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Chapitre 3 - Première Étoffe

Author: Sarah dacine
last update Last Updated: 2025-09-30 23:25:05

Manhattan – 10h12 – Showroom « Elie Saab », 5ᵉ Avenue

Le calme feutré du showroom contrastait avec la frénésie des klaxons et des passants dehors. Ici, tout n'était que luxe et silence ouaté : le marbre blanc étincelant, les murs recouverts de soie grège, l'éclat discret des lustres suspendus. Sur des mannequins d'ivoire reposaient des robes aux prix indécents, brodées de perles, de cristal et de dentelles impossibles. Le parfum léger des fleurs blanches disposées dans de grands vases achevait de donner au lieu une aura irréelle.

Au centre de cet univers figé, Alayna Everdeen paraissait déplacée, presque fragile.

Elle portait une robe beige claire, simple, à col montant. Rien qui n'attirait l'œil dans un lieu où chaque étoffe criait extravagance. Ses longs cheveux bruns, libres, retombaient en cascade soyeuse sur ses épaules. Sa peau claire, délicate, semblait encore étrangère au tumulte de New York. Ses mains, posées sur son sac à main modeste, tremblaient à peine — signe d'une nervosité qu'elle s'efforçait de masquer.

Elle n'avait que vingt et un ans.

Et tout en elle respirait l'innocence.

« Tu verras, c'est une chance, ma chérie, » avait murmuré sa mère quelques heures plus tôt. « Il est beau, riche... et il va changer ta vie. »

Mais Alayna ne voulait pas d'une vie offerte comme une prison dorée. Elle voulait écrire, voyager, signer ses articles dans un grand magazine, devenir journaliste reconnue. Elle voulait choisir ses mots, ses combats, ses rêves. Pas se voir imposer un mari.

Soudain, un souffle d'agitation parcourut le showroom.

Un bruissement, comme une vague silencieuse. Les vendeuses se redressèrent, ajustant leur chignon. Les stylistes cessèrent de parler. La directrice de la boutique rectifia nerveusement le col de son tailleur. Même l'air sembla se figer.

Adrien Delcourt venait d'entrer.

Il portait un costume bleu nuit sur-mesure signé Brioni, dont chaque couture semblait avoir été pensée pour épouser son corps puissant. Sa chemise blanche entrouverte dévoilait une clavicule saillante, promesse d'un torse sculpté sous l'étoffe. Son parfum rare — un mélange de cuir brûlant et de bois de oud — s'imposa aussitôt dans l'espace, dense, viril, impossible à ignorer.

Son visage était d'une beauté presque inhumaine : des traits ciselés, une mâchoire forte, un regard bleu acier qui transperçait. Il n'avait pas besoin de sourire pour captiver. Il se tenait comme un roi, mains dans les poches, démarche lente, souveraine. Partout où il allait, il imposait silence et respect.

Et quand ses yeux rencontrèrent ceux d'Alayna... le temps sembla suspendu.

Elle eut un mouvement instinctif, se redressant comme prise en faute, son cœur battant trop fort.

Adrien, lui, l'observa. Longuement. Ses yeux descendirent sur la finesse de son cou, la courbe discrète de ses épaules, la fragilité qui se dégageait d'elle. Mais il nota aussi cette dignité muette, cette retenue fière malgré son malaise.

— Enfin seuls, Alayna Everdeen, dit-il d'une voix grave, posée, chaque syllabe résonnant comme une évidence.

Sa voix n'avait rien de tendre. C'était celle d'un homme d'affaires habitué à négocier des millions... mais qui, pour la première fois, devait considérer une femme comme un contrat à signer.

Alayna baissa brièvement les yeux, ses joues rosies trahissant son trouble.

— Bonjour, monsieur Delcourt, souffla-t-elle, timide mais sans perdre totalement contenance.

Adrien haussa un sourcil. Cette voix douce ne tremblait pas. Elle semblait réservée, oui... mais pas soumise. Et cela l'intrigua.

— Appelle-moi Adrien, répondit-il lentement. Nous allons nous marier. Inutile d'ajouter une distance qui n'existe déjà plus.

Alayna hocha la tête.

Mais au fond d'elle, une seule pensée résonnait :

Ce n'est pas mon mariage. C'est ma cage.

Une vendeuse intervint avec une révérence presque cérémonieuse :

— Mademoiselle Everdeen a déjà essayé deux modèles. Le prochain est une création unique de la maison ELIE SAAB. Un bustier en tulle ivoire, brodé à la main. Peut-être voudriez-vous assister à l'essayage, Monsieur Delcourt ?

Adrien soupira intérieurement.

Il n'était pas venu pour feuilleter des dentelles ni choisir une robe. Les essayages, pour lui, n'étaient qu'un théâtre inutile où le temps se perdait en fioritures. Et le temps, il le considérait comme la ressource la plus précieuse de son empire.

Mais son regard glissa à nouveau sur Alayna.

Sa silhouette frêle. Ses doigts nerveux sur son sac modeste. Ce voile d'innocence qui la rendait presque inaccessible.

Et, sans trop comprendre pourquoi, il resta.

— Montrez-la-moi.

Quelques minutes plus tard – cabine d'essayage

Adrien s'était installé dans un fauteuil de velours ivoire. Jambes croisées, téléphone en main, il affichait une nonchalance étudiée. Mais son attention n'était pas sur les écrans saturés de chiffres et de mails. Ses yeux ne quittaient pas la porte de la cabine d'essayage.

Puis elle apparut.

Alayna.

Le temps sembla se suspendre.

Elle avançait à pas mesurés, presque craintifs, une main posée sur son ventre comme pour se protéger. La robe coulait sur elle comme une seconde peau céleste. Le bustier en tulle ivoire soulignait la délicatesse de ses épaules, un décolleté en cœur dévoilait juste ce qu'il fallait de sa poitrine sans tomber dans l'indécence. Sa taille fine était enlacée d'un ruban de perles, et la jupe fluide caressait ses hanches avant de s'épanouir jusqu'au sol en une traîne vaporeuse.

Elle ressemblait à une apparition.

Pas une cliente. Pas une future épouse imposée.

Mais une déesse timide, tombée dans ce royaume de marbre et de lumière.

Même les vendeuses, pourtant blasées de luxe, s'immobilisèrent.

Adrien, lui, ne respirait plus.

Son regard la happa. Longtemps. Trop longtemps.

Et pour la première fois depuis des années... il sentit quelque chose vibrer en lui.

Alayna leva les yeux vers lui. Ses iris noisette tremblaient de timidité, comme si elle s'excusait d'oser être aussi belle, aussi vraie.

— Elle est peut-être trop... voyante, murmura-t-elle en baissant la tête. Trop transparente...

— Non.

Le mot claqua, net, irrévocable.

Elle redressa la tête, déstabilisée.

Adrien s'était levé, lentement. Sa haute silhouette projetait une ombre sur elle. Ses yeux la parcouraient avec une intensité brûlante, comme s'il cherchait à graver chaque détail en mémoire.

— Tu es... Sa voix, habituellement ferme, se brisa légèrement. Incroyable. Irréelle.

Ses pupilles remontèrent vers les siennes, et pour la première fois, on y lisait une émotion qu'il s'interdisait : de l'émerveillement. Peut-être même une forme de crainte.

— Cette robe a été faite pour toi. Ou alors... c'est toi qui lui donnes vie.

Alayna sentit ses joues s'embraser. Elle baissa les yeux, mal à l'aise. Elle ne se pavanait pas, ne cherchait pas à séduire. Elle subissait le poids de ce regard, comme si cette robe révélait une vulnérabilité qu'elle n'avait jamais voulu exposer.

Et Adrien, juste une fraction de seconde, oublia tout.

Jade. Le contrat. Les calculs familiaux.

Il ne restait qu'elle.

Cette jeune femme en robe blanche, d'une grâce désarmante, qui ne lui ressemblait en rien... et qui pourtant éveillait en lui une faim qu'il croyait éteinte.

Alayna, osant enfin lever les yeux vers lui, murmura d'une voix fragile mais déterminée :

— Je sais que tu ne veux pas de ce mariage.

Adrien s'immobilisa.

Ses mâchoires se crispèrent. Elle venait de le lire en une phrase. Une audace qu'aucune autre n'avait jamais eue.

Il croisa les bras, se penchant légèrement contre le mur, dans une posture calculée de distance.

— C'est un contrat. C'est ce que font les familles comme les nôtres.

— Pas la mienne, souffla-t-elle avec amertume.

Un silence pesant s'installa.

Adrien plissa les yeux.

— Tu veux de l'amour, c'est ça ?

Elle hésita. Sa gorge se serra. Puis elle répondit simplement, sans détour, avec une sincérité qui le déstabilisa plus que tout :

— Je veux être choisie. Pas achetée.

Le silence s'épaissit, lourd comme un verdict.

Et Adrien, pour la première fois depuis longtemps... ne sut pas quoi répondre.

Chapitre 3 – Partie 2 : Le contrat invisible

Le showroom s'était vidé peu à peu. Les stylistes, à pas feutrés, avaient disparu en laissant flotter derrière eux une odeur de soie et de parfum rare. Le marbre blanc reflétait la lumière comme une scène de théâtre. Ne restaient plus qu'eux.

Alayna, debout dans sa robe ivoire, les mains croisées devant elle, semblait trop fragile pour occuper ce décor glacé. Adrien, lui, accoudé au comptoir de marbre, gardait ce masque froid, ce regard qui transperçait sans jamais se dévoiler.

Il aurait pu la contempler des heures.

Il en avait envie.

Mais il détourna les yeux.

Ses mâchoires se contractèrent, ses doigts se crispèrent contre sa montre en platine. Hors de question qu'elle voie cette faille, ce désir qu'il refusait d'avouer. Hors de question qu'elle croit avoir le moindre pouvoir sur lui.

Alors il se réfugia derrière ce qu'il savait faire de mieux : le contrôle, le sarcasme.

Il rompit le silence, ajustant son bouton de veste avec une désinvolture feinte :

— Tu es belle. Ce sera parfait pour les photos de famille.

Alayna cligna des yeux. La phrase lui coupa le souffle. Pas un compliment. Une étiquette.

— Tu veux dire... que c'est tout ce que je serai ? demanda-t-elle, la voix un peu brisée. Une image à côté de toi ?

Adrien haussa légèrement les épaules, comme si la réponse allait de soi.

— Tu sais dans quoi tu mets les pieds. Ce mariage est une alliance. Une couverture. Pas une histoire d'amour.

Les mots lui transpercèrent la poitrine. Elle sentit sa gorge se serrer, mais elle refusa de pleurer.

— Alors pourquoi moi ? souffla-t-elle.

Adrien se redressa. Il s'avança vers elle avec cette lenteur calculée qui lui donnait toujours l'avantage. Ses pas résonnaient sur le marbre, comme une menace.

— Parce que ton père me doit tout. Parce que mon père m'a demandé de t'épouser. Et parce que tu remplis les critères.

Il s'arrêta à un mètre d'elle, et ses yeux bleus acier se plantèrent dans les siens.

— Belle. Sage. Discrète. Vierge. Et sans attache.

Le mot résonna comme une gifle.

Alayna recula légèrement, heurtée.

— Tu parles de moi comme d'un produit de luxe, murmura-t-elle, écœurée.

Il ne cilla pas.

— C'est exactement ce que tu es... dans ce monde-là.

Un silence pesant s'abattit. Elle baissa un instant les yeux, son cœur tambourinant dans sa poitrine. Mais Adrien ne lui laissa aucun répit.

Sa voix, grave et implacable, reprit :

— Je vais être clair. J'ai déjà une relation. Une femme que j'aime vraiment. Jade.

Le nom tomba comme un couperet.

Alayna releva brusquement la tête, figée, ses yeux agrandis par la stupeur.

Adrien posa ses deux mains sur le comptoir, se penchant légèrement vers elle. Sa haute silhouette la dominait, son parfum boisé emplissait l'air.

— Je vais t'offrir tout ce que tu veux, continua-t-il. Une vie de luxe. Des voitures, un manoir, des voyages. Columbia, si tu veux poursuivre tes études. Tu ne manqueras de rien.

Il marqua une pause, laissant volontairement le silence l'écraser.

— Mais à une condition.

Son regard se durcit.

— Tu ne te mêles pas de ma vie. Et je ne me mêle pas de la tienne. En public, nous serons les époux parfaits. En privé... tu vivras la tienne, je vivrai la mienne.

Les mots l'atteignirent comme des éclats de verre.

Alayna sentit le sol basculer sous elle.

— Tu veux... qu'on mente à tout le monde ? souffla-t-elle.

Il s'approcha encore, trop près, jusqu'à envahir son espace. Sa chaleur, son odeur, son autorité : tout l'écrasait.

— Oui. Parce que la vérité n'intéresse personne. Pas dans notre monde.

Elle osa l'affronter, les yeux brillants.

— Et si je refuse ?

Adrien haussa un sourcil, un éclat glacial dans le regard.

— Alors tu es libre, Alayna. Mais je doute que ta famille le soit encore longtemps... une fois qu'ils auront tout perdu.

Une menace. Polie. Mais implacable.

Un frisson glacé lui remonta l'échine.

Elle aurait pu céder. Trembler. Mais au lieu de ça, elle releva le menton, ses yeux sombres accrochés aux siens.

— Très bien. Faisons semblant, si c'est ce que tu veux. Mais ne t'attends pas à ce que je sois docile, Adrien Delcourt.

Un éclair passa dans ses yeux. Elle venait de lui résister.

Et ça, il ne s'y attendait pas.

Il resta un instant immobile, à la contempler. Puis ses lèvres esquissèrent ce demi-sourire rare, dangereux. Le sourire qu'il n'offrait qu'aux énigmes.

— Parfait.

Il se détourna et marcha vers la sortie.

— La robe te va bien. On dira à la presse que j'ai insisté pour la choisir. Ça fera plus romantique.

Ses pas s'éloignèrent, froids, maîtrisés.

Puis la porte se referma.

Ne restaient que le silence... et l'odeur entêtante de son parfum, comme la trace invisible d'un avenir façonné par les mensonges.

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Farida Djabali
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