Home / LGBTQ+ / À trois c'est l'enfer / Chapitre 7 : Désir 1

Share

Chapitre 7 : Désir 1

Author: Darkness
last update Huling Na-update: 2025-12-03 23:18:24

Eléna

La lumière de l’aube n’est pas douce. Elle est chirurgicale. Elle coupe net l’obscurité de l’atelier, révélant les stigmates de la nuit : les verres sales, les cendriers débordants, les taches de vin sur le parquet. L’odeur du tabac froid se mêle à celle, persistante, de l’huile et de la térébenthine.

Antoine est parti il y a deux heures. Il a essayé de rester, avec ses mains avides et ses théories creuses sur le « désir comme performance ». Je l’ai mis à la porte sans un mot. Il était une distraction. Une erreur de casting dans le drame qui se noue.

Maintenant, il n’y a plus que le silence, et cette image qui tourne en boucle derrière mes paupières.

Camille, dans l’embrasure de la porte, tirée entre deux pôles. Son mari, l’architecte aux mains propres, avec sa colère froide qui sentait la peur. Et moi. Ses yeux, quand ils ont croisé les miens avant de partir… Ce n’était pas de la honte. C’était de la terreur. La terreur sacrée de quelqu’un qui vient de voir l’abîme en soi pour la première fois.

C’était parfait.

Je me lève, les muscles raidis par la nuit passée assise à ce tabouret, à regarder l’espace qu’elle avait occupé. Je vais à la grande toile que j’ai commencée hier, avant le vernissage, avant elle. Une composition abstraite de gris et de bleus froids. Une étude sur la retenue.

C’est de la merde.

Je saisis un gros pinceau plat, je le trempe sans réfléchir dans le pot de rouge carmin , cette couleur de sang artériel, de vie qui jaillit. D’un geste large, violent, je balafre la toile. Une diagonale brutale, épaisse, qui lacère les gris sages.

Meilleur.

Mais ce n’est pas assez. Le rouge seul crie, mais il crie dans le vide. Il lui manque un contrepoint. Une vibration.

Sans réfléchir, mes doigts se dirigent vers le tube de blanc de titane. Pas le blanc pur. Un blanc cassé, chaud, qui ressemble à la peau à la lueur des bougies. Au creux d’une épaule. Je charge un pinceau plus fin, et au cœur du rouge, j’esquisse une forme. Ce n’est pas conscient d’abord. C’est juste une courbe, une ligne de fuite, une fragilité qui émerge de la violence.

C’est l’arc de son cou quand elle a baissé la tête, honteuse, dans l’atelier.

C’est la courbe de son dos sous la robe de soie,quand elle est partie.

C’est le tremblement de sa main sur le verre de vin.

Je recule. La toile crie maintenant. Le rouge et le blanc s’affrontent, s’épousent, se dévorent. La retenue est massacrée. Quelque chose est né. Quelque chose de douloureux et de vrai.

C’est à ce moment-là que mon téléphone vibre.

Ce n’est pas un appel. Un message. Un seul mot, d’un numéro inconnu, mais que je reconnais instinctivement. Le même qu’hier soir, quand j’ai discrètement noté celui sur lequel « l’architecte » l’avait appelée.

Camille.

Le mot est : « Pourquoi ? »

Un souffle coupé. Une question jetée dans le vide à cinq heures du matin. Le premier aveu. Elle n’a pas dormi. Elle est dans son lit parfait, à côté de son homme parfait, et son esprit est ici, dans la souillure de mon atelier.

Un sourire lent étire mes lèvres. C’est un sourire de prédateur, de créateur. Le même. Je ne réponds pas. Pas tout de suite. Laisser la question fermenter. Laisser le poison agir.

Je pose le pinceau. Je me verse un verre d’eau. Je la regarde, la toile. Je l’appelle déjà, dans ma tête : « L’Éveil ». Ou peut-être « La Fissure ».

Mon téléphone vibre à nouveau. Un autre message.

« Je ne comprends pas ce qui m’arrive. »

Bingo. La confusion. Le terrain le plus fertile. Je peux presque sentir sa chaleur, son désarroi à travers l’écran. Elle cherche un sens, une catégorie. « Suis-je lesbienne ? Suis-je folle ? » Elle ne trouvera pas. Pas dans ses livres, pas dans sa musique rangée, sûrement pas dans les bras de son architecte.

C’est moi qui détiens les clés de son propre labyrinthe. Et je n’ai pas l’intention de les lui donner. Je vais juste l’y enfermer avec moi.

Je prends le téléphone. Je réponds, enfin. Pas par un texte. Par une image. Je prends en photo la toile naissante, le rouge et le blanc enlacés dans un combat voluptueux. Je l’envoie.

Aucune légende. Aucune explication.

Patuloy na basahin ang aklat na ito nang libre
I-scan ang code upang i-download ang App

Pinakabagong kabanata

  • À trois c'est l'enfer    Chapitre 7 : Désir 1

    ElénaLa lumière de l’aube n’est pas douce. Elle est chirurgicale. Elle coupe net l’obscurité de l’atelier, révélant les stigmates de la nuit : les verres sales, les cendriers débordants, les taches de vin sur le parquet. L’odeur du tabac froid se mêle à celle, persistante, de l’huile et de la térébenthine.Antoine est parti il y a deux heures. Il a essayé de rester, avec ses mains avides et ses théories creuses sur le « désir comme performance ». Je l’ai mis à la porte sans un mot. Il était une distraction. Une erreur de casting dans le drame qui se noue.Maintenant, il n’y a plus que le silence, et cette image qui tourne en boucle derrière mes paupières.Camille, dans l’embrasure de la porte, tirée entre deux pôles. Son mari, l’architecte aux mains propres, avec sa colère froide qui sentait la peur. Et moi. Ses yeux, quand ils ont croisé les miens avant de partir… Ce n’était pas de la honte. C’était de la terreur. La terreur sacrée de quelqu’un qui vient de voir l’abîme en soi pour

  • À trois c'est l'enfer    Chapitre 6 : Comment 2

    CamilleMais elle n’est pas un « objet ». C’est ça le problème. Elle est un sujet. Une force. Un champ magnétique. Désirer Eléna, ce ne serait pas désirer un corps de femme. Ce serait désirer un orage. Se jeter dans un incendie. C’est le contraire du désir rassurant que je connais. C’est un désir qui promet de tout consumer, de tout réduire en cendres, y compris cette idée si stable que j’avais de moi-même : Camille, la violoniste, la compagne de Léo. Une femme droite.Léo grogne mon nom, son souffle est court, brûlant contre mon oreille. Il est proche. Son corps est tendu, tout entier concentré sur cette fusion, sur cette reconquête. Il veut que je sois avec lui, pleinement, comme avant. Il le mérite. Il a tout construit pour nous.Je me mets à bouger sous lui, à répondre à ses mouvements. Je fais semblant d’être emportée. Je laisse échapper des sons, des mots rauques. Je joue la partition. Je suis une musicienne, après tout. Je sais jouer ce qu’on attend de moi.Suis-je en train de

  • À trois c'est l'enfer    Chapitre 5 : Comment 1

    CamilleLéo m’embrasse dans l’ascenseur. Un baiser qui n’est pas une question, mais un acte de réclamation. Ses mains sur mes hanches sont fermes, déterminées. La porte de l’appartement claque derrière nous, et soudain, il n’y a plus de politesse, plus d’espace pour le doute. Il y a cette urgence sombre qui flottait dans la voiture, et qui explose maintenant en silence.Il me pousse contre le mur du couloir, le marbre froid à travers la soie de ma robe. Ses lèvres quittent ma bouche pour mon cou, mes épaules. Il arrache presque les boutons-pression de mon manteau. Je l’entends tomber par terre. Chaque geste est une affirmation, une négation. Tu es à moi. Tu n’es pas là-bas. Tu es ici.Et moi, je me laisse faire. Je réponds à ses baisers. Mes mains s’accrochent à ses épaules, puis se glissent sous son pull, sur la peau chaude de son dos. Je retrouve les contours familiers de ses muscles, la colonne vertébrale que j’ai tant de fois suivie du bout des doigts. C’est Léo. Mon Léo. L’homme

  • À trois c'est l'enfer    Chapitre 4 : Pas inquiet 4

    LéoJe fais un pas à l’intérieur. Le parquet grince.— Je cherchais Camille. Sa répétition a fini il y a longtemps.— On s’en doutait.C’est l’homme qui parle. Il a un sourire en coin, pas vraiment amical.— Elle nous parlait justement de ton… sens de l’organisation.Je l’ignore. Mes yeux sont rivés sur Camille.— Tu vas bien ?Une question stupide. Elle n’a pas l’air bien. Elle a l’air éveillée, vivante, électrisée d’une manière que je ne lui connais pas. Et perdue. Terriblement perdue.— Je… oui. Je suis désolée. J’ai perdu la notion du temps.— Ici, le temps est une matière première. On le malaxe, on l’étire.Eléna a parlé sans se détacher de son chevalet. Son regard passe de Camille à moi, comme si elle comparait deux œuvres.— Qu’est-ce que vous faites ici, tous les trois ?Ma propre voix me semble étrangère, trop calme.— On parle d’art, mon vieux, répond l’homme. De passion. Des choses qui ne s’inscrivent pas dans un emploi du temps.Je reconnais le ton. Le ton de ceux qui pens

  • À trois c'est l'enfer    Chapitre 3 : Pas inquiet 2

    LéoUn souvenir me revient, flou. Elle en a parlé, il y a quelques jours. Un vernissage. Quelque chose sur l’art contemporain. Elle avait semblé… intéressée. Plus qu’à son habitude. Je n’avais pas écouté vraiment. L’art contemporain, pour moi, c’est souvent du désordre organisé. Je préfère les lignes claires.Mais elle y est. Immobile. Depuis des heures.Alors je fais ce que je n’ai jamais fait. Ce que je me jure de ne jamais faire. Je saisis mes clés. Je sors. Je descends dans le parking souterrain. Mon moteur gris métallisé rugit dans le béton. Je sors dans la nuit parisienne, et je pointe le GPS vers cette rue, vers ce point bleu qui clignote comme une alarme silencieuse.Le trajet est un flou gris. Les feux rouges sont interminables. Les piétons trop lents. Une colère froide monte, remplace l’inquiétude. Ce n’est pas la colère du mari trompé, pas encore. C’est la colère de l’architecte face à l’effondrement imprévu. On a construit quelque chose à deux. Elle a changé les règles du

  • À trois c'est l'enfer    Chapitre 2 : Pas inquiet

    Camille Elle me tend la main. Je la serre. Sa paume est rêche, marquée par le travail et les produits chimiques. Une main qui creuse, gratte, s’exprime. La mienne, si précieuse, si protégée, semble soudain fragile et inutile.— Tu veux voir où je crée la rage, Camille ?Elle a dit « tu ». Et elle ne parle plus de ses tableaux. Elle parle de l’antre. Du lieu de naissance du chaos. C’est une invitation. Un point de non-retour.Je pense à Léo. Aux saint-jacques qui vont refroidir. Au canapé beige, aux discussions sur le prochain chantier. À la vie lisse, prévisible, parfaite qui m’attend.— Oui.La réponse précède la pensée. Elle est là, sortie du même endroit obscur que celui qui m’a fait mentir à l’homme que j’aime.Eléna sourit, vraiment, cette fois. Un éclair blanc dans le visage sombre.— Suis-moi.Elle se retourne et marche vers la sortie, sans vérifier si je la suis. Elle sait que je vais le faire. Elle sait déjà des choses sur moi que j’ignore.Je prends une dernière inspiration

Higit pang Kabanata
Galugarin at basahin ang magagandang nobela
Libreng basahin ang magagandang nobela sa GoodNovel app. I-download ang mga librong gusto mo at basahin kahit saan at anumang oras.
Libreng basahin ang mga aklat sa app
I-scan ang code para mabasa sa App
DMCA.com Protection Status