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Chapitre 2 : L’Effraction 2

Author: Eternel
last update Last Updated: 2025-12-04 23:06:38

Matteo

Au milieu du chaos coloré, elle est un point de silence. Une statue de marbre et de porcelaine. Une robe d’un blanc immaculé qui semble absorber la lumière des torches. Un masque de satin blanc, lisse, impénétrable. Mais ses yeux… Les fentes du masque laissent échapper un éclat d’un vert pâle, translucide, comme l’eau sur les bas-fonds de la lagune au petit matin. Des yeux immenses, trop grands pour ce visage caché. Des yeux qui regardent sans voir, perdus, noyés dans une mélancolie qui me parle en plein cœur.

Le temps se déchire.

Le vacarme s’éteint. Les milliers de visages, de couleurs, de mouvements, se fondent en une brume indistincte. Il ne reste qu’elle. Ce point de blancheur et ce regard vert, froid et brûlant à la fois. Nos yeux se verrouillent. Et dans le sien, je vois passer l’éclair exact de mon propre choc. La même stupeur. Le même arrêt du monde. C’est absurde. C’est instantané. C’est comme si une main invisible avait saisi mon sternum et l’avait serré à l’effondrement, me vidant de tout oxygène pour me remplir d’un liquide de feu. Je ne la connais pas. Je ne sais rien d’elle. Mais en une fraction de seconde, ce regard a traversé toutes mes défenses, toutes mes amertumes, et a touché la part de moi que je croyais morte, celle qui sait encore reconnaître la beauté pure, la douleur silencieuse, l’appel.

Puis, une voix grêle l’interpelle. Un jeune dandy, le visage rougeaud derrière un masque d’argent, la tire par le bras avec une familiarité qui me donne une envie soudaine de violence. Elle détourne les yeux.

Le sortilège se brise avec le bruit sec du verre qui se fracasse. Le monde revient en rugissant. La foule, le rire, la lumière crue. Elle est engloutie, happée par le flot humain, la tache blanche de sa robe disparaissant derrière un groupe de bautas noires.

Je reste planté là, les racines dans le pavé vénitien. Mes mains dans les poches de mon vieux manteau sont moites, glacées. Mon souffle est court, sifflant. L’image de ses yeux, de ce vert blessé, est brûlée au fond de mes paupières, plus nette que n’importe quel croquis de ma main. C’est une folie. Une illusion née de la fatigue, du vin frelaté et de la lune trompeuse sur l’eau noire des canaux. Une erreur de perspective, un jeu de lumière. Rien de plus.

C’est ce que je me répète, la voix rauque dans ma tête. Tourne-toi, Matteo. Rentre dans ton atelier froid. Oublie. Sculpte ta colère dans la terre grasse, pas dans un fantasme.

Je le sais. Dans mes os, dans la cicatrice qui me barre le côté, je sais que la suivre est la plus grande erreur de ma vie. La pire. C’est marcher droit vers un précipice dont je connais déjà la chute.

Mais mon corps a déjà décidé. Il bouge avant que ma raison ne puisse protester. Mes jambes se détachent du sol, mes épaules se faufilent entre les rires et les épaules bourgeoises, mes yeux, avides, fouillent la nuit. Je la cherche. Je la traque. Je suis une proie devenue chasseur, poussé par une force plus ancienne, plus sauvage que la peur ou la raison. Je l’ai aperçue une seconde, ce furtif éclat blanc tournant au coin d’une calle étroite.

Et je me mets à courir.

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