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Author: Eternel

Chapitre 1 – La Première Peau

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-09-13 20:41:54

Isis

La lumière de la loge baignait la pièce d’un éclat doux, presque irréel. Tout était silence, suspendu, contenu comme un souffle qu’on retient avant l’abîme. Face à moi, le miroir renvoyait un visage que je n’avais pas construit, pas vraiment, mais que j’avais appris à habiter. Pommettes hautes, bouche pleine, regard d’ambre bordé de khôl. Ce n’était pas mon visage. Ce n’était pas moi. Mais c’était celle que j’étais devenue. Une autre peau. Une peau parfaite. Une illusion.

Je tendis la main vers la coiffeuse, saisis la mèche rebelle qui s’obstinait à trahir l’ondulation impeccable, et l’ajustai. Puis je fermai les yeux. Lentement. Longtemps. J’écoutai le silence. Le cœur battant. Chaque battement me rappelait que j’étais encore en vie, que je respirais sous le mensonge.

Dans quelques instants, je sortirais. Je marcherais sur ses pas. J’habiterais son nom, son corps, son ombre. J’incarnerais Éléa Morgan.

Je murmurai ce nom, pour moi seule. Il vibra dans ma poitrine comme une incantation interdite.

Une bouffée de son parfum flotta autour de moi. Jasmin, musc blanc, et cette note amère, étrange, envoûtante. Amande grillée, peut-être. Il n’existait qu’un seul flacon, fabriqué à la demande pour elle. Je l’avais volé. Je m’en enduisais les poignets, la nuque, les cheveux, comme un rituel sacré. Chaque goutte était une promesse. Chaque goutte me rapprochait d’elle. D’elle ou de moi ? Je ne savais plus.

« Tu es parfaite. »

La voix du maquilleur me parvint comme un écho voilé. Je tournai la tête. Sourire calibré. Celui d’Éléa, celui que j’avais répété jusqu’à la crampe. Lèvre gauche relevée, dent dissimulée, regard légèrement de biais. J’étais prête. J’étais elle.

Je me levai. Ma robe glissa sur ma peau comme un souffle. Tissu noir, satiné, sans pli, sans imperfection. Elle l’aurait portée ainsi. Je le savais. Je l’avais vue. Des centaines de fois. Chaque interview, chaque apparition, chaque cliché volé. Mon corps connaissait par cœur le mouvement exact de ses hanches, l’inflexion de sa voix, les silences qu’elle cultivait. Isis Valen avait disparu dans l’apprentissage. Elle s’était consumée pour que l’autre renaisse.

J’étais un simulacre. Mais j’étais sublime.

La porte s’ouvrit. Le monde m’attendait.

Les flashs me frappèrent de plein fouet. Le tapis rouge s’étendait comme une langue de feu sous mes talons. Les photographes hurlaient mon nom. Son nom. Leurs voix s’élevaient, s’entrechoquaient, se mêlaient à la lumière, à la foule, à l’ivresse.

Je levai la main, fis un signe bref. Une mimique. Celle qu’elle faisait à chaque apparition. L’ovation fut immédiate.

Je n’étais pas là. C’était elle. Et ils la croyaient vivante.

« Éléa ! Par ici ! »

Le nom tomba sur moi comme une pluie brûlante. Mon souffle se coupa. Mes jambes tremblaient. Mais je tenais. Je devais tenir.

Je pris la pause. Tête inclinée. Regard profond. Genou légèrement fléchi. Une sculpture vivante. Un mensonge.

Et puis… je le vis.

Hugo.

Il était là, dans la foule privée, là où les invités attendaient. Ses yeux me cherchèrent. Ses yeux s’arrêtèrent. Sur moi. Il y avait dans son regard quelque chose d’ineffable, de douloureusement familier. De dangereux. Il tenait la main de Milo.

Milo.

Le petit garçon fixait mon visage, confus. Mais il souriait. Il ne me reconnaissait pas. Il reconnaissait elle. Et moi, je savais tout de lui. Sa respiration. Ses peurs. Ses réveils agités. Ses rires.

Je sentis mon cœur déraper. Une fissure.

Hugo s’approcha. Il posa la main sur ma taille. Son torse se contracta. Il m’embrassa sur la tempe. Comme un mari aimant. Un geste simple. Mais pour moi, c’était un raz-de-marée.

— Tu es magnifique, dit-il à voix basse.

Je fermai les yeux une fraction de seconde. Pour ne pas vaciller. Sa voix, je l’avais écoutée des nuits entières. Dans des vidéos, des enregistrements, des souvenirs volés à une autre. L’entendre pour moi pour elle, mais à travers moi me vrilla l’âme.

Je souris. Éléa aurait souri ainsi.

— Merci, mon cœur, murmurai-je.

Milo gigota. Je le pris dans mes bras. Il hésita, puis s’accrocha à moi. J’étouffai une larme. Sa joue toucha la mienne. Sa chaleur me transperça.

Toute la soirée, je fus parfaite.

Cocktails, flashs, journalistes, mondanités. Je me mouvais comme elle. Parlais comme elle. Ris comme elle. Je m’étais effacée dans la perfection d’un rôle. Et tous y croyaient.

Mais c’est dans la voiture que tout bascula.

Hugo glissa la main sur ma cuisse. Doucement. Avec la tendresse d’un homme qui connaît chaque centimètre. Je n’eus aucun mouvement de recul. Je l’acceptai. Je l’invitai. J’ouvris légèrement les jambes. Mon souffle changea.

Il approcha ses lèvres de mon oreille.

— Ce soir, j’ai envie de toi.

Ses mots m’engloutirent. J’avais attendu ce moment dans le secret le plus absolu. Rêvé. Fantasmé. Et pourtant, j’étais consciente de l’horreur. De l’illusion. Je n’étais pas celle qu’il aimait.

Mais je voulais y croire. Juste cette nuit.

— Alors prends-moi, dis-je.

Il s’immobilisa, surpris. Éléa n’aurait pas répondu ainsi. Il y eut un silence. Puis un éclair de désir traversa son regard.

— Ici ? demanda-t-il.

Je le fixai.

— Ici. Maintenant.

La voiture filait dans la nuit. Les vitres teintées. Le monde au-dehors était une abstraction. Je n’étais plus que sensation. Brûlure. Folie. Il se pencha. M’embrassa. Sa bouche sur la mienne. Sa main sous ma robe. Et moi, offerte. Tremblante.

Pas Isis. Pas Éléa. Quelque chose entre les deux.

Chaque geste, chaque soupir, chaque vibration de son corps contre le mien m’enchaînait un peu plus. À lui. À elle. À ce mensonge gigantesque qui menaçait de m’engloutir.

Je jouais un rôle.

Je le dominai.

Je me perdais.

Je devenais Éléa Morgan.

Mais pour combien de temps encore… avant que tout s’écroule ?

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