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Fractures et alliances

last update Last Updated: 2025-06-05 18:42:33

Chapitre 4 — Fractures et alliances

Aelis, Joran

Je sens le poids du silence entre nous, lourd, presque palpable, alors que nous progressons dans les ruelles tortueuses et malfamées de la Zone-3. Le vent souffle encore, mais il semble différent cette fois, chargé d’une menace sourde, d’un danger tapi dans l’ombre. J’essaie de déchiffrer les traits de Joran dans la faible lumière des néons grésillants. Son visage est impassible, mais ses yeux trahissent la fatigue et les souvenirs des batailles passées, les cicatrices invisibles d’une guerre qui ne finit jamais.

— Tu caches bien ta fatigue, lui dis-je finalement, brisant le silence qui nous enserre comme un étau.

Joran tourne lentement la tête vers moi, sans me regarder vraiment.

— La guerre ne prend pas de pause, répond-il d’une voix grave, presque rauque.

Je hoche la tête, serrant dans ma main le petit dispositif qu’il m’a confié plus tôt, un morceau de technologie volé, fragile mais précieux.

— Non, et nous non plus, ajoutai-je, comme pour me convaincre autant que lui.

Nos pas résonnent doucement contre les murs crasseux, recouverts de graffitis déchirés par le temps et la négligence. Ici, même la nuit semble contaminée par la peur, la rancune et la colère refoulée des laissés-pour-compte. L’odeur âcre de l’huile et du métal mêlée à celle du béton humide nous enveloppe. Au loin, se dresse l’entrepôt, silhouette imposante et décharnée, carcasse rouillée perdue dans un océan de béton craquelé.

— Tu sais ce qu’ils cachent vraiment à l’intérieur ? demandai-je en scrutant Joran du coin de l’œil.

Il marque une pause, puis me répond lentement, pesant ses mots comme s’ils portaient un poids mortel :

— Plus que tu ne le penses. Des informations qui pourraient changer la donne… mais aussi détruire des vies, beaucoup de vies.

Je serre les dents. C’est pour ça qu’on est là. Pour dérober ces secrets au cœur du Syndicat, pour faire basculer l’équilibre instable qui nous écrase depuis trop longtemps.

Nous atteignons enfin la grille métallique. Joran sort un petit outil électronique sophistiqué de sa poche, un hackeur à la pointe malgré tout. Ses doigts s’agitent avec une précision presque mécanique sur le panneau de contrôle. Chaque bip électronique me semble un coup de couteau dans la poitrine, la tension me vrille les nerfs.

La peur s’insinue doucement, familière, mais je l’étouffe sous une couche de concentration froide, implacable.

— C’est bon, chuchote Joran, sans un regard pour moi. Mais on ne disposera que de cinq minutes avant que les alarmes ne se déclenchent.

Je hoche la tête sans un mot. Pas de place pour l’erreur, pas cette fois.

Nous pénétrons dans l’entrepôt. L’air est épais, saturé d’odeurs de métal chauffé, de graisse rance et de poussière agglutinée au fil des ans. Les faisceaux de nos lampes frontales balaient des piles de caisses en bois éventrées, des machines abandonnées, témoins d’un monde industriel à l’agonie. Nous avançons en silence, chaque ombre pouvant dissimuler un ennemi, chaque bruit peut être le signal d’un piège.

Soudain, un bruit sec, un claquement métallique derrière une porte entrouverte. Joran s’immobilise, tendant l’oreille avec la précision d’un chasseur. Mon cœur s’accélère, je sors mon pistolet, le doigt sur la gâchette, prêt à tirer au moindre mouvement suspect.

— Attends, murmure-t-il, levant la main pour me faire signe de patienter.

Une silhouette émerge doucement dans la lumière blafarde qui filtre à travers la porte. Une femme mince, vêtue d’un manteau trop grand pour elle, avance d’un pas assuré. Ses yeux, d’un vert perçant et déterminé, brûlent d’une flamme indomptable.

— Je ne suis pas votre ennemie, dit-elle d’une voix calme, mesurée, mais ferme.

Je reste sur mes gardes, le pistolet toujours pointé. Chaque mot, chaque geste peut cacher un piège mortel.

— Qui es-tu ? demandai-je, mon ton dur trahissant la méfiance.

— Calla, de la cellule clandestine, répondit-elle sans hésiter. Je suis venue pour vous aider.

Joran échange un regard rapide avec elle, puis se tourne vers moi.

— Elle connaît les lieux mieux que personne, dit-il d’une voix basse. Elle peut nous guider vers les données.

Je baisse lentement mon arme, mais mon esprit reste tendu comme un arc.

— Pourquoi maintenant ? Pourquoi prendre ce risque ?

— Parce que le Syndicat a changé les règles, explique Calla. Ils préparent quelque chose de grand, quelque chose qui pourrait tout détruire. Nous n’avons pas le luxe de rester divisés, pas cette fois.

Le temps presse. Nous avançons, formant une alliance fragile mais nécessaire dans ce cauchemar urbain. Calla nous guide à travers un dédale de corridors labyrinthiques, esquivant patrouilles et caméras de surveillance, empruntant passages secrets et codes d’accès subtilisés au fil du temps.

À mesure que nous nous approchons de la salle des serveurs, un grondement sourd secoue les murs. La poussière et les débris tombent du plafond en pluie fine, et une alarme stridente déchire la nuit silencieuse.

— C’est parti, souffle Joran, la mâchoire serrée.

— Vite, on doit récupérer les données avant que les renforts ne déboulent, dis-je en pressant le pas.

Calla atteint une lourde porte blindée et la déverrouille avec une rapidité impressionnante. Nous pénétrons dans une salle baignée par la lumière froide des rangées d’ordinateurs clignotants. Elle s’installe devant l’un des terminaux, les doigts dansant sur le clavier avec une expertise redoutable.

— Donnez-moi cinq minutes, dit-elle, le visage concentré.

— On n’en a pas, dis-je, en jetant un œil vers l’entrée. Trois minutes, sinon on dégage.

Je garde les yeux rivés sur l’entrée, tendue comme un ressort. Chaque seconde s’étire douloureusement, chaque bruit devient un signal d’alarme dans ma tête.

Puis la voix de Calla s’élève, tremblante de tension :

— C’est fait. Téléchargement terminé.

Un grondement sourd se fait entendre au loin. Des pas rapides approchent. La sécurité est sur nous.

— Par ici, vite ! ordonne Calla en ouvrant une trappe dissimulée dans le sol.

Nous plongeons dans l’obscurité, glissant dans un tunnel étroit, les murs humides nous écrasant presque. Le souffle court, le cœur battant à tout rompre, je sens l’urgence, la peur d’échouer et le poids du monde sur mes épaules.

— Tu as tenu bon, murmure Joran en posant une main rassurante sur mon épaule.

— On n’a pas encore gagné, répliquai-je, le regard fixé devant nous. Mais c’est un début.

La trappe se referme dans un bruit sourd derrière nous. Nous sommes à nouveau seuls, dans un labyrinthe souterrain, porteurs d’une vérité dangereuse qui pourrait bien changer notre destin. La bataille, elle, ne fait que commencer.

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