Zarek
Je marche dans la nuit.
L’air est glacé, sec, tranchant comme une lame.
La forêt derrière moi gronde de frustration, comme si elle sentait que j’abandonne une terre qui m’était acquise.
Mais je ne peux pas rester.
Je ne dois pas rester.
Rien ici ne m’a parlé , ni chair , ni âme.
Et pourtant… quelque chose, dans cette brume, murmure que je ne suis pas si loin.
Mais pas assez proche non plus.
— Tu crois que ça peut être une humaine ?
— Ce n’est pas une humaine.
Je crache les mots dans l’air comme un poison que je refuse d’avaler.
Drystan relève la tête, surpris.
— Tu y penses encore, à cette fille fiévreuse ?
Je serre les poings.
— Un roi ne se lie pas à une humaine. C’est contre toute nature. Contre la Loi.
Il hoche la tête. Mais je sais qu’il n’est pas convaincu.
Et pire encore : je ne le suis pas non plus.
Il y avait dans ce nom murmuré, dans la tension de l’air, dans le regard fiévreux qu’elle m’a lancé avant de perdre connaissance…
quelque chose qui a fait tressaillir mon ombre.
Mais non.
Je suis Alpha , pas un traqueur égaré en quête d’un mirage.
Et si ma moitié est là, quelque part, elle est plus que cela.
— Nous partons pour la ville, dis-je froidement. Il est temps d’élargir la chasse.
Drystan fronce les sourcils.
— Tu veux dire… l’extérieur des Frontières ?
— Je veux dire là où personne n’ose regarder.
Je sens sa gêne. Son désaccord silencieux. Mais il me suit. Comme il l’a toujours fait.
Le voyage est long , deux jours à travers les routes désertes, la brume collée aux sabots de nos chevaux , deux jours à sentir la tension monter.
Pas en moi , mais en elle : Dans cette chose qui m’attire sans visage, sans nom, sans odeur claire.
Nous atteignons enfin les abords de la ville. Un entrelacs d’acier, de béton et de néons, grouillant de vie. Une fourmilière humaine qui pue l’oubli, la vitesse, la peur.
Mais la bête en moi gratte. Elle insiste. Elle montre les crocs.
Elle veut aller là-bas.
Et je n’ai jamais connu cette sensation.
Ce n’est pas du désir.
C’est un ordre , une nécessité.
Alors j’obéis.
Les voitures nous frôlent, bruyantes, aveuglantes.
Le vent change à l’approche de la grande route. Plus acide. Plus froid.
La nature recule, cède la place à la rouille, aux antennes, aux câbles suspendus.
Je hais cet endroit.
Et pourtant, chaque pas vers lui me donne l’impression de me rapprocher de ce que je cherche.
Nous prenons une chambre dans un hôtel cinq étoiles . J'en profite pour prendre un bain et me restaurer . Je sais qu'elle est peut-être ici parmi les humains .
Elle est là . Pas dans ce bâtiment. Mais dans cette ville.
Je le sais.
— On devrait chercher dans les quartiers plus anciens, dit Drystan. Là où les lignées oubliées ont pu se mêler à la population.
Je hoche la tête.
Mais je ne l’écoute qu’à moitié.
Parce qu’un parfum vient de me frapper de plein fouet.
Pas un parfum humain.
Pas de savon. Pas de sueur. Pas de produit chimique.
Un parfum ancien , sauvage , cassé.
Un écho , un soupir , une trace.
Et je sais.
Je sais qu’elle est là.
Qu’elle se cache.
Ou qu’elle ignore ce qu’elle est vraiment.
Mais elle n’est pas humaine.
Je me lève d’un bond. Drystan se redresse aussitôt.
— Tu as senti ?
Je hoche la tête, les yeux noirs.
— Elle est ici.
Nous courons presque.
Le nez en alerte. Le cœur en guerre.
J’avance comme un prédateur traque une proie… sauf que je ne sais pas encore si je veux la tuer ou la sauver.
Nous passons un carrefour. Une ruelle. Une cour abandonnée.
Puis une silhouette.
Féminine. Affaissée contre un mur.
Je m’approche.
Elle tremble.
Fiévreuse.
Ses yeux s’ouvrent à peine quand j’arrive à sa hauteur.
Ils sont verts. Mais ternes. Vides.
— Ce n’est pas elle, murmure Drystan.
Je le sais déjà.
Tout en elle me hurle le mensonge.
C’est une humaine. Une paumée. Une droguée, peut-être. Sa chaleur n’a rien d’ancien. Elle ne m’appelle pas. Elle ne vibre pas.
Mais il y a quelque chose.
Une trace, infime, résiduelle.
— On l’emmène, dis-je, sans y croire moi-même.
Drystan me jette un regard. Il comprend. Peut-être. Peut-être pas.
Nous la portons jusqu’à la voiture. Elle pèse à peine.
Dans la chambre, je la regarde. Longtemps.
Elle délire. Elle parle dans une langue brisée. Elle dit des noms qui ne sont pas les siens.
Je m’accroupis.
Et je murmure :
— Qui es-tu ?
Elle ne répond pas.
Mais elle sourit, faiblement.
Et ce sourire, aussi faible soit-il, me glace.
Parce qu’il n’est pas humain non plus.
Je me relève, lentement.
— Ce n’est pas elle.
— Non, approuve Drystan. Mais elle a été… exposée.
Je hoche la tête.
Le sang se trouble.
Et la chasse continue.
ZAREKIls avancent.Lents. Silencieux.Leurs pas résonnent comme des échos mortels dans ce couloir étroit. Le néon au plafond clignote par saccades, jetant des éclairs blancs sur leurs visages masqués. On dirait des spectres vêtus de chair artificielle.Drystan lève son arme, tendu comme une corde prête à se rompre.Je n’ai même pas besoin de respirer pour savoir que ce ne sont pas des hommes.Leur odeur est fade, presque inexistante. Un vide.Ils ne respirent pas comme nous. Peut-être qu’ils ne respirent pas du tout.Sarah serre ma main.Son cœur bat vite, affolé, comme un oiseau prisonnier. Je sens sa peur, la brûlure de son sang qui pulse. Mais sous cette panique, quelque chose vibre… une chaleur sourde, presque vivante, qui remonte le long de mon bras. Comme si elle me contaminait de sa lumière.— Reste derrière moi, dis-je d’une voix basse et dure.— Qui… qui sont-ils ? souffle-t-elle.Je ne réponds pas. Pas maintenant. Le nom que je donnerais ne changerait rien.Les silhouettes
ZAREKJe marche , ou plutôt, je traîne ma carcasse meurtrie dans les couloirs glacés de l’hôpital. Chaque pas est un supplice. Mes côtes râlent, mes muscles protestent, comme si chaque fibre de mon corps hurlait de rester immobile. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas attendre. Attendre, c’est mourir.Les néons au plafond clignotent, me déchirant les yeux. Le bruit métallique des chariots, plus loin, vrille mes nerfs. Ça résonne comme des chaînes dans ma tête. Tout sent le sang, le chlore, la peur. Une peur qui n’appartient à personne et à tout le monde, celle qui s’accroche aux murs, aux rideaux de plastique, aux corps qui passent.Drystan me suit, un pas derrière, son souffle plus court que d’habitude. Je sens son regard me transpercer, lourd de reproches et d’inquiétude.— Zarek, tu n’es pas en état…Sa voix est un grondement, bas et tendu, comme un chien prêt à mordre. Je ne réponds pas. Je l’ignore.Le bloc C n’est plus très loin. Je le sais. Je le sens. Ou plutôt… je la sens.Un
ZAREKLe matin racle la surface de la ville comme une lame sale.Rien n’est pur ici. Pas la lumière. Pas l’air. Pas même les regards.J’observe la ville du haut de la baie vitrée de la suite.Tout n’est que vacarme et vertige. Un chaos mécanique qui me donne la nausée.Drystan entre sans frapper, les bras croisés, l’air tendu.— Elle dort encore, dit-il. Je crois qu’on lui a injecté quelque chose. Elle a des marques dans le cou.Je ne réponds pas.Je fixe la rue en contrebas. Les gens qui marchent vite, pressés, emmitouflés dans leurs existences creuses.Ils ne sentent rien.Ils ne savent rien.Mais moi, je sais. Quelque chose ici pue l’ancien. L’éveil. La mutation.— On ne peut pas rester cloîtrés ici. Pas si on veut la trouver.Drystan acquiesce.— J’ai repéré un garage. On peut louer un véhicule discret, équipé. Sans puce de géolocalisation. Marché noir.— Parfait. Discrètement. Pas de questions.Il hoche la tête et quitte la pièce.Je passe mes doigts sur ma nuque.La sensation de
ZarekJe marche dans la nuit.L’air est glacé, sec, tranchant comme une lame.La forêt derrière moi gronde de frustration, comme si elle sentait que j’abandonne une terre qui m’était acquise.Mais je ne peux pas rester.Je ne dois pas rester.Rien ici ne m’a parlé , ni chair , ni âme.Et pourtant… quelque chose, dans cette brume, murmure que je ne suis pas si loin.Mais pas assez proche non plus.— Tu crois que ça peut être une humaine ?— Ce n’est pas une humaine.Je crache les mots dans l’air comme un poison que je refuse d’avaler.Drystan relève la tête, surpris.— Tu y penses encore, à cette fille fiévreuse ?Je serre les poings.— Un roi ne se lie pas à une humaine. C’est contre toute nature. Contre la Loi.Il hoche la tête. Mais je sais qu’il n’est pas convaincu.Et pire encore : je ne le suis pas non plus.Il y avait dans ce nom murmuré, dans la tension de l’air, dans le regard fiévreux qu’elle m’a lancé avant de perdre connaissance…quelque chose qui a fait tressaillir mon omb
ZarekLe vent mord.Il ne caresse plus, il lacère.Chaque rafale est une gifle, chaque flocon une écharde.La forêt change, plus on s’approche des frontières du sud. Moins de conifères. Plus de cendres dans l’air. Et une odeur que je ne supporte pas : celle de l’humain.Je monte à cheval depuis trois jours. À côté, Drystan garde le rythme, infatigable, les sens en alerte. Sa fidélité est une ancre, sa présence, un mur entre moi et la folie qui me guette.Il est le seul à m’accompagner. Le seul à ne pas me regarder comme un roi condamné.Il est né avec moi, a combattu avec moi, a hurlé sous la même lune.Et parfois, il ose me dire ce que d’autres n’oseraient même pas penser.— Tu t’épuises, Zarek.Je serre la mâchoire. Mon regard fouille les ombres mouvantes des arbres. Un bruit, un parfum, une silhouette. J’attends. Je guette.Mais rien.Encore.— Ce n’est pas de l’épuisement, Drystan. C’est de l’instinct. Il est plus fort que moi. Je le sens. Elle n’est plus loin.Il grogne, lève les
SarahLe vacarme des klaxons s’accroche à mes pas comme une seconde peau. Ce n’est plus un bruit : c’est une présence, un souffle continuel, âcre, nerveux. Les talons des passants claquent contre l’asphalte détrempé, et leurs visages sont fermés, tirés, pressés par l’urgence de vivre, ou juste celle de tenir debout encore un jour.Une pluie fine tombe depuis l’aube. Elle ne mouille pas vraiment. Elle ronge. Elle s’infiltre. Elle s’insinue dans les fibres du manteau, dans les plis de la peau, jusque dans la cage thoracique. Je resserre ma capuche, enfonce les mains dans les poches, refuse de remettre ces gants troués que je traîne depuis deux hivers. Par fierté peut-être ou par obstination idiote. Il n’y a plus vraiment de différence, à force.Encore un entretien inutile.Encore des sourires figés et des regards fuyants. Le genre de phrases que j’ai appris à décoder : « Nous avons d’autres candidats », « Vous êtes… intéressante, mais… », « Nous vous recontacterons ». Personne ne rappel