La porte massive pivota vers l'intérieur avec un sifflement pneumatique à peine audible, révélant un hall d'entrée qui aurait pu rivaliser avec le foyer d'un musée d'art contemporain. Un silence presque palpable emplissait l'espace, dont les plafonds voûtés se perdaient dans une pénombre que les rares éclairages indirects, encastrés dans le sol de marbre sombre et les murs de pierre brute, ne parvenaient pas à dissiper. L'air lui-même semblait porter une fraîcheur calculée, aseptisée, qui glaça Liv jusqu'aux os malgré la douceur apparente de la température. Il n'y avait aucune trace de désordre, aucun signe de vie quotidienne ; tout était impeccable, géométrique, et d'une beauté froide et intimidante.
Devant elle se tenait Hélène Albright, silhouette longiligne dans un tailleur-pantalon gris anthracite si parfaitement coupé qu'il semblait moulé sur elle. Ses cheveux noirs étaient tirés en un chignon strict, et ses yeux sombres, derrière des lunettes à monture fine, observaient Liv avec une intensité neutre qui la mettait profondément mal à l'aise. Pas un sourire, pas un mot de bienvenue chaleureux. Juste une professionnelle exécutant une tâche. « Madame Moreau, » sa voix, toujours aussi précise, coupa le silence. « Veuillez me suivre. Monsieur Vance n'est pas disponible pour le moment, mais j'ai été chargée de finaliser les formalités de votre engagement et de vous installer. » Liv déglutit, essayant de masquer le frisson qui la parcourait. L'endroit était à la fois fascinant et oppressant. Elle serra plus fort la lanière de son sac, son unique ancre dans ce nouvel univers. « Très bien, Madame Albright. » Elles traversèrent le hall, le bruit discret de leurs talons sur le marbre résonnant étrangement dans le vide. Liv ne put s'empêcher de laisser son regard errer, absorbant les détails. Des œuvres d'art abstraites, monumentales et monochromes, ornaient certains murs. De larges baies vitrées, allant du sol au plafond, offraient des aperçus sur le parc environnant, désormais plongé dans l'obscurité naissante, mais elle devinait que la vue de jour devait être spectaculaire, et incroyablement isolante. Aucune autre personne n'était visible. Pas de personnel affairé, pas de gardes en uniforme. Juste le silence, l'espace, et la présence invisible mais écrasante de Kaelen Vance. Madame Albright la conduisit dans une pièce qui ressemblait à un bureau de direction ultra-moderne. Une immense table en bois sombre et laqué trônait au centre, entourée de fauteuils en cuir design. Un mur entier était un écran, actuellement éteint. L'assistante contourna la table et s'assit, invitant Liv d'un geste à prendre place en face d'elle. Un fin dossier était posé devant elle. « Voici votre contrat, Madame Moreau, » annonça-t-elle en faisant glisser le dossier vers Liv. « Je vous invite à le lire attentivement. Les points essentiels concernent, comme nous l'avons évoqué, la durée d'un an, votre résidence permanente ici, à L'Observatoire, et une clause de confidentialité absolue et irrévocable. Toute infraction à cette clause entraînerait des poursuites judiciaires substantielles et la résiliation immédiate de l'accord, avec remboursement des sommes déjà perçues. » Son ton était factuel, mais la menace sous-jacente était claire. Liv ouvrit le dossier. Les pages étaient nombreuses, le jargon légal dense. Elle essaya de se concentrer, parcourant les clauses. Confidentialité. Exclusivité. Interdiction de divulguer toute information concernant Monsieur Vance, ses affaires, sa santé, sa routine, ou même l'aménagement intérieur de L'Observatoire. Interdiction d'introduire des appareils d'enregistrement non autorisés. Interdiction de quitter la propriété sans permission explicite. Elle se sentit soudain comme une prisonnière dans une cage dorée. Les chiffres concernant sa rémunération étaient là, noirs sur blancs, aussi vertigineux qu'elle s'en souvenait. Assez pour changer sa vie. Assez pour la forcer à signer, malgré les chaînes invisibles qui se resserraient autour d'elle. Elle pensa à Ethan. À ses enquêtes, à sa détermination. Il aurait détesté cet endroit, cette opulence stérile, ce contrôle absolu. Mais il aurait aussi compris pourquoi elle était là. Il aurait vu l'opportunité, aussi mince soit-elle. « J'ai une question, » dit Liv, relevant les yeux vers Madame Albright. « Concernant les communications avec l'extérieur. Mon meilleur ami, Alex Chen, s'attend à avoir de mes nouvelles. » Madame Albright la fixa une seconde. « Les communications personnelles sont autorisées, via votre téléphone portable et l'accès internet fourni, tant qu'elles ne contreviennent pas à la clause de confidentialité. Toute tentative de transmettre des informations sensibles sera détectée. L'Observatoire dispose de systèmes de sécurité… avancés. » Un euphémisme, Liv en était certaine. Elle prit le stylo posé à côté du contrat. Sa main tremblait légèrement. C'était le moment. Le point de non-retour. Elle signa, son nom paraissant étranger sur ce document qui la liait à un homme qu'elle n'avait jamais vu, dans un lieu qui ressemblait à une forteresse. Madame Albright récupéra le contrat, le vérifia rapidement, puis apposa sa propre signature en tant que témoin et représentante de Kaelen Vance. Elle en tendit une copie à Liv. « Bien. La première partie de votre rémunération sera virée sur votre compte dans les vingt-quatre heures. Maintenant, je vais vous montrer vos appartements et les zones auxquelles vous aurez accès. » Elles quittèrent le bureau et s'engagèrent dans un dédale de couloirs larges et épurés. Tout était silencieux, d'une propreté clinique. Des portes affleurantes, sans poignées visibles, s'ouvraient parfois sur leur passage, activées par des capteurs. Liv essayait de mémoriser le trajet, mais la disposition des lieux semblait conçue pour désorienter. « Voici la bibliothèque, » annonça Madame Albright en désignant une immense pièce aux murs recouverts d'étagères allant du sol au plafond, croulant sous les livres. Une mezzanine courait tout autour. Quelques fauteuils en cuir confortables étaient disposés près d'une cheminée moderne. Un endroit qui aurait pu être chaleureux, s'il n'avait pas été si désespérément vide et silencieux. « Monsieur Vance y passe beaucoup de temps, » ajouta l'assistante, presque comme une pensée annexe. Elles passèrent devant ce qui semblait être une salle de sport high-tech, puis une salle de cinéma privée. Chaque pièce était parfaitement équipée, impersonnelle. Enfin, elles arrivèrent devant une porte légèrement différente, en bois plus clair. « Voici vos quartiers, Madame Moreau. Ils comprennent une chambre, une salle de bain attenante, un petit salon et un espace de travail. Vous y trouverez tout le nécessaire. Vos repas vous seront servis ici, ou dans la petite salle à manger adjacente à la cuisine principale, selon votre préférence et l'emploi du temps de Monsieur Vance. Vous avez accès à la cuisine pour des besoins mineurs. » Madame Albright ouvrit la porte. Liv fut surprise par la taille et le luxe discret de l'espace. Un grand lit confortable, des meubles design, une vue imprenable sur la forêt à travers une immense baie vitrée. Un bureau équipé d'un ordinateur dernier cri. Son sac de voyage avait été discrètement déposé au pied du lit. « La salle de musicothérapie où vous travaillerez avec Monsieur Vance se trouve dans l'aile ouest, expliqua Madame Albright. Je vous y conduirai demain matin pour votre première séance, prévue à dix heures. Monsieur Vance a été informé de votre arrivée. Il attend de vous que vous soyez prête et professionnelle. » Son regard insista sur le mot "professionnelle". « Je comprends, » répondit Liv, s'efforçant de garder une contenance. « Bien. Je vous laisse vous installer. Votre téléphone dispose d'un interphone direct avec mon bureau si vous avez des questions urgentes. Autrement, je vous verrai demain. » Sur ce, Madame Albright tourna les talons et s'éloigna, la laissant seule dans ce luxueux cocon. Liv attendit que le bruit de ses pas s'estompe, puis elle laissa échapper un long soupir. Elle fit le tour de la pièce, touchant la surface lisse du bureau, la douceur du couvre-lit. C'était magnifique, indéniablement. Mais elle se sentait comme un oiseau rare dans une cage dorée. Elle s'approcha de la baie vitrée. Dehors, la nuit était totale, les arbres formaient une masse sombre et impénétrable. Aucune lumière d'autre habitation. Juste elle, et cette immense maison silencieuse. Elle sortit son téléphone de son sac. Alex. Elle devait lui envoyer un message. « Suis arrivée. L'endroit est… irréel. Contrat signé. Je te raconterai. Pour l'instant, tout va "bien". Sois prudent de ton côté. L. » Elle hésita avant d'envoyer, relisant les mots de Madame Albright sur la surveillance. Mais elle devait rassurer Alex. Elle appuya sur "envoyer". Soudain, un son très faible, presque imperceptible, attira son attention. Un murmure de musique. Du piano. Elle tendit l'oreille, le cœur battant. C'était lointain, étouffé par les murs épais, mais indubitablement là. Une mélodie complexe, mélancolique, jouée avec une virtuosité technique impressionnante, mais aussi une sorte de rage contenue. Kaelen Vance. Ce ne pouvait être que lui. La musique s'arrêta aussi brusquement qu'elle avait commencé, laissant un silence encore plus lourd qu'auparavant. Liv frissonna. Elle était donc sous le même toit que cet homme invisible, ce génie reclus dont la musique venait de lui offrir un aperçu fugace de son âme tourmentée. Demain, elle allait le rencontrer. Demain, son véritable travail commencerait. Et peut-être, sa véritable enquête aussi. Elle regarda à nouveau par la fenêtre, vers l'obscurité. L'Observatoire portait bien son nom. Elle avait l'impression d'être constamment observée. Et elle se demanda si elle, à son tour, parviendrait à observer quoi que ce soit d'utile dans cette forteresse de verre et d'acier. Elle défit son sac, sortant le peu d'affaires qu'elle avait apportées, essayant de créer un semblant de normalité dans cet environnement extraordinaire. La mélodie d'Ethan lui revint en mémoire, si différente de celle, sombre et passionnée, qu'elle venait d'entendre. Deux musiques, deux mystères. Et elle, au milieu, avec la lourde tâche de les démêler.Le lendemain matin, Livia se prépara pour sa séance avec le soin méticuleux d'un soldat s'armant pour la bataille. Chaque geste était délibéré : le choix d'une tenue encore plus neutre et professionnelle que la veille, le lissage de ses cheveux en une queue de cheval stricte, l'application d'un masque de calme impénétrable sur son visage. La peur était une bête sauvage qui griffait l'intérieur de sa cage thoracique, mais elle ne devait rien en laisser paraître. Aujourd'hui, elle n'était pas la proie. Elle était le chasseur, et elle devait avancer à pas de loup.Lorsqu'elle arriva à dix heures précises devant la double porte de la salle de musique, elle prit une profonde inspiration, se remémorant les conseils d'Alex. Agir comme si de rien n'était. Ton meilleur camouflage.Elle frappa et entra sans attendre de réponse, comme elle l'aurait fait avec n'importe quel autre patient.Kaelen était déjà là, non pas près de la fenêtre comme la veille, mais assis dans l'un des fauteuils en cuir,
Le monde de Livia se rétrécit pour se concentrer sur les cinq notes qui venaient de s'échapper des doigts de Kaelen. Cinq notes qui n'avaient rien à faire là, dans cette pièce, dans la musique de cet homme. C'étaient ses notes, celles d'Ethan. Un fragment de leur secret, une clé brisée jetée au milieu de la symphonie tourmentée de Kaelen Vance.Le sang qui avait afflué à ses joues pendant leur dialogue musical se retira d'un coup, la laissant glacée. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine. Kaelen avait déjà quitté la pièce, mais sa présence, et surtout celle de cette mélodie, flottait encore dans l'air, lourde, menaçante.Coïncidence ?L'idée traversa son esprit, un filament d'espoir auquel elle tenta de s'accrocher. Une simple progression harmonique, un hasard statistique parmi les milliards de combinaisons musicales possibles. Mais elle savait, avec une certitude qui lui nouait les entrailles, que ce n'était pas le cas. La mélodie d'Ethan était trop particulière, trop dissonante
La musique qui s'élevait du Steinway était un torrent. Elle n'avait rien à voir avec les pièces classiques ou les improvisations jazz qu'on pouvait s'attendre à entendre. C'était un paysage sonore, une narration sans mots. Des arpèges rapides et angoissés montaient comme une crise de panique, pour ensuite se briser en accords mineurs poignants, lourds de regret. Il y avait des moments de fureur, où les basses grondaient comme un orage lointain, et des passages d'une délicatesse cristalline, si fragiles qu'ils semblaient sur le point de se désintégrer.Liv ne bougeait pas, assise dans l'un des fauteuils en cuir placés non loin du piano. Elle avait fermé les yeux, non pas pour se détendre, mais pour mieux se concentrer, pour laisser la musique peindre des images dans son esprit. Elle entendait la solitude des vastes couloirs de L'Observatoire, la frustration d'un esprit brillant piégé dans une cage, qu'elle soit physique ou mentale. Elle entendait la douleur des cicatrices, celles qui m
Le sommeil avait été un visiteur élusif. Liv avait passé une grande partie de la nuit à écouter les silences de L'Observatoire, chaque craquement du bâtiment, chaque souffle du vent dans les arbres à l'extérieur lui semblant amplifié, porteur d'une signification cachée. La mélodie fugace jouée au piano la veille avait laissé une empreinte persistante, une curiosité mêlée d'appréhension quant à l'homme qui se cachait derrière ces notes.À neuf heures précises, comme une horloge suisse, Madame Albright se matérialisa à la porte de ses appartements. Toujours impeccable, toujours insondable.« Madame Moreau, êtes-vous prête ? Monsieur Vance vous attend. » Sa voix était un instrument de précision, chaque syllabe articulée avec une clarté clinique.« Oui, Madame Albright, je le suis, » répondit Liv, s'efforçant de projeter une assurance qu'elle était loin de ressentir. Elle avait choisi une tenue professionnelle mais confortable : un pantalon sombre et une blouse en soie de couleur neutre.
La porte massive pivota vers l'intérieur avec un sifflement pneumatique à peine audible, révélant un hall d'entrée qui aurait pu rivaliser avec le foyer d'un musée d'art contemporain. Un silence presque palpable emplissait l'espace, dont les plafonds voûtés se perdaient dans une pénombre que les rares éclairages indirects, encastrés dans le sol de marbre sombre et les murs de pierre brute, ne parvenaient pas à dissiper. L'air lui-même semblait porter une fraîcheur calculée, aseptisée, qui glaça Liv jusqu'aux os malgré la douceur apparente de la température. Il n'y avait aucune trace de désordre, aucun signe de vie quotidienne ; tout était impeccable, géométrique, et d'une beauté froide et intimidante.Devant elle se tenait Hélène Albright, silhouette longiligne dans un tailleur-pantalon gris anthracite si parfaitement coupé qu'il semblait moulé sur elle. Ses cheveux noirs étaient tirés en un chignon strict, et ses yeux sombres, derrière des lunettes à monture fine, observaient Liv ave
La nuit fut une torture d'indécision. Liv se tourna et se retourna dans son lit, les mots de Madame Albright résonnant en écho avec le tic-tac angoissant de l'horloge. D'un côté, la promesse d'une bouée financière, la perspective d'une sécurité qu'elle n'avait pas connue depuis des années. De l'autre, l'ombre de Nexus Corp, le visage souriant d'Ethan, et cette intuition tenace que quelque chose clochait terriblement.Au petit matin, les yeux cernés mais l'esprit étrangement clair, elle prit son téléphone. Elle avait besoin d'un avis extérieur, d'une ancre dans cette tempête.« Alex ? C'est Liv. J'ai besoin de te parler. Urgemment. »Alex Chen, son meilleur ami depuis l'université, un génie de l'informatique au grand cœur et à l'humour caustique, décrocha à la deuxième sonnerie, sa voix encore ensommeillée.« Liv ? Tout va bien ? Tu as une voix de déterrée. Encore une nuit à chasser les fantômes d'Ethan avec Chopin ? »Liv esquissa un sourire fatigué. « Presque. Écoute, j'ai reçu une o