Chapitre 83 – Le Maillon FaibleRafaelRome.La ville est une façade. Belle, ancienne, indifférente. Mais sous le marbre et les ors, il y a les fondations. Le réseau. Les artères cachées. Et c’est là que je veux frapper.Il y a une règle que Marco m’a apprise, même s’il n’a jamais prononcé les mots : on ne gagne pas contre l’hydre en lui tranchant une tête. On gagne en lui faisant croire qu’elle s’est empoisonnée elle-même.Et ce poison commence avec Domenico Bellini.Bellini est discret. Trop. Vice-président d’une banque privée ayant des ramifications jusqu’à Varsovie. Propriétaire de deux galeries d’art. Parrain officieux de plusieurs campagnes politiques. Officiellement propre, officieusement inattaquable.Mais il a une faille.Il pense qu’on ne sait pas.—Gloria et moi logeons dans un petit appartement du Trastevere, à deux rues d’une église désaffectée. À l’intérieur, j’ai monté un mini-c
Chapitre 82 – Le Berceau des TraîtresRafaelJe descends les marches lentement, chaque pas résonnant contre les murs de béton. Derrière moi, Gloria garde la lampe braquée droit devant, le souffle court. L’odeur est celle de l’humidité, du métal, et du passé. Pas de poussière. Pas d’oubli. Ce lieu vit encore.Le couloir s’élargit. Un sas en acier nous fait face, gravé d’un code alphanumérique : 219-F.Je m’arrête. L’adresse du document retrouvé à Tornio.Je tape le code.Le verrou claque. La porte s’ouvre avec un grincement lent, sinistre.On entre.Le silence est absolu.Devant nous, une salle froide, souterraine, éclairée par des néons grésillants. Des dizaines de classeurs. Des casiers verrouillés. Des étagères pleines de vieux dossiers en cuir, numérotés. Pas d’électronique. Tout est papier. Tout est manuel.Gloria s’approche d’un tiroir. L’étiquette dit “Opérations silencieuses, 1970-1998”.
Chapitre 81 – Le Jardin des MortsGloriaLe soleil ne se lève pas. Pas vraiment. Il s'étire à peine à travers les nuages, comme s’il hésitait à venir éclairer ce jour-là. Et je le comprends. Il y a des vérités qui préfèrent l’ombre. Des vérités qui tuent.Rafael n’a presque pas dormi. Moi non plus. Nous sommes enfermés dans cette chambre d’hôtel miteuse depuis des heures, le carnet et les documents étalés sur le lit défait, comme les fragments d’un crime ancien. J’ai préparé du café. Fort. Inutile. Ce qu’on lit nous tient bien plus éveillés que la caféine.Sur le carnet, des dates, des lieux, des codes. Des noms. Certains barrés d’un trait rouge. D’autres cerclés d’encre noire. Et au centre, un mot répété plusieurs fois : Le Jardin.— Ce n’est pas un vrai jardin, je murmure. C’est un nom de code. Une métaphore, peut-être.Rafael tourne les pages avec des gestes lents, précis, comme s’il avait peur de briser quelque chose. Ou quel
Chapitre 80 – Les Menteurs et les HéritiersRafaelLa bande magnétique repose sur la table de la chambre d’hôtel, immobile. Silencieuse. Elle attend. Mais moi, je ne peux pas attendre. Pas une minute de plus.Je compose le numéro de Marco.Il ne répond pas.J’insiste.Trois fois.Au quatrième appel, il décroche enfin.— Tu me rappelles en pleine nuit pour me dire quoi ? Qu’il neige à Tornio ?— Ton père, dis-je froidement. Il s’appelait Viktor Elanov, pas vrai ?Un silence.Un blanc si long qu’il en devient une réponse.— Où as-tu entendu ce nom ?— Dans une cave. Sous une ferme oubliée. À côté d’un symbole du Cercle. D’une photo où il portait la même bague que toi.Je l’entends inspirer. Profondément.— Tu veux me parler ? Très bien. Retrouve-moi. Ce soir. Pas au QG. Pas en ville. À l’ancien chantier naval, à l’est de la rade. Seul.— Je ne
Chapitre 79 – Sous la Glace, le SangRafaelTornio.Un nom court. Tranchant. Comme un coup de froid dans la gorge.Quand nous sortons de l’aéroport, le vent nous gifle avec une brutalité presque symbolique. Le ciel est bas, couleur de plomb, et la lumière semble suspendue, figée dans un crépuscule permanent. Ici, même le jour hésite à se lever.Nous récupérons une voiture banalisée, une vieille Saab grise au chauffage capricieux. Gloria, emmitouflée dans son manteau noir, fixe le paysage qui défile : forêts sans fin, lacs gelés, routes désertes. Tornio n’est pas une ville. C’est un murmure au bord d’un pays, un repli du monde que même le temps semble vouloir oublier.Le carnet de l’homme sans nom est posé sur mes genoux. Tornio y apparaît encore et encore, toujours associé à cette date : 18 juin 1974. Une spirale noire y entoure ce chiffre. Comme une cicatrice.— Tu crois qu’on trouvera quoi, ici ? demande Gloria, sans m
Chapitre 78 – La Mémoire des MortsGloriaLe silence s’est installé entre nous comme une brume opaque. Il n’est pas pesant, ni hostile. Il est plein. Chargé de ce qui n’a pas encore été dit, de ce qui pèse sur nos épaules depuis que le nom du Cercle a été prononcé. J’observe Rafael qui relit encore les notes du carnet. Ses yeux parcourent les lignes comme s’il pouvait, à force de concentration, faire surgir un sens caché entre les mots.Je sens son épuisement. Mais aussi sa fièvre. Cette énergie sourde, cette colère maîtrisée qui le pousse à tenir debout, à chercher, à comprendre.— Qu’est-ce qu’on cherche exactement ? je demande, doucement.Il lève les yeux vers moi. Son regard est plus sombre qu’hier. Plus grave.— Des noms. Des lieux. Des dates oubliées. Le Cercle n’est pas né hier. Il y a des racines anciennes, quelque part. Et je crois que ce carnet est une carte. Mais il faut savoir la lire.Je m’approche. Je prend