Se connecterIsis
Je me suis réveillée avant l’aube, nue dans des draps qui n’étaient pas les miens, avec un corps qui ne m’appartenait plus tout à fait. Hugo dormait encore, allongé à côté de moi, la main posée sur ma hanche, comme un verrou tiède. Sa respiration était calme. Régulière. Il rêvait peut-être d’elle. D’elle à travers moi.
Je ne bougeais pas.
Je n’osais pas.
Une partie de moi voulait rester là, figée, suspendue dans cette illusion parfaite. Mais l’autre… l’autre hurlait. Elle se débattait sous ma peau, refusait l’évidence. Je n’étais pas Éléa. Je ne serais jamais Éléa. Même s’il me regardait avec ces yeux-là. Même s’il murmurait ces mots-là.
Et pourtant… cette nuit, j’avais tout pris.
Je m’étais donnée. Offerte. Jetée dans ses bras comme dans un vide délicieux.
La veille.
Il m’avait prise par la main en montant l’escalier. Lentement. Comme s’il redécouvrait chaque marche, chaque seconde entre nous. Je tremblais. Pas de peur. D’avidité. D’impatience brûlante. J’étais sur le point de goûter ce que je convoitais depuis si longtemps.
Dès que la porte de la chambre s’est refermée derrière nous, il m’a plaquée contre elle avec une urgence contenue. Sa bouche s’est écrasée sur la mienne, dévorante. Il avait faim. Moi aussi. J’ai senti sa langue glisser entre mes lèvres, chercher la mienne, la reconnaître.
— Tu m’as manqué, Éléa…
Ce prénom qu’il ne cessait de murmurer comme une incantation me glaça un instant. Mais je l’ai étouffé dans un baiser plus profond, pour qu’il oublie le nom et ne garde que la chair.
Ses mains se sont faites plus pressantes, curieuses, presque maladroites dans leur empressement. Il a défait ma robe comme on déballe un trésor longtemps rêvé. Ses lèvres ont parcouru ma gorge, mes clavicules, mes seins. Il les a pris en bouche avec une douceur presque cruelle, me faisant gémir. Je me suis agrippée à ses épaules, j’ai senti la peau chaude sous mes doigts. Il me consumait déjà.
— Regarde-moi, a-t-il murmuré. Regarde-moi pendant que je te touche.
Je l’ai fait. Les yeux grands ouverts, même quand ses doigts ont glissé entre mes cuisses, même quand il a effleuré la zone la plus intime de moi comme s’il la connaissait par cœur. Peut-être qu’il la connaissait, oui. Celle d’Éléa. Pas la mienne. Mais j’ai gémi comme elle l’aurait fait. J’ai bougé comme elle.
Je suis devenue elle.
Ou ce qu’il voulait d’elle.
Et il m’a prise.
Sur le lit. Contre la fenêtre. Dans le noir et dans la lumière. Il faisait chaud et froid à la fois. Sa peau frottait contre la mienne, ses soupirs se mêlaient aux miens. Je l’ai senti se tendre en moi, se retenir, puis s’abandonner. Plusieurs fois. Il revenait vers moi, encore, encore, incapable de se détacher, comme s’il craignait que je disparaisse.
Et moi… j’en oubliais presque mon nom.
Il m’a serrée si fort, dans un dernier mouvement, que j’ai cru me briser.
— Je t’aime, Éléa.
Ce n’était pas moi. Mais c’était à moi qu’il le disait.
Alors j’ai répondu, sans voix, sans pensée.
Mon corps, seul, parlait pour moi.
Je me suis levée doucement, en retenant ma respiration. J’ai glissé hors du lit, pris soin de ne pas faire de bruit. La moquette était douce sous mes pieds. Je suis allée jusqu’à la salle de bain. Je voulais voir.
Me voir.
La glace renvoyait cette image travaillée à la perfection : cheveux bruns dans un chignon flou, bouche gonflée de baisers volés, yeux légèrement cernés mais brillants de victoire. L’image d’Éléa. Mais c’était moi derrière. Moi, Isis Valen, la femme invisible, la doublure patiente, l’ombre qui avait grandi dans les interstices de sa vie trop grande pour un seul cœur.
Je me suis accrochée au lavabo. Mon souffle s’est emballé.
Comment en suis-je arrivée là ? À voler la vie d’une autre, son parfum, son enfant, son homme… à voler son visage.
Je l’aimais. Hugo. Depuis le premier instant. Depuis les premiers regards qu’il posait sur elle pendant les répétitions. J’étais là, déjà. Je regardais tout. Je comprenais ce qu’il ne disait pas.
Et puis, un jour, Éléa a disparu.
Et moi, j’ai été là.
Pas tout de suite. D’abord comme une rumeur. Une intuition. Puis comme une obsession.
J’ai appris ses gestes. Sa voix. Sa manière de rire, de lever le sourcil gauche quand elle mentait. J’ai appris à respirer comme elle. J’ai appris à disparaître pour qu’elle existe à travers moi.
Et lui… il n’a rien vu.
Ou peut-être qu’il a vu. Et qu’il s’en fiche.
Je suis revenue dans la chambre. Il était réveillé, les yeux entrouverts, un sourire au coin des lèvres.
— Viens, murmura-t-il.
Sa voix m’a traversée. J’ai senti une vague chaude naître dans mon ventre. Je me suis approchée, glissée contre lui. Il m’a embrassée avec cette lenteur d’homme qui croit déjà connaître chaque millimètre de mon corps.
— Tu te souviens, à Florence ? dit-il dans un souffle.
Florence. J’y étais. Mais pas avec lui. C’était elle. Je me suis figée un instant.
— Oui, j’ai adoré cette suite, ai-je murmuré.
Mensonge. Mais il a souri, attendri. Il s’est penché sur moi, ses mains glissant sur mes cuisses.
Il voulait refaire Florence, entre ces draps.
Je l’ai laissé faire.
Je l’ai laissé croire.
Et à chaque instant, je m’effaçais un peu plus.
Plus tard, nous avons rejoint Milo dans le salon. Il m’a couru dans les bras en criant "Maman !", et mon cœur s’est brisé en silence. Il ne savait pas. Il m’aimait déjà. Je le tenais contre moi, et une partie de moi voulait fuir, crier, lui dire qu’il se trompait.
Mais l’autre… l’autre voulait juste exister pour quelqu’un.
Hugo nous observait avec tendresse. Il s’approcha, glissa sa main dans mon dos.
— Je nous ai pris des billets pour Barcelone, dit-il.
Je me tournai vers lui, déconcertée.
— Pour quoi faire ?
— Pour souffler. Tous les trois. Pour nous retrouver.
Je n’ai rien dit. J’ai souri. J’ai hoché la tête.
Et en moi, un gouffre s’ouvrait.
Je les avais. Tous les deux. J’étais à ma place.
Mais je ne savais plus qui j’étais.
Pas vraiment.
Je me suis accrochée au rire de Milo. À la chaleur d’Hugo contre moi. Je me suis répétée que ce n’était pas un mensonge si j’y mettais assez d’amour. Assez de foi. Assez de douleur.
Mais combien de temps encore avant que le miroir ne se brise ?
Avant qu’il ne voie ?
Avant que je ne me voie, enfin ?
HugoElle lâche Milo un instant, se jette dans mes bras. Je l’enserre, je la soulève presque du sol. Elle sent le voyage, le vent salé, et en dessous, cette odeur fondamentale qui est la sienne. Mon Éléa. Mon épouse. Revenue.— Je suis rentrée, murmure-t-elle dans mon cou. Je suis rentrée.Nous restons ainsi un long moment, enlacés tous les trois, un îlot de retrouvailles au milieu du flux indifférent de l’aéroport. Les passagers nous contournent avec un sourire.Finalement, nous nous séparons. Elle tient Milo par la main, moi, je prends son sac. Nous marchons vers la sortie, vers la voiture, vers la maison. Elle parle par bribes, excitée.— C’était incroyable, Hugo. Dur, mais incroyable. Barrand est un génie. Les paysages… Et vous ? Le jardin ? Les tomates ?— Les tomates étaient délicieuses. Milo en a gardé des graines pour toi.— Vraiment ?Elle se penche vers Milo, l’embrasse sur le front.Dans la voiture, sur le chemin du retour, elle est silencieuse un moment, regardant défiler
ÉléaJe hoche la tête, les larmes coulent enfin, silencieuses, chaudes sur mes joues. Il les essuie du pouce.— Je t’aime, Hugo. Je t’aime de cet amour qui a survécu aux tremblements de terre. Je t’aime de cet amour qui a choisi de repartir, et pas de s’accrocher aux ruines.— Moi aussi, je t’aime. De cet amour-là. Maintenant, va. Va conquérir tes propres échos.Il m’embrasse. Un baiser long, profond, doux et salé de nos larmes mêlées. Un baiser qui dit au revoir, bon courage, et à très vite. Un baiser qui est une promesse.Quand nous nous séparons, je vois Milo qui agite sa petite main depuis la porte. Je lui envoie un baiser.Je monte dans la voiture. La portière se referme avec un bruit sourd, coupant le monde extérieur. Je baisse la vitre. Hugo est resté là, les mains dans les poches, droit, solide. Milo le rejoint, prend sa main.Le chauffeur démarre. La voiture s’éloigne sur le chemin de gravier. Je me retourne, je les regarde jusqu’à ce que la maison, le jardin, les deux silhou
ÉLÉATrois mois. C’est à la fois une éternité et un battement de cil. Trois mois depuis la découverte de la boîte. Depuis le serment dans la terre. Depuis la nuit où nos corps ont scellé notre redécouverte. Et depuis que le script des Échos du Silence est entré dans nos vies.Aujourd’hui, c’est le jour du départ.Le jardin n’est plus une promesse. C’est une réalité. Les lavandes ont pris, dégageant une senteur douce et apaisante le soir. Les plants de tomates grimpent le long de leurs tuteurs, portant déjà de petites boules vertes. Les herbes aromatiques forment un tapis dense et odorant. Et au centre, la pierre de Milo veille, entourée maintenant de pensées sauvages, violettes et jaunes, qui ont poussé d’elles-mêmes, comme un acquiescement de la nature.La maison aussi a changé. Elle respire. Les fenêtres restent ouvertes pour laisser entrer l’air et le soleil. Les ombres ne se cachent plus dans les coins ; elles sont juste des ombres, banales, inoffensives. Nous avons repeint la cha
ÉLÉALe jardin, sous le soleil de la fin de matinée, est un spectacle de vie modeste mais acharné. Les plants que nous avons mis en terre hier ont l’air d’avoir pris racine du moins, ils ne fanent pas. La terre est fraîche, nous avons arrosé. Milo court entre les rangs, inspectant chaque petite pousse comme un général passant ses troupes en revue. La pierre sur la butte des cendres est toujours là, sombre, anguleuse. Nous ne l’ignorons pas. Nous la saluons, en passant, d’un regard. Elle fait partie du paysage, un rappel, pas une malédiction.Nous travaillons encore un peu, désherbant, tassant la terre autour des plants de lavande. Nos mains se touchent souvent. Nos rires résonnent, clairs. Milo nous raconte des histoires invraisemblables sur les insectes qu’il observe. C’est une bulle. Parfaite, fragile.Et puis, il est midi. L’ombre du chêne s’est raccourcie. Nous rentrons, les mains sales, le visage chauffé par le soleil. Nous déjeunons rapidement. Milo réclame de regarder un dessin
ÉLÉALa lumière du matin est différente. Elle caresse la peau nue de mon épaule, dessine des motifs dorés sur le drap froissé que nous avons tiré à moitié sur nous dans la nuit. Je suis éveillée depuis un moment, mais je ne bouge pas. Je suis allongée sur le dos, une main posée sur mon ventre, l’autre enfouie sous l’oreiller. Hugo dort. Vraiment dort. Un sommeil profond, paisible, le visage détendu, une main ouverte sur ma hanche comme s’il me gardait même en rêve.Notre nuit. Elle flotte encore dans la pièce, une atmosphère palpable de peau chaude, de soupirs étouffés, de redécouvertes murmurées dans le noir. Ce n’était pas seulement du sexe. C’était une reconquête. Une réclamation. Corps après corps, baiser après baiser, nous avons repris possession du territoire que le doute et la peur avaient annexé. Nous avons écrit un nouveau chapitre sur la carte de nos peaux, avec nos bouches, nos mains, nos souffles mêlés.Et maintenant, le matin. Avec ses réalités.Le script de Barrand doit
HUGOJe ne résiste pas. Je baisse la tête, j’applique ma bouche sur elle. Elle crie, un cri étouffé, et ses mains s’agrippent aux draps. Ma langue trouve son clitoris, gonflé, sensible. Je le caresse, je le presse, je l’entoure de mes lèvres. Je la goûte, profondément, retrouvant la saveur unique qui est la sienne. Ses hanches se soulèvent, elle presse son sexe contre ma bouche, cherchant le rythme, la pression. Je la donne, je la régule, je l’écoute. Ses gémissements montent, deviennent des supplications, des mots incohérents. « Hugo… là… oui… comme ça… ne t’arrête pas… »Je sens son corps se tendre, ses muscles se contracter sous mes mains qui tiennent ses cuisses. Je redouble d’attention, ma langue devient plus rapide, plus précise. Et elle explose, avec un long cri qu’elle étouffe en mordant l’oreiller. Son corps est secoué de spasmes, elle se tord sous ma bouche, les doigts s’enfonçant dans mes cheveux pour me retenir là, pour prolonger la vague.Quand les derniers frissons la qu







