nous étions toutes les deux à la recherche de Daisy.
Je me retourne, affichant mon sourire caractéristique.

— Désolée, Ashley, je dois y aller.

Elle se tient juste à côté de Richard, et j’ai envie de le regarder pour voir son expression.
Avant que je puisse faire quoi que ce soit, il s’exclame bruyamment :

— Quoi ?!

Je tourne mon regard vers lui pour voir le choc écrit sur son visage, alors que sa bouche s’ouvre grande.

— Elle est la PDG d’Eagle Homes & Interiors ? demande-t-il à sa secrétaire.

Soudain, mon agacement s’éteint rapidement tandis qu’un sourire de fierté s’étale sur tout mon visage.