AelyaLa descente commence à la lueur des torches.Le boyau s’ouvre juste sous la paroi, invisible à l’œil nu. Une faille entre deux pierres, comme une bouche oubliée, figée dans un cri muet. Il faut ramper au début. Sentir la roche contre la peau, l’humidité dans les cheveux, l’écho de sa propre respiration dans la gorge. L’obscurité a une odeur, ici : terre, cendre, cuivre. Et quelque chose d’ancien. De trop ancien.Le silence y est plus lourd qu’ailleurs. Il n’attend pas. Il s’impose.Quand nous débouchons dans la première salle, le monde change.Le silence tombe.Pas un silence ordinaire. Celui-ci est dense, vivant. Il s’insinue dans les oreilles, dans les pensées, jusqu’aux os. Même les respirations paraissent coupables. Même les battements de cœur paraissent déplacés.Kael allume une seconde torche. La flamme tremble, puis s’élève. Lentement, les murs se révèlent : des gravures rongées par le temps, des visages d’ombres figés dans la pierre. Certains prient. D'autres fuient. Et
AelyaLa descente est lente. Traîtresse.Chaque pas pourrait être le dernier. La neige se transforme en verglas, puis en roche humide. L’obscurité n’est plus une simple absence de lumière. C’est une matière. Elle s’accroche à la peau, s’insinue dans les os. Elle murmure, elle attend.Les torches vacillent, jetant des ombres monstrueuses sur les parois. Le silence est devenu autre chose. Une entité vivante, tapie entre les pierres, respirant au rythme de nos pas.Je sens la pierre pulser contre ma poitrine. Plus fort maintenant. Comme si elle reconnaissait le lieu. Comme si elle s’éveillait… ou appelait quelque chose.— On est proches, dis-je.Ma voix semble flotter un instant, suspendue, avant de se dissoudre. Kael se rapproche. Il marche près de moi. Sans un mot. Mais sa main frôle la mienne. Juste assez pour rappeler qu’il est là. Que je ne suis pas seule.Myrren referme son manteau autour de l’enfant. Il ne dort plus. Il regarde autour de lui, les yeux grands ouverts. Pas effrayé.
AelyaLe froid mord dès les premières heures.Pas un froid de surface, qu’on chasse d’un geste ou d’un souffle chaud. Un froid profond, ancien, qui pénètre la chair et ronge les os. Le genre de froid qu’on oublie en ville, mais que la terre, elle, n’a jamais oublié.Nous avançons en colonne, les pas enfoncés dans la neige fraîche. Le vent souffle en rafales, rasant les collines. Il porte les cendres de l’hiver, les échos de ceux qui sont tombés. Derrière moi, les murmures sont rares. Les voix basses. On garde l’énergie. On garde les mots.Kael marche près de moi. Toujours légèrement en retrait, comme s’il voulait me laisser l’espace… ou m’observer. Parfois, nos regards se croisent. Rien n’est dit. Mais je sens. Il est là. Il veille. Pas sur moi. Sur l’idée que je suis devenue.Derrière, Elian organise les relais. Il veille à ce que les plus jeunes restent à l’intérieur du cercle. Myrren tient toujours l’enfant contre elle. Il dort souvent, le souffle court, mais ses doigts restent acc
KaelL’aube est lente à venir.Le ciel ne se pare pas d’or. Il hésite, tirant vers le gris, puis vers un rose timide, comme si le soleil lui-même doutait d’avoir le droit de se lever encore sur cette terre brisée. Je veille sans bouger, au bord du campement. La carte est roulée contre ma cuisse, protégée dans sa toile huilée. À mes pieds, la terre est dure, gelée, presque hostile.Et pourtant, nous irons.Derrière moi, des murmures. Des pas feutrés. Le froissement des sacs qu’on attache, des lames qu’on affûte. Pas d’agitation. Pas de cris. Ils savent. Ce genre de départ, ça se fait dans le silence. Comme un deuil. Ou un serment.AelyaJe n’ai pas dormi. Pas vraiment.J’ai senti la pierre pulser sous ma poitrine toute la nuit. Non pas avec violence, comme lors des premières visions. Non. Elle respire maintenant. Calme. Rythmée. Mais elle me montre des images dès que je ferme les yeux : des cendres rouges, des silhouettes debout sous la neige, un lac noir où flottent des flammes qui ne
AelyaIls m’attendent.Le silence pèse. Trop lourd pour le vent, trop dense pour la nuit. Ils sont là, debout dans la boue gelée, les traits tirés, les cernes tatoués par l’insomnie et les pertes. Et pourtant, leurs regards sont droits. Vifs. Tendus vers moi comme des flèches.Ceux qui ont vu les murs s’effondrer.Ceux qui ont tenu les morts dans leurs bras.Ceux qui n’ont plus de nom, plus de foyer, mais encore une respiration.Je me tiens devant eux. Ma cape trempée par la rosée nocturne, rabattue sur mes épaules comme une mémoire. La pierre repose contre ma poitrine. Elle ne brûle plus, mais elle pulse. Profondément. Comme si elle attendait. Comme si elle pesait chaque mot avant de se réveiller.— Il ne reste rien de l’ancien monde, dis-je enfin, la voix écorchée. Rien de ce qu’on croyait éternel. Ni les murailles. Ni les promesses. Ni les dieux.Un frisson remue la foule. Certains se penchent. D’autres ferment les yeux. J’entends même un sanglot, court, étouffé. Le vent se tait. M
AelyaLa pierre ne brûle plus.Elle est tiède contre ma paume, comme un cœur éteint.Je ne sais pas combien de temps j’ai passé à genoux, les yeux fixés sur l’horizon où la bête a disparu, avalée par l’éclair. Une partie de moi est restée dans la lumière. L’autre, celle qui respire encore, se demande comment.Kael m’a portée jusqu’à l’intérieur des remparts. Il n’a rien dit. Il m’a juste serrée contre lui comme si j’étais la dernière vérité du monde. Ses bras tremblaient. Pas de peur. D’épuisement.Autour de moi, les blessés gémissent, les enfants pleurent en silence. On panse, on recoud, on murmure des mots vides qu’on veut croire vrais.Et moi, je reste là.Vivante.Mais différente.Il y a quelque chose en moi. Quelque chose que la pierre a laissé. Une lumière. Ou une faille. Je ne sais pas encore.KaelElle dort maintenant.Enfin… si on peut appeler ça dormir. C’est un demi-sommeil, les muscles encore tendus, le souffle irrégulier. Comme si elle se battait encore dans ses rêves.Je