LOGINLilith
Il incline la tête, amusé.
— Azazel, dit‑il enfin, et le nom roulé sur sa langue a quelque chose de rauque, comme une promesse et une menace.
— J’ai entendu parler d’une femme qui gouverne par le sang. Je voulais voir si la légende vivait à la hauteur de sa réputation.
Mon sang se glace et bout en même temps. Azazel. Ce nom sonne presque familier, comme une histoire qu’on chuchote pour intimider les enfants. Je ne suis pas une enfant, je suis l’enfant brisée qui a appris à faire mal pour survivre. Pourtant, l’écho de ce nom m’atteint. Il porte avec lui une ancestralité qui me dépasse.
— Tu sais te présenter avec élégance , je concède, réponds‑je. Mais la courtoisie ne te sauvera pas si tu joues au curieux. Pourquoi es‑tu venu ?
Il s’approche encore, et je sens la chaleur d’un souffle qui n’a rien d’humain. Ses mots tombent comme une pluie douce et tranchante.
— Pour observer. Pour proposer. Pour… goûter.
Goûter. Le mot est un couperet. Il m’affecte d’un désir que je n’attendais pas, un désir sale et affamé qui se mêle à ma rébellion. Mes doigts cherchent instinctivement le manche de mon couteau. Les battements de mon cœur se resserrent. Je veux le tuer ; je veux qu’il m’embrasse ; je veux le voir tomber à genoux. Tout en même temps.
— Proposer quoi ? dis‑je, lentement, comme si je marchais sur une lame.
Azazel sourit, et son sourire dissout une part d’air entre nous. Il ne me touche pas, et pourtant, chaque fibre de mon être se tend.
— Un marché. Un accord entre deux solitudes. Tu connais le prix du pouvoir ici, n’est‑ce pas ? dit‑il. Tu l’as payé en chair et en cendres. Mais il y a d’autres monnaies que la violence simple.
Je ris, court et amer.
— Les monnaies me plaisent, mais je les choisis. Qui es‑tu pour me proposer d’économiser ?
— Qui je suis importe moins que ce que je fais, murmure‑t‑il. Je suis quelqu’un qui offre ce que tu cherches sans savoir si tu peux le supporter. Je peux t’apporter un toit de cendres sous lequel ton nom sera sculpté à l’éternité. Mais tout accord exige un versement.
Il laisse la phrase en suspens comme un piège appâté. J’ai été forgée au feu des trahisons, mais l’idée d’une puissance qui ne s’épuise pas me fait vaciller. Je veux tout et je veux le plus vite possible. C’est là ma faiblesse, et aussi ma force : je connais le coût et parfois je le paie, parce que le prix me permet d’écraser ce qui me résiste.
— Et quel est ce prix ? demandé‑je, la voix rugueuse.
Ses yeux se creusent. Il tient mon regard comme on tient une proie récalcitrante.
— Ton nom, ou ton secret. Une pièce simple, pour le moment. Une promesse. À la fin, tout sera plus… définitif.
Les rues autour de nous reprennent timidement leurs sons habituels, comme si la ville se remettait à respirer. Je sens l’heure tourner. Le pacte est une idée dangereuse, comme une lame qui coupe en deux les chemins : le pouvoir d’un côté, la perte de soi de l’autre. J’hésite. J’ai passé ma vie à choisir la violence au lieu de l’oubli. Et là, debout sous la pluie, face à cette silhouette qui n’appartient pas à la race des vivants, j’éprouve pour la première fois un vertige d’option.
— Donne‑moi une raison de te croire, dis‑je enfin. Donne‑moi quelque chose que les balles ne peuvent pas m’offrir.
Azazel sourit comme si j’avais répondu à devinette.
— Je t’en offrirai plusieurs, murmure‑t‑il. Des choses que la peur ne peut acheter. Des réponses. Du potentiel. Et peut‑être… quelque chose de plus doux, si tu savais l’atteindre.
Je sens le sol vaciller sous mes certitudes. Une part de moi est prête à accepter , pour le pouvoir, pour la revanche, pour l’extase que promet implicitement sa voix. L’autre part est vieille, blessée, et elle crie de fuir. Mais fuir ne m’a jamais sauvé. Alors je tends la main, juste assez, vers ce que je ne peux encore nommer.
— Très bien, dis‑je, en enfermant ma peur sous un sourire. Montre‑moi ce que tu proposes. Mais si tu joues, je briserai plus que tes promesses.
Il incline la tête, comme un roi qui accepte un défi.
— C’est tout ce que je demande, dit‑il. Et la nuit nous observe, satisfaite.
La pluie continue de tomber. Le monde paraît moins net qu’avant. Dans la ville qui m’appartient, une nouvelle force vient d’ouvrir un compte à découvert avec mon nom. Je ne sais pas encore si je m’enrichis ou si je me ruine. Mais je sais une chose : rien, désormais, ne gardera la promesse d’innocence.
Et quelque part au creux de ma poitrine, une braise que je croyais morte se réveille, affamée.
Il revient. Pas comme une tempête, mais comme une promesse qui s’infiltre : lente, insistante, impossible à ignorer. J’aurais pu l’éviter, faire ce que je fais d’habitude , écraser la curiosité sous une botte, fermer la porte, laisser le monde se débrouiller. Mais je sens que quelque chose se joue et je n’abandonne jamais une partie qui peut me rapporter plus que des morceaux de territoire.
Il m’a donné une heure. « Viens là où le béton sent encore la sueur », a‑t‑il dit. Pas de rituels, pas de sang répandu , du moins pas tout de suite. Simplement un échange d’énergies, de regards, de mots qui pèsent. J’arrive en retard volontairement. Lancer l’attente, c’est déjà faire plier l’autre.
LilithLa veille du couronnement, la ville est un corps nerveux. Des barrages militaires, des drones en essaims silencieux, une atmosphère de couvercle posé sur une casserole en ébullition. Ils croient contrôler la sécurité. Ils ne font que décorer la cage.Dans la chambre forte, on m’apporte la tenue. Ce n’est pas une robe. C’est une armure. Du cuir noir mat, travaillé de fils d’or qui forment des runes que je suis la seule à comprendre. Des plaques discrètes, pare-balles, se moulent à mes hanches, ma poitrine. La cape, lourde, d’un rouge sang, est doublée d’un tissu pare-lames. Azazel a veillé lui-même sur sa confection. Chaque couture est une incantation de protection. Chaque fibre, imprégnée de notre volonté commune.Je me tiens nue devant le miroir, et on m’habille. Des femmes aux yeux baissés, des mains qui tremblent en ajustant les sangles. Elles sentent le froid qui émane de moi, la présence autre. Une d’elles, en attachant une bretelle, effleure la marque laissée par Azazel s
LilithEt le pouvoir, le vrai pouvoir terrestre, commence à couler vers moi.Le Parti, orphelin, paniqué, se tourne vers la seule figure stable : moi. La veuve du héros. Celle qui partageait ses nuits et ses secrets. Ils me voient comme un symbole, un pont vers sa mémoire. Ils ne voient pas la prédatrice.Azazel, désormais, n’est plus un spectre. Il est mon ombre portée, mon conseiller occulte. La nuit, dans les appartements privés que j’occupe désormais au palais, il se matérialise.— Ils ont peur, murmure-t-il, passant derrière moi tandis que je regarde la ville scintiller. Sa main effleure ma nuque, un contact de glace et de braise qui me fait frissonner. La peur est le ciment des trônes. Utilise-la.Sa présence n’est plus seulement mentale. Elle est charnelle. Une nuit, alors que les derniers conseillers nous ont quittés, il me fait face. L’air est lourd, chargé d’ozone et de menace.— Tu as goûté à son âme. Mais tu n’as pas encore goûté à la mienne, dit-il.Il avance, et cette fo
LilithJe souris, un sourire triste et doux.— Je veux te montrer à quel point tu peux me faire confiance. À quel point nous ne faisons qu'un.Je me lève et je viens derrière lui. Je pose mes mains sur ses tempes.— Ferme les yeux. Vois à travers les miens.Il obéit, confiant, amoureux.Et alors, je lui ouvre mon esprit.Pas entièrement. Juste un flot contrôlé. Je lui montre des images. La simulation de l'attentat, mes hommes payés pour être neutralisés. Je lui montre mes manipulations dans son cabinet, les âmes faibles que j'ai tordues. Je lui montre Azazel, non pas dans sa forme démoniaque, mais comme une présence, un partenaire dans l'ombre. Je lui montre chaque mensonge, chaque manipulation, chaque goutte de pouvoir que j'ai soutirée, le tissant dans un récit pervers d'un amour si absolu qu'il justifie toute trahison.Je lui montre tout cela, non pas avec cruauté, mais avec une tendre mélancolie, comme si je lui confiais le secret le plus précieux et le plus tragique de mon âme.J
LilithLa lune de miel est une opération militaire. Nous sommes dans une villa isolée sur une falaise surplombant une mer démontée, un décor parfait pour un drame. Valerius la voit comme un refuge idyllique. Moi, je la vois comme un laboratoire, une arène close.Le premier soir, alors qu'il me serre contre lui devant la cheminée, ivre de bonheur et de vieux brandy, je commence.Je pose ma main sur sa tempe, un geste qu'il prend pour une caresse. Je ferme les yeux et j'ouvre le conduit. Le fil noir qui nous relie depuis l'église pulse soudain, passif devient actif. Ce n'est plus une simple sensation, c'est une vanne que je tourne.— Tu es mon roc, Lilith, murmure-t-il, son souffle chaud contre mon cou.— Je le sais, chuchoté-je.Et je bois.Ce n'est pas une gorgée discrète comme avec les autres. C'est un torrent. Sa confiance en moi, aveugle et totale, est un nectar sucré et épais. Je l'aspire, et la sensation est si enivrante que ma tête tourne. Un soupir lui échappe, qu'il prend pour
LilithLe monde se met à genoux. Littéralement. La nouvelle de mes fiançailles avec le Président Valerius est une onde de choc qui balaie les marchés, les médias et les cercles du pouvoir. Je suis partout : la mystérieuse bienfaitrice, la beauté fatale qui a sauvé la vie du président et a capturé son cœur. On dissèque mon passé, un chef-d'œuvre de fiction que j'ai patiemment tissé au fil des années. On s'extasie sur mon élégance, on chuchote sur ma fortune, on spécule sur mon influence. Ils ne voient que l'écrin. Ils sont aveugles à la lame.Valerius, lui, se métamorphose. La solitude qui le ronge s'est dissipée, remplacée par une confiance nouvelle, presque arrogante. Il voit en moi son pilier, son talisman. Il me consulte pour tout, des dossiers économiques aux remaniements ministériels. Mes "conseils", toujours teintés de la sagesse perverse d'Azazel, sont des ordres déguisés. Je deviens l'éminence grise couronnée, l'épouse officieuse de la nation.Mais chaque nuit, je paye le prix
LilithLe pouvoir nouvellement acquis est un vin épais dans mes veines. Chaque âme que je prends pour Azazel laisse en moi un résidu de puissance, une énergie noire qui aiguise mes sens et affûte ma volonté. Mais comme il l'avait prédit, un seul goût rend accro. La petite reine de sang d'une ville ? C'était hier. Aujourd'hui, je veux un trône à l'épreuve des balles et des lois.Mes nouveaux sens, affinés par la magie noire du pacte, me guident vers les faiblesses du monde. Je traque non plus avec un couteau, mais avec une intuition démoniaque. Et je la sens, de loin, la faille la plus prometteuse : le Président Valerius.Je l'étudie. Veuf. Charismatique. Assoiffé de stabilité après un premier mandat tumultueux. Il est entouré d'une cour de sycophantes, mais son âme crie sa solitude et sa peur de l'effondrement. Une peur que je peux apaiser. Une faille que je peux combler.Je ne le rencontre pas dans un salon mondain. Trop prévisible. Je crée une situation. Une attaque terroriste simul







