LOGINSeraleone suivit du regard l’homme qui venait de capter son attention, sans trop savoir pourquoi. Il y avait dans son allure quelque chose de brut, de mystérieux, presque… magnétique. Elle secoua doucement la tête, comme pour chasser cette pensée importune, et se replongea dans son écran.
Pendant ce temps, Xavier avait pris l’ascenseur jusqu’au troisième étage. En sortant, il repéra sans difficulté le bureau indiqué. Il inspira profondément et toqua trois coups. — Entrez, grogna une voix rauque et sèche. Il poussa doucement la porte. — Bonjour monsieur, dit-il respectueusement. — Que voulez-vous ? lança le vieil homme sans même lever la tête. — Je viens pour l’annonce, répondit-il en lui tendant un vieux journal chiffonné. L’homme releva les yeux, examina Xavier rapidement, puis demanda : — Vous avez votre propre camion ? — Oui, il est garé juste dehors. — Parfait. Allez voir le contremaître Paul. Il vous montrera où stationner. On remplira votre citerne et vous ferez la livraison. C’est un boulot journalier. Cent dollars de l’heure, ça vous va ? — Ça me convient, répondit Xavier sans hésiter. — Très bien. Bienvenue chez nous, monsieur… — Xavier, répondit-il en lui serrant la main. — Bienvenue chez nous, monsieur Xavier. Vous pouvez disposer. Xavier hocha la tête et quitta le bureau. Il reprit l’ascenseur pour retourner au rez-de-chaussée. En sortant, ses pas le ramenèrent naturellement vers la réception. — Excusez-moi, madame… sauriez-vous où je peux trouver monsieur Paul ? Seraleone leva les yeux… et figea. Encore lui. — Ah… oui… bien sûr… balbutia-t-elle presque malgré elle. Son cœur fit un bond sans raison valable. Elle se sentit idiote. Pourquoi ce regard lui retournait-il l’estomac comme une adolescente ? Pourquoi cet homme qu’elle ne connaissait pas lui faisait cet effet-là ? Elle détourna brièvement les yeux, le temps de reprendre contenance. — Le contremaître Paul est dans le hangar, sur votre gauche en sortant. Suivez les panneaux. — Merci, madame, dit-il avec un petit sourire presque imperceptible. Elle regarda sa silhouette s’éloigner. Et sans s’en rendre compte, elle souriait… Une fois arrivé au deuxième étage, il avança d’un pas ferme et toqua trois coups à la porte indiquée. — Entrez ! répondit une voix plus joviale, presque chaleureuse. Xavier entra. — Bonjour monsieur, je suis Xavier, le nouveau camionneur. — Ah, parfait ! Bienvenue à bord, monsieur Xavier. Suivez-moi, dit Paul, un homme d’une cinquantaine d’années, à la barbe grisonnante et au regard vif. Les deux hommes prirent l’ascenseur ensemble, échangèrent quelques banalités sur la chaleur écrasante de la journée, puis arrivèrent à l’entrepôt. — Voilà, c’est ici. Allez chercher votre camion et garez-le juste là, indiqua Paul en pointant une large zone de remplissage. Xavier ne perdit pas de temps. Il monta dans son mastodonte de métal, fit rugir le moteur et le dirigea avec précision jusqu’à l’endroit désigné. Les ouvriers commencèrent aussitôt à remplir sa citerne de pétrole. La mission du jour était simple : livrer le précieux liquide à une station-service à deux heures de route d’ici. Mais ce que Xavier ignorait, c’est que cette simple livraison allait être le début d’un tournant inattendu. Seraleone, quant à elle, n’avait pas bougé. Elle regardait fixement la porte que Xavier venait de franchir, les doigts figés sur son clavier. Son cœur battait un peu plus vite que d’ordinaire. Qui était cet homme ? Pourquoi son regard l’avait-il troublée au point de la faire perdre le fil de ses pensées ? Ce n’était pas son genre de s’éparpiller, surtout pas pour un inconnu. Elle soupira, se gifla mentalement et secoua la tête comme pour en chasser l’image de ce visage à la fois fatigué et mystérieux. Non. Ce n’était pas le moment. Elle avait trop de responsabilités pour se laisser distraire par un camionneur, aussi intriguant soit-il. Pendant ce temps, dans l’entrepôt, la citerne de Xavier se remplissait lentement. Paul, les bras croisés, observait la manœuvre. — Vous avez l’air d’avoir roulé toute une vie, lança-t-il. — C’est un peu ça, répondit Xavier sans détour. La route, c’est tout ce qu’il me reste. Paul n’insista pas. Il sentait que cet homme portait un poids qu’il n’était pas prêt à partager. Et dans ce milieu, on apprenait à ne pas poser trop de questions. Quelques minutes plus tard, la citerne était pleine et la paperasse signée. — Voilà votre itinéraire, dit Paul en lui tendant une feuille. Livraison dans la zone nord, station PetroDiaz. À deux heures d’ici si tout roule. Xavier hocha la tête, attrapa la feuille sans un mot, monta dans son camion, et démarra doucement. Le vrombissement du moteur couvrit le silence pesant de l’entrepôt. Mais alors qu’il quittait les lieux, ses yeux croisèrent à nouveau ceux de Seraleone, postée à la fenêtre du rez-de-chaussée. Elle l’observait. Il esquissa un léger sourire. Elle baissa vite les yeux, troublée une fois de plus.Xavier esquissa un sourire amusé, puis coupa le moteur avant de tourner la tête vers elle. Son regard, à la fois calme et troublant, se planta dans le sien.— Regardez bien, je vais vous montrer, dit-il d’un ton posé, presque mystérieux.Il se pencha vers elle, sa main effleurant la sienne, puis attrapa la boucle de la ceinture. Il la fit coulisser lentement, avec une aisance presque exagérée, jusqu’à ce qu’un clic libère Seraleonne du siège.Elle le fixait, intriguée par la précision de son geste… et un peu plus par la proximité soudaine de leurs corps.— Et pourquoi faire un nœud aussi tordu ? demanda-t-elle, faussement agacée.— Je ne sais pas… répondit-il avec un sourire en coin. Peut-être parce que ça me donne une excuse pour me rapprocher de vous.Ses mots tombèrent avec une audace maîtrisée. Pas un mot de trop, pas un regard déplacé. Juste le bon dosage pour faire bondir le cœur de Seraleonne.Troublée, elle détou
Elle s’éveilla en sursaut, le cou raide, les muscles endoloris par la position inconfortable dans laquelle elle avait sombré. Dormir dans un camion-citerne n’était clairement pas une expérience qu’elle souhaitait réitérer. Son corps, déjà épuisé par les émotions, lui faisait payer chaque minute passée à dormir recroquevillée.Ses yeux mirent un moment à s’adapter à la lumière diffuse qui filtrait à travers les vitres. L’espace métallique autour d’elle, l’odeur de gasoil mêlée à celle du cuir, tout lui semblait irréel. Un instant, elle ne savait plus où elle était ni comment elle s’était retrouvée là. Puis, comme des éclats de verre, les souvenirs de cette matinée chaotique revinrent la transpercer : la trahison, l’humiliation, les larmes. Marc. L’entreprise. Le vide.En tournant légèrement la tête, elle le vit. Lui. Xavier. Étendu sur le siège conducteur, la casquette posée négligemment sur son visage, il dormait paisiblement, presque trop. Ce contraste entre son p
— Tenez, dit-elle en lui tendant la carte. Un petit plus. Pour votre transport, bien sûr... et pour vous prouver ma bonne foi. J’aimerais beaucoup échanger avec vous autour d’un café, si vous êtes tenté.Xavier la fixa, interloqué. Un rire bref, sec, lui échappa un mélange d’amusement et de profond agacement.— « Non mais elle est sérieuse ? En plein boulot ? » pensa-t-il.Il se redressa, inspira profondément, et répondit d’un ton froid et ferme :— Je ne suis pas intéressé, madame.Il retira l’excédent d’argent de l’enveloppe, déposa les billets sur le bureau, et ajouta d’un ton tranchant :— Gardez ce supplément. Je suis payé pour mon travail, pas pour autre chose.Il tourna les talons et quitta le bureau, le pas plus lourd, les nerfs tendus.Clotilde, elle, resta figée. Choquée. Frustrée.Son sourire s'effaça lentement, laissant place à un rictus amer.— « Tu veux jouer au héros ? Très bien,
Xavier sentit un pincement glacial lui traverser le cœur. La douleur de Seraleonne lui renvoyait brutalement son propre reflet. Il se revit, quelques années plus tôt, infligeant à Sandra son ex-fiancée les mêmes blessures, les mêmes trahisons. À force de la tromper sans scrupule, il avait brisé une femme qui ne demandait qu’à l’aimer… et ses erreurs l’avaient conduite tout droit vers sa fin tragique.Un frisson lui remonta l’échine. Il n’était pas mieux que ce Marc, cet homme qu’il ne connaissait pas encore, mais qu’il haïssait déjà viscéralement. Peut-être parce qu’en lui, il voyait ce qu’il avait été.Serrant doucement les bras de Seraleonne, il força un sourire :— Allez, Madame Grognon, debout.Sa voix était douce, teintée d’humour, mais aussi d’une compassion sincère. Il l’aida à se relever avec précaution, puis la fixa droit dans les yeux. Un regard profond, chargé de regrets, mais aussi d’une promesse silencieuse de ne jamais lui faire ce qu’un autre lui avait infligé.— Je vai
Elle était à genoux, le regard perdu dans le vide, le cœur en lambeaux, les larmes silencieuses roulant sur ses joues. En une fraction de seconde, elle avait tout perdu. Son emploi. Son mariage. Sa dignité, peut-être. Et même si ce mariage était un champ de ruines depuis longtemps, elle avait gardé, au fond d’elle, l’illusion fragile que Marc finirait par revenir à la raison… Qu’il essaierait, lui aussi, de sauver ce qu’il restait d’eux.Mais elle s’était lourdement trompée.Xavier, témoin impuissant de ce naufrage, resta figé un instant. Lui, qui l’avait toujours connue forte, indomptable, invincible… La voir ainsi, brisée, à terre, le priva lui-même de toute force. Son cœur se serra. Il s’approcha doucement, posa un genou à terre à ses côtés et souffla, avec une tendresse maladroite :— Euh… Miss Indépendante, tu tiens le coup ?Seraleonne leva les yeux vers lui. Elle tenta de ravaler sa peine, de garder la face. Mais sa carapace céda.
Elle accepta, la mâchoire serrée, et il la hissa hors du camion comme une plume… ou presque. Lorsqu’elle fut enfin au sol, elle resta un moment immobile, dos à lui, visiblement en guerre avec elle-même. Puis, dans un effort presque douloureux, elle se retourna, évita son regard, et lâcha, d'une voix sèche mais audible : — Merci. Xavier haussa un sourcil, surpris mais amusé. Il savait que ces deux syllabes lui avaient coûté cher, bien plus qu’elle ne voulait l’admettre. — Wouah… j’aurais dû enregistrer ça, plaisanta-t-il, un large sourire aux lèvres. Elle leva les yeux au ciel, soupira, et tourna les talons. — Ne vous habituez pas trop. Il la regarda s’éloigner, conquise sans vouloir se l’avouer. Et lui ? Il était définitivement piqué. Xavier afficha un large sourire, toutes dents dehors. Pour la première fois, elle venait de le remercier. Un simple mot, mais qui av







