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Chapitre 4 — Le Pacte Brisé

Author: L'invincible
last update Huling Na-update: 2025-05-06 19:22:02

Kael

La pluie s’est mise à tomber sans bruit. Fine. Persistante. Une caresse glaciale sur ma peau. Je ne la ressens presque pas. Elle ne me fait rien. Pas plus que le vent, que la terre sous mes pas, que la morsure des souvenirs.

Je descends vers la vallée.

Les montagnes me regardent. Silencieuses. J’ai grandi ici, au bord de leurs falaises. Avant que tout ne s’effondre. Avant que je ne devienne l’arme qu’on a maudite, puis oubliée. Je connais chaque racine, chaque pierre, chaque cri d’oiseau. Et pourtant… ce monde me semble étranger. Comme si j’avais été effacé de sa mémoire.

Je n’ai pas dormi. Je ne dors jamais vraiment. Ce que je fais, la plupart du temps, c’est m’allonger entre les pierres et laisser le passé me noyer. Mais cette nuit, je n’ai pas pu.

Je pense à elle.

À son hurlement. À sa rage. À ce feu dans ses yeux, qui n’est pas celui de la haine, mais de la perte. J’ai reconnu cette douleur. C’est celle qui brûle au fond de moi depuis trop longtemps. Celle que je cache derrière mes silences et mes crocs. Celle que je garde enfouie sous les couches de sang et de souvenirs.

Aelya.

Un nom qui ne m’appartient pas. Une lueur étrangère dans l’obscurité. Et pourtant… un fragment de moi semble s’être recollé au moment même où elle m’a regardé.

Ce n’était pas une simple rencontre.

C’était un rappel.

Une secousse.

Un réveil.

Je n’ai pas peur.

Mais je suis en train de changer.

Et ça, c’est dangereux.

Je franchis le cercle de pierres. Les vestiges d’un ancien serment reposent ici. Une promesse gravée dans la roche, dans une langue que plus personne ne parle à voix haute. Je lis les runes du bout des doigts. Elles me répondent. Me reconnaissent. Elles brûlent sous ma peau, comme si elles me réclamaient. Comme si elles attendaient que je tienne enfin ma promesse.

Je n’aurais pas dû revenir.

Mais je n’ai jamais vraiment su rester loin.

Le feu sacré est éteint. Les Anciens ne répondent plus. Ce silence-là me fait frissonner. Pas de peur. D’instinct. Quand les morts se taisent, c’est que quelque chose s’élève. Quelque chose d’ancien. De plus ancien que moi. Plus ancien même que les premiers loups.

Je ferme les yeux.

Et j’écoute.

Le grondement sourd sous la terre. Les racines qui chuchotent. Les ombres qui rampent. Quelque chose approche. Quelque chose que je croyais scellé à jamais.

Je ne suis pas seul.

Je le sens.

Une odeur dans l’air. Humidité. Fer. Fourrure.

Un pas sur la mousse. Un craquement de branches.

— Tu as franchi la frontière, murmure une voix rauque.

Je me retourne lentement. Il est là. Massif. Imposant. Vêtu de cuir sombre et de chaînes anciennes. Sa peau est marquée de cicatrices que je reconnais. Rhen. Loup de sang pur. Guerrier alpha.

Et il veut ma tête.

Ses yeux sont ceux d’un frère trahi. D’un protecteur prêt à mordre. Il ne parle pas comme un ennemi. Il parle comme un gardien. Comme celui qui sait ce que je suis. Ce que j’ai été. Et ce que je pourrais redevenir.

— Tu aurais dû mourir cette nuit, vampire.

Je reste immobile.

— Je sais.

Il fronce les sourcils. Il ne s’attendait pas à ça.

— Tu étais sur leur territoire. Tu as vu Aelya.

Je ne réponds pas. Son nom dans sa bouche m’irrite. Une colère sourde se tend dans mes veines. Incontrôlable. Injustifiée. Et pourtant, viscérale.

— Tu as vu le lien, n’est-ce pas ?

Je lève les yeux vers lui. Et cette fois, je parle.

— Oui.

Il grogne. Un bruit animal. Prêt à bondir. Ses griffes frémissent. Il n’attend qu’un signe. Qu’une hésitation.

— Alors tu dois mourir.

Je souris, lentement.

— Peut-être. Mais pas ce soir.

Il attaque. Brutal. Vif. Plus rapide que la plupart des vampires jeunes. Mais pas plus rapide que moi. J’esquive, tourne, bloque, frappe. Nos corps s’entrechoquent, éclairs de force et de rage. La forêt se plie sous notre combat. Des branches craquent. Des pierres volent. Mais il n’est pas là pour gagner.

Il est là pour juger.

Il me teste.

Il veut savoir si je suis encore digne.

Quand je le plaque au sol, crocs prêts à percer, je vois la surprise dans ses yeux. Il pensait me dominer. Il pensait me faire reculer.

Mais je suis resté.

— Pourquoi tu hésites ? crache-t-il. Tue-moi.

Je m’écarte. Mon souffle est calme. Je ne veux pas le tuer.

— Parce que je la sens encore. Et que si tu es important pour elle, je ne veux pas qu’elle porte ta mort aussi.

Il me regarde comme s’il ne comprenait pas. Puis il rit. Un rire vide.

— Tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds, vampire.

— Je n’ai plus rien à perdre.

— Alors tu es encore plus dangereux que je le pensais.

Il disparaît dans les ombres. Pas en fuite. En retraite. Il m’a testé. Et quelque chose en lui a reculé.

Je me retourne vers les pierres.

Le vent se lève. Dans les bourrasques, une voix ancienne chuchote.

Kael…

Je me fige.

C’est elle.

Pas Aelya.

Elle.

Lys.

Ou ce qu’il en reste.

Une rémanence. Une âme errante. Un écho de la promesse que j’ai trahie.

— Je ne suis plus le même, soufflé-je.

Le vent me répond.

Alors prouve-le.

Je tombe à genoux.

Quelque chose s’ouvre en moi. Un gouffre de souvenirs. D’anciens pactes. De malédictions jamais levées. De sang versé pour des causes oubliées.

Et, au centre de tout ça, une certitude grandit.

Aelya est la clef.

Pas seulement de mon passé.

Mais de la fin de cette guerre.

Et peut-être de mon salut.

Je me relève.

Et je marche.

Vers le sud.

Vers elle.

Vers ce qu’elle réveillera en moi.

Même si c’est un monstre.

Même si c’est ma fin.

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