ElenaLe matin ne s’est pas levé.Il s’est effondré.La forêt pue la mort et la cendre. Le sol est un mélange de sang, de boue et de feuilles déchiquetées. Un champ de guerre à peine dissimulé sous la lumière blafarde de l’aube. Le silence n’est pas un apaisement, c’est une conséquence. Une trêve imposée par l’épuisement des corps.K-47 dort enfin. Son petit corps secoué de soubresauts, comme si même ses rêves saignaient encore. Elle s’est endormie en me tenant la main, sans un mot. Je la couvre d’une couverture volée, puis me lève, le visage fermé. Les muscles me tirent. L’odeur du métal sec colle à ma peau.Ils ont envoyé des chiens. Des ombres. Des tueurs sans visage, sans nom, sans voix. Et nous les avons brisés. Éparpillés. Éteints.Mais ce n’est pas suffisant. Pas encore.Je sors mon carnet. La liste.Mes doigts tremblent à peine.Le prochain nom clignote comme un avertissement dans ma tête : Marius Treholt.Je me souviens de lui. Sa voix huileuse, ses lunettes en or, sa façon d
ElenaIl reste l’odeur.Le sang, la poudre, la sueur. C’est partout. Dans mes cheveux, sous mes ongles, dans mes narines. Et pourtant, je respire. Je respire enfin. Ce n’est pas de la paix. C’est plus proche de la rage contenue, brûlante, vivante. Une force qui me pousse à avancer.K-47 s’est endormie, recroquevillée dans un coin, le visage pâle, la bouche entrouverte. Un enfant qui devrait rêver, pas survivre. Mais les rêves sont un luxe que cette génération n’a jamais connu.Je tape sur le clavier à en saigner des doigts. J’extrais les données volées. Un nom, puis un autre. Leurs adresses. Leurs secrets. Les comptes. Les trajets. Tout.Ils pensaient pouvoir effacer leurs traces. Mais j’ai tout retrouvé.J’entends les pas de Dante derrière moi, lourds, fatigués. Il ne dit rien. Il n’en a pas besoin. Sa main se pose sur mon épaule. Et ce simple geste suffit. On ne recule plus.— Prochaine cible, je murmure.Il hoche la tête, les yeux cernés mais déterminés.Le temps du silence est ter
ElenaOn a mis le feu cette nuit. C’est nous, la tempête. Le chaos. La rage qu’ils n’ont pas su contenir.Ils ont cru que les enfants n’avaient pas de voix.Ils ont oublié que certaines grandissent.Et certaines se souviennent.Maintenant, ils vont apprendre.Quand on vole une vie, on finit par perdre la sienne.Et ce n’est que le début.Nom par nom.Un à un.Ils vont tomber.Et cette fois, ce ne sera pas rapide.Ce sera personnel.Ce sera inoubliable.Le silence est un piège. Il s’étire, pesant, lourd de menace, jusqu’à devenir presque tangible. La cabane semble suspendue dans le temps, isolée au milieu de ces bois impitoyables. Chaque bruissement, chaque craquement, chaque souffle du vent devient un battement de cœur.Je reste collée à l’écran, mes doigts glissent sur le clavier avec une froide précision. Les noms s’enchaînent, les visages défilent, gravés dans des images, des vidéos, des enregistrements. Leurs mensonges me sautent au visage, comme des gifles. Leur arrogance me fait
ElenaLe van fend la nuit comme un animal blessé, hurlant son agonie dans chaque virage serré, chaque coup d’accélérateur. Les phares tracent des griffures lumineuses sur les arbres déformés par la vitesse. La route ne mène nulle part, et pourtant je sais exactement où elle nous conduit.Je serre toujours sa main. Elle ne lâche pas. Ses doigts minuscules sont glacés, mais vivants. Elle ne cligne pas. Elle ne parle pas.Mais elle respire.Et c’est tout ce qui compte.Dante s’agrippe à son épaule ensanglantée. Il a calé un chiffon contre la plaie mais ne gémit pas. Sa douleur, il la range derrière une grimace contenue. Il sait que ce n’est pas le moment. Ismael, lui, est figé. Le visage de pierre, le regard d’un homme qui a vu trop de choses, trop de fois. Il conduit comme on enterre quelqu’un : avec un silence de mort.Moi, je regarde devant.Je ne parle pas.Je ne cille pas.Je planifie.Parce qu’on ne s’en sortira pas juste en fuyant. On ne sauve personne en courant. Cette guerre ne
ElenaLa villa réapparaît sur l’écran.Vue satellite. Vue thermique. Schémas, calques, rotations. On analyse. On démonte. On reconstruit.Je fais glisser les couches numériques sur l’interface holographique. Chaque angle mort devient une opportunité. Chaque caméra un piège à éviter.— Entrée par le flanc nord, dit Ismael. Moins gardée. Moins surveillée.Je hoche la tête. Je zoome. J’identifie les lignes de fuite, les interférences possibles. Le système de sécurité est plus dense qu’avant. Il a appris, lui aussi.— Et la gamine ? demande Dante.— Niveau -1, dis-je. Secteur B. Chambre 7. Sécurité renforcée, double verrou magnétique, scan rétinien. On n’aura qu’un essai.Je ferme le dossier.On n’a plus besoin de regarder. On sait.On est prêts.Et cette fois, il ne s’agit pas de survivre.Il s’agit de détruire.IsmaelLe van s’arrête dans un bruit sourd. Les phares s’éteignent, la forêt nous engloutit.La nuit est noire, opaque. Parfaite.On sort, un à un. Silencieux. Vêtus de noir, vis
ElenaIls m’écoutent.Je vois dans leurs yeux qu’ils comprennent que quelque chose a basculé.Je ne leur donne pas d’ordre. Je ne leur demande pas leur avis non plus.Je leur montre. Ligne par ligne. Point par point.Ils lisent entre mes silences. Dans mes gestes. Dans la tension de mes doigts.Ismael hoche la tête. Dante serre la mâchoire.Ce n’est plus une mission.C’est une guerre discrète, souterraine. Et chaque visage qu’on a vu ce soir-là est une cible potentielle. Ou une bombe à retardement.Je n’ai plus peur. C’est ça, le plus effrayant.J’ai dépassé le stade de la peur. Je suis entrée dans autre chose. Une zone vide, où seules comptent les conséquences.— On va devoir retourner là-bas, dit Ismael.Je réponds sans lever les yeux :— Oui. Et pas comme des ombres cette fois.Je les sens hésiter. Pas sur le fond. Mais sur ce que ça implique. La suite.Et je comprends.Moi aussi, j’ai le vertige.Mais je ne reculerai pas.Pas après ce que j’ai vu.Pas après ce que j’ai laissé derr