MasukSALVADORLa porte de la villa se referme derrière moi avec un bruit de tombeau.Le silence à l’intérieur est plus lourd que tous les regards de tout à l’heure.Il absorbe le crépitement des bougies,le parfum des fleurs fanées, l’écho des rires qui, il y a une heure à peine, résonnaient encore.Ils sont là, tous les deux, dans le grand salon.Ma mère,debout près de la cheminée où les braises meurent, silhouette droite et victorieuse, un cristal vide entre ses doigts.Mon père,assis dans son fauteuil, le regard fixe, comme détaché de cette mise en scène dont il n’est plus que le spectateur complice.Je marche jusqu’au centre de la pièce, les pieds nus , je ne sais quand j’ai perdu mes souliers sur la route, la peau froide et sale sur le marbre immaculé.Je dois être une vision pitoyable.Le smoking en désordre, la cravate dénouée, les cheveux en bataille, les yeux brûlés par le vent et par elle.Par Aya.— Alors ? fait ma mère, d’une voix douce comme une lame.Le silence qui suit est pir
AYAJe marche sans savoir où je vais, les talons claquent sur le gravier comme un écho de ma propre fuite, le vent s’engouffre dans ma robe, mes cheveux se collent à mon visage, et dans ma gorge, tout brûle, le froid, les larmes, la honte.La route descend, bordée de lampadaires jaunes qui tremblent dans la nuit comme des chandelles mourantes, et chaque pas me semble plus lourd que le précédent, comme si le monde me tirait en arrière, vers cette maison, vers cette bague, vers cette trahison que je refuse encore de nommer.Je ne veux pas courir, pourtant je cours.Je cours parce que si je m’arrête, je vais hurler, et si je hurle, tout ce que j’ai essayé de retenir va éclater.Les voitures au loin ne me voient pas, je n’existe plus, je suis juste une ombre perdue dans la lumière froide.Je m’arrête au bord de la route, les mains sur les genoux, le souffle court.Le goût du sang dans ma bouche me ramène à moi.Je ris, un rire qui sonne faux, brisé, presque animal.Comment ai-je pu croire
AYALe samedi arrive comme une menace déguisée en fête.Je passe la journée à me préparer sans vraiment y croire, le cœur battant trop vite, comme si mon corps savait déjà que quelque chose allait se briser.Devant le miroir, je choisis une robe longue, noire, simple, presque sage. Je me maquille avec soin, un peu plus que d’habitude, pour masquer les ombres sous mes yeux. Il m’a dit qu’on devait faire bonne impression, que ce n’était “qu’un dîner d’affaires”, mais sa mère avait laissé traîner une phrase, un ton, une intention que je n’ai pas su oublier.Quand la voiture s’arrête devant la villa, la lumière me frappe de plein fouet. Les jardins sont illuminés comme pour une réception princière, les rires montent déjà de la terrasse, les voitures de luxe s’alignent, et je sens mon souffle se raccourcir.Il m’effleure la main.— Tout ira bien.Je hoche la tête, sans répondre.Dès qu’on franchit les portes vitrées, je sens les regards.Les femmes élégantes, les hommes en costume sombre,
AYALe lendemain matin s’est levé comme une caresse après une nuit trop pleine, et quand on sort ensemble, les doigts effleurant le froid, il y a dans l’air quelque chose d’infiniment simple, une promesse discrète.Il rit quand je trébuche sur les pavés verglacés, il me rattrape par la taille, sa main glisse sous mon manteau, juste assez pour que je frémisse.— Fais attention, dit-il.— Tu veux pas que je fasse exprès, parfois ?Il sourit sans répondre, et on continue, côte à côte, vers la voiture qui attend devant l’immeuble, le moteur déjà allumé.Le chauffeur ouvre la portière, je m’installe, la chaleur m’enveloppe aussitôt, la ville défile derrière les vitres teintées. Il donne quelques instructions d’une voix basse, posée, puis se tourne vers moi.— Café ?Il y a toujours une thermos prête dans la console centrale, et je ne sais pas s’il fait ça pour lui ou pour moi.— Tu veux me rendre dépendante, c’est ça ?Il hausse les épaules, un coin de sourire au bord des lèvres.— Je croi
AYAJe finis par composer le numéro, les doigts un peu tremblants, le cœur trop rapide. La sonnerie résonne longtemps, et je me demande un instant si elle va décrocher, si elle m’en veut, si elle croit que je les ai oubliés. Puis une voix familière, un peu essoufflée, un peu tremblante, surgit :— Aya ? Aya, ma fille, c’est toi ?— Oui, maman… c’est moi.Un silence, puis un cri joyeux, presque un sanglot.— Ah Seigneur, elle est vivante ! Elle est là ! Dieu merci !Je ris malgré moi, émue, incapable de retenir les larmes qui montent.— Maman, je t’ai appelée, hein, tu vois, je suis pas morte.— Tu crois que c’est drôle ? Des mois que je prie pour avoir de tes nouvelles ! Même ton frère a failli pleurer. Ton oncle a dit : “Elle a oublié d’où elle vient, maintenant qu’elle boit le café des Blancs.”Je ris encore, entre deux sanglots.— Oh maman… tu exagères.— Je n’exagère rien du tout. Alors, dis-moi, là-bas, il fait froid ? Ils mangent vraiment du pain tous les matins ? Et le lait, c’
AYAJe me réveille avant lui, sans trop savoir quelle heure il est, seulement consciente de la lumière qui filtre à travers les rideaux, d’un souffle tiède sur ma nuque, de cette chaleur tranquille qui s’est installée entre nos corps pendant la nuit. Il dort encore, un bras autour de ma taille, sa main posée sur mon ventre comme une promesse muette. Son torse se soulève lentement contre mon dos, et je reste là, à écouter sa respiration, à sentir le battement régulier de son cœur contre ma peau, ce rythme qui m’apaise et m’effraie à la fois.Je tourne légèrement la tête, juste assez pour voir son visage endormi, les cils collés, la bouche entrouverte, et un sourire m’échappe malgré moi. Il a l’air si calme, si sûr, comme si rien n’existait d’autre que ce lit, cette lumière pâle, cette bulle suspendue hors du monde. Pourtant, à l’intérieur, quelque chose bouge, griffe, murmure. Une voix discrète, familière, celle qui me rappelle que je ne suis pas d’ici, que je vis en équilibre sur un f