Alexandre )
Je laisse Mademoiselle Brunel passer devant moi, et son stress me saute aux narines comme une odeur de sueur froide. Elle tremble sous son tailleur ajustée, mais elle le cache bien – presque.
Son CV est une surprise, pourtant. À même pas trente ans, elle aligne plus de diplômes que moi, des lignes de prestige qui brillent sur le papier.
Moi ? J'ai jamais eu besoin de ça. Amadeus Knight m'a ramassé, modelé, et martelé une seule vérité : je serais son héritier, son bras droit, le prochain à tenir les rêves de son empire.
L'école, c'était juste un moyen, pas une fin. Lui, il a bâti tout ça à la force des poings, avec du culot, un peu de chance, et des deals pas toujours nets. Il m'a jamais caché les ombres de son jeu.
Gamin, je voyais des types louches défiler à la maison. Des soirées poker au sous-sol, des fumées épaisses qui montaient jusqu'à l'étage, pendant que ma mère adoptive me collait devant un film avec du popcorn trop salé. Ou des réunions dans son bureau, portes fermées, étouffées. Amadeus rigolait, disait que c'était « le business », et moi, je hochais la tête, trop jeune pour poser des questions. Aujourd'hui, je sais. Il a pas construit Knight Enterprises en jouant les saints.
Je la regarde avancer, cette Laurie Brunel, ses talons claquant dans le couloir. Elle est raide, tendue, mais elle a du cran – faut bien, pour arriver jusqu'ici. Moi, j'ai pas eu son parcours. Ma vie a commencé dans une cellule, littéralement. Ma mère, une ado paumée, m'a poussée hors d'elle derrière des barreaux, père inconnu. Elle s'est tuée à l'héroïne deux ans plus tard – overdose, d'après les dossiers que j'ai déterrés plus tard. L'orphelinat à suivi, un trou gris où j'ai appris à fermer ma gueule et à encaisser. Dix ans là-dedans, à regarder les autres partir, les familles sourient, et moi, rien. Jusqu'à ce jour.
Amadeus et Eugenia ont débarqué un matin. Je traînais dans le hall, les chaussures rapées, les yeux dans le vide. Il m'a vu, s'est arrêté net. Grand, massif, un costard qui puait le fric, et ce sourire – franc, presque trop chaleureux. « Bonjour, petit », qu'il m'a lancé. J'ai répondu, timide, « Bonjour, monsieur ». Un courant est passé, une truc que je capte pas encore aujourd'hui. Il m'a demandé mon nom, a murmuré un mot à sa femme. Elle a froncé les sourcils, l'air pincé, mais il s'en foutait. Quelques minutes après, le directeur – un connard glacial qui cognait les fortes têtes – m'a chopé. « Alexandre, tu pars. Les Knight te prennent. »
J'ai cligné des yeux, méfiant. Eugenia pleurait doucement, Amadeus rayonnait. Il m'a tendu la main, sa poigne chaude engloutissant la mienne.
« Allez, mon bonhomme, à rentrer. Laisse tes merdes ici, papa Amadeus te rachète tout. »
J'avais rien à emporter, de toute façon – un sac troué, des rêves en miettes.
On m'a poussé dans leur bagnole avant que je puisse dire au revoir. Plus tard, j'ai su qu'il avait lâché un paquet de fric pour accélérer l'adoption, qu'il m'avait piqué la place d'une gosse. Une fille. Mon amie, ma presque petite sœur. Son prénom m'échappe, effacé par le temps, comme son visage qui flotte, flou, dans ma tête. J'étais pas été jaloux qu'elle parte, au contraire – ça me brisait de la perdre. Mais Amadeus avait décidé. Moi, pas elle.
Eugenia, ma mère adoptive, elle a pleuré des litres.
Elle voulait une fille, cette gamine qu'elle avait vue deux fois, qui faisait battre son cœur de mère stérile. Leur mariage, un contrat plus qu'un amour, l'avait laissée sans enfants, malgré tous leurs essais. Amadeus s'en moquait des contes de fées. Il était venu pour elle, au départ, jusqu'à ce que nos salutations se croisent.
Pourquoi moi ? Il ne m'a jamais expliqué. « Un sentiment », qu'il disait en haussant les épaules.
Tant mieux. Pas besoin de raison, juste ce lien brut, indéfinissable, qui m'a sorti de là.
Je jette un œil à Laurie, qui fixe la porte de mon bureau comme si c'était un peloton d'exécution. Elle a du feu, cette fille, mais elle sait pas encore à qui elle a affaire. Moi, je suis né le jour où Amadeus m'a ramassé. Depuis, je bosse, je cogne, je prouve. Pour lui, pour Eugenia, pour l'empire qu'il m'a légué. Et aujourd'hui, c'est à moi de tester cette Mademoiselle Brunel. On verra si elle tient le choc.
LAURIECarter relâche ma main et se redresse, un sourire en coin revenant sur son visage, comme s’il retrouvait son assurance.— Fais gaffe, Knight, lance-t-il, taquin, ses yeux pétillant. Elle est têtue, cette fille. Elle va te faire tourner en bourrique, mais elle vaut le coup.Alexander rit, un son bas, rauque, qui résonne dans ma poitrine.— Je sais, murmure-t-il, un éclat malicieux dans les yeux, son regard glissant vers moi.Le reste de l’équipe – Marc, quelques techniciens de Knight Enterprises, une amie de Carter – finit par partir, leurs rires et leurs voix s’évanouissant dans l’escalier. Le rooftop redevient notre refuge, un îlot suspendu au-dessus de Paris. Le vent se lève, jouant avec mes cheveux, les faisant danser autour de mon visage. Je les repousse, frissonnant légèrement, et Alexander s’approche, s’asseyant à côté de moi sur le coussin. Il est proche, si proche que je sens la chaleur de son corps, l’odeur de son eau de Cologne, boisée et subtile, mêlée à celle de la
laurieLe rooftop de Knight Enterprises scintille sous un ciel constellé d’étoiles, les guirlandes lumineuses suspendues entre des poutres d’acier jetant des éclats dorés qui dansent sur le béton poli. L’air frais d’avril 2025 porte une odeur sucrée de croissants tout juste sortis du four, flottant depuis un café niché dans une ruelle en contrebas, mêlée au parfum métallique et vibrant de Paris. La ville s’étend sous nos pieds, un océan de lumières clignotantes, des toits en zinc luisant sous la lune, des boulevards traçant des lignes dorées dans la nuit. Je suis assise sur un coussin posé à même le sol, une tablette sur les genoux, griffonnant des idées pour un projet qui n’a pas encore de nom – des esquisses de code, des concepts pour une start-up, des bribes de rêves que je n’ai jamais osé formuler à voix haute. Mes lunettes glissent sur mon nez, et je les repousse d’un geste machinal, mon pull en laine effleurant ma peau, doux comme une caresse contre la fraîcheur du soir.Alexande
laurieLa pluie tambourine contre les baies vitrées du bureau d’Alexander, un rideau glacé qui brouille la skyline de La Défense, ses éclats scintillant comme des yeux dans la nuit d’avril 2025. L’air sent le café refroidi et le papier, saturé par les vibrations des écrans tactiles, leurs notifications clignotant comme des battements de cœur. Je tiens la lettre d’Amadeus, mes doigts tremblants sur l’encre noire, le croquis d’un médaillon – cercle barré, symbole d’Oméga – brûlant mes yeux. Alexander, penché sur un écran, fronce les sourcils, ses cheveux noirs en mèches rebelles, ses yeux gris pleins d’une tempête contenue. Il croise mon regard, et je sens mon pouls s’affoler, une chaleur familière malgré la peur.« Son médaillon, » murmuré-je, ma voix rauque, pointant le dessin. « Il le portait toujours. Dans son ancien bureau, ici, non ? »Avant qu’il réponde, son téléphone vibre, et la voix de Marc, paniquée, déchire le silence. « Stahl s’est évadé, » dit-il. « Un gardien corrompu. I
LAURIEOn marche, main dans la main, à travers la cour, puis à l’intérieur, nos pas résonnant dans les couloirs vides. Chaque pièce est un souvenir – la salle commune où on jouait aux cartes, le dortoir où je pleurais la nuit, l’escalier où Alexander m’avait promis qu’on s’en sortirait. Je m’arrête devant une porte, celle du bureau du directeur, et je frissonne, repensant à Elena, à sa silhouette dans la photo, à tout ce qu’on a découvert. Stahl est en prison, les preuves d’Oméga ont fait tomber des puissants – politiciens, hommes d’affaires, ombres qu’Amadeus manipulait. Knight Enterprises est sauvé, Hargrove a signé pour de bon, et pourtant, je sens encore une ombre, un poids qui refuse de partir.Alexander le sent aussi, je le vois dans sa posture, dans la façon dont ses yeux balaient les murs, comme s’il cherchait quelque chose. Il sort une lettre de sa poche, celle trouvée dans les dossiers de Stahl, écrite par Amadeus avant sa mort. Il me la tend, et je la prends, mes doigts tre
laurieLe soleil se lève sur la campagne, un éclat timide qui perce les nuages, comme une caresse après une longue nuit de tempête. Je suis debout dans la cour de l’orphelinat, l’herbe humide trempant mes baskets, mon souffle formant de petits nuages dans l’air frais d’avril. Alexander est à côté de moi, sa main dans la mienne, chaude, solide, un ancrage que je n’aurais jamais cru possible il y a encore quelques semaines. Nos valises sont posées près de la voiture, un vieux break qu’on a loué pour ce voyage, comme si on voulait laisser le luxe de Knight Enterprises derrière nous, ne serait-ce que pour un jour. On est revenus ici, à cet endroit qui nous a faits et brisés, pas pour chercher des réponses, pas pour se battre, mais pour dire adieu – aux murs gris, aux souvenirs amers, à la douleur qu’on a portée trop longtemps.L’orphelinat n’a pas changé, pas vraiment. Les fenêtres sont toujours cassées, leurs cadres mangés par la rouille, et la grille d’entrée penche comme un vieillard f
Il attrape son arme, rapide comme un serpent, et je pousse Laurie derrière moi, mon flingue levé, le canon pointé sur sa poitrine. Mon cœur cogne, mais ma main est ferme.— Pose ça, Stahl, dis-je, la voix basse, un grondement. T’es pas en position de jouer.Il hésite, ses yeux passant de moi à Laurie, puis à la porte, comme s’il calculait ses chances. On gagne du temps, c’est le plan – laisser les flics se positionner, attendre le signal de Marc. Mais je vois Laurie bouger du coin de l’œil, discrète, maligne. Elle glisse une main dans sa poche, son téléphone allumé, l’écran masqué par sa paume. Elle enregistre, encore, capturant chaque mot de Stahl, chaque aveu qu’il lâche malgré lui. Elle est brillante, toujours un coup d’avance, et une bouffée de fierté m’envahit, même au milieu de cette tension.— Parle, Stahl, dis-je, pour le pousser, pour le faire craquer. T’as perdu. Pourquoi tu t’accroches ?Il ricane, mais ses mots sortent, presque malgré lui, comme si la pression le faisait d