Léa
Je n’ai pas refermé l’œil.
Pas à cause du bruit des friteuses. Ni à cause de cette odeur de gras froid qui imprègne tout, jusque dans mes os.
Non.
C’est lui.
Kayden Wolfe.
Ce nom, je ne veux même pas l’entendre. Il tourne dans ma tête comme une rengaine impossible à faire taire. Il cogne là, quelque part entre la gorge et le ventre, comme une douleur sourde.
Et je déteste ça.
Je me hais de penser à lui.
Mais je revois tout.
Ce putain de moment.
Sa silhouette trempée par la pluie. Ce regard. Ce regard qui ne joue pas. Qui ne cache rien. Un truc à vif, comme si le type n’avait plus rien à perdre, plus rien à prouver non plus.
Et ce rire. Ce petit rire sincère, troublant, désarmant.
Ce rire que j’ai provoqué.
Et auquel j’ai répondu.
J’ai ri avec lui.
Un éclat bref, incontrôlé. Mais suffisant pour me mettre en danger.
Parce que ça veut dire que je peux encore être atteinte.
Et ça… je ne peux pas me le permettre.
Pas maintenant. Pas alors que mon frère est à l’hôpital, branché à des machines qui font plus de bruit que lui. Pas alors que je dois enchaîner les heures, m’épuiser, garder la tête hors de l’eau.
J’étais encore à son chevet ce matin. Il dormait. Sa peau était livide, son souffle faible. Je lui ai pris la main. Je lui ai menti, encore.
Je lui ai dit : ça va aller.
Je lui ai dit : je reviens demain.
Je lui ai pas dit que j’étais à bout. Que j’en pouvais plus de faire semblant.
Et maintenant, je suis là. À traîner dans un fast-food désert, après la fermeture, à repasser mes cheveux devant un miroir fêlé… parce qu’un mec est peut-être sur le point de revenir.
C’est pathétique.
Et pourtant, quand la clochette sonne, mon cœur loupe un battement.
Je le savais . Il est là . Et je ne bouge pas.
Je reste figée, la main encore posée sur le rebord du lavabo, le cœur battant trop fort.
Il entre sans parler. Détrempé. Silencieux. Et il me regarde.
Il me voit . Pas comme les autres.
Pas comme ceux qui ne voient qu’un tablier taché, des cernes sous mes yeux et une dose de sarcasme dans ma voix.
Non , lui, il regarde à travers.
Et j’ai envie de hurler. De fuir. De lui dire de foutre le camp.
Mais je reste.
— Tu m’as manqué, dit-il.
Juste ça , trois mots. Et j’ai l’impression de recevoir un coup dans la poitrine.
Je reprends vite mes armes.
— Je ne suis pas un arrêt de bus. Tu viens pas ici quand t’as rien d’autre à faire.
— Ce n’est pas ça, Léa .
Il a dû voir mon nom sur mon badge .
— Alors c’est quoi ? Tu t’es lassé de tes barbies de L.A. ? Tu veux jouer au mec profond avec la fille paumée du snack ?
Il ne répond pas . Il avance.
Moi, je recule d’un pas. Juste un. Mais il le remarque.
Il continue d’avancer. Lentement. Comme un animal qui sent l’odeur du feu, mais qui y va quand même.
— Arrête-toi, Kayden.
— Dis-moi de partir, murmure-t-il.
Sa voix est rauque, pleine de tension.
Il est juste devant moi maintenant. Je sens son souffle. Je sens la chaleur de son corps, mêlée à l’humidité de sa veste. Une odeur brute, presque sauvage. La pluie. Le cuir. Et autre chose. Quelque chose de vivant, d’incontrôlable.
Je reste là. Figée.
Et c’est là qu’il pose une main ferme sur ma taille, et l’autre sur ma nuque.
Et il m’embrasse . Sans prévenir. Sans demander. Un baiser brutal. Profond , fiévreux.
Sa bouche prend la mienne comme une vérité qu’on n’a pas le droit de nier. Sa langue force le passage. Et moi, je vacille. Mon corps répond avant même que ma tête ait eu le temps de crier.
Mon ventre s’enflamme. Mon cœur explose.
Je m’accroche à sa veste mouillée. Mes doigts s’enfoncent dans le cuir, mon souffle se mêle au sien. Pendant une seconde, je me perds complètement.
Et puis ça remonte.
La colère et la peur.
Je le repousse de toutes mes forces. Je lève la main et Clac.
Une gifle qui claque, sèche, brûlante et Clac , une deuxième.
Il encaisse. Il ne bouge même pas. Il lève juste lentement une main vers sa joue rougie. Il passe ses doigts dessus. Et il sourit. Un sourire tordu , amer un peu triste.
— Je t’ai cherchée toute la journée, souffle-t-il. Et c’était pas pour ton sandwich au thon.
— Tu es taré.
— Peut-être. Mais toi aussi. Sinon tu m’aurais frappé bien avant.
Je détourne le regard.
Je vais vers le fond. Derrière le comptoir. Il me suit. Je le sens dans mon dos.
— Arrête, Kayden. Tu ne sais rien de moi. Tu crois que ça va t’amuser quelques heures ? Que tu vas m’apprivoiser comme un chat errant ? Oublie.
— Ce n’est pas ce que je veux.
Je me fige.
Je me retourne. Lentement.
— Alors dis-moi ce que tu veux.
Il s’approche. Pas trop près. Juste assez pour que je sente le poids de ses mots avant qu’il ne les dise.
— Je veux ton feu. Je veux ton regard quand tu te défends. Je veux tes silences et tes colères. Je veux comprendre pourquoi tu dors pas la nuit. Pourquoi tu rigoles plus que tu pleures. Et ouais, je veux ta bouche. Mais quand toi, tu voudras me la donner. Pas avant.
Ses mots me clouent sur place.
Je détourne les yeux. J’avale ma salive. J’ai mal à la gorge, soudain. À cause des larmes qui ne sortent pas.
Je passe une main dans mes cheveux. Je respire à fond. Je cherche de l’air. Je cherche du contrôle.
— Tu es dangereux pour moi.
— Et toi pour moi.
Je ne dis rien.
Je lui tourne le dos.
Mais je le sens encore. Sa chaleur. Son souffle.
Et je sais qu’il reviendra.
Et le pire… c’est que maintenant, je veux qu’il revienne.
Même si ça me brûle. Même si ça me détruit.
KAYDENJe sens que cette discussion ne peut pas rester enfermée ici. Chaque mot de cette femme résonne comme un venin qui risque d’atteindre Léa si je ne l’arrache pas de ses griffes.Alors je quitte la pièce sans un mot, laissant Matteo seul avec elle. Mes pas frappent le couloir à toute vitesse. Mon cœur cogne, mais cette fois ce n’est plus la peur, c’est la rage, l’urgence, la nécessité de mettre fin à ce jeu.Je pousse la porte de la chambre. Léa est assise au bord du lit, les yeux rougis, les mains crispées sur le drap. Elle relève brusquement la tête en me voyant.— Kayden…Sa voix tremble, déchirée entre colère et attente.Je m’avance, m’agenouille devant elle, prends son visage entre mes mains.— Je veux que tu entendes de ta propre oreille, Léa. Que tu vois par toi-même ce qu’elle dit. Plus de secrets. Plus de doutes.Ses yeux cherchent les miens, encore blessés, encore incertains. Mais elle hoche la tête, lentement.Je l’aide à se lever, sa main glissée dans la mienne, et no
KAYDENJe n’ai pas attendu que le chaos médiatique se tasse. Pas attendu que les caméras se détournent ni que les journalistes trouvent une nouvelle proie. À peine revenu dans la pièce, les veines encore en feu de l’adrénaline, j’ai pris mon téléphone. Mes doigts tremblaient mais je savais ce que je devais faire.— Tu es fou, souffle Matteo derrière moi, sa voix basse mais vibrante de colère. Tu viens de provoquer un séisme, et maintenant tu veux en rajouter ?Je compose déjà le numéro, mes yeux fixés sur l’écran, mes mâchoires serrées.— Pas un séisme… mais la vérité.Ma voix gronde, basse, rugueuse. Matteo ne répond pas. Il comprend que je n’ai pas l’intention de reculer.Le téléphone sonne. Une fois. Deux fois. Trois. Chaque tonalité résonne comme un coup de marteau contre ma poitrine. Puis, un déclic.— Allô ?Sa voix. Douce, lente, presque caressante. Comme un poison qui s’insinue sans prévenir.Je ferme les yeux un instant, prends une inspiration.— C’est moi, Kayden.Un silence
LÉALa télévision grésille encore, saturée de flashes et de voix criardes. Les images défilent en boucle, Kayden derrière ce pupitre, son visage fermé, ses épaules tendues, son regard sombre qui balaye la foule.Je suis restée figée tout le long. Le bol de soupe que j’avais posé devant moi a refroidi, intact. Mes doigts crispés sur la télécommande sont blancs d’effort. Mon souffle est resté coincé quelque part entre ma poitrine et ma gorge, incapable de circuler.Quand il a prononcé son nom… celui de cette femme… j’ai eu un sursaut. Comme si le mensonge avait enfin une cible tangible. Puis il a lâché ces mots : elle n’est pas enceinte de moi. Clairs. Durs. Sans détour.Et le chaos a éclaté. Des cris, des questions, des caméras qui se levaient comme des armes, une marée de bruit qui a presque fait trembler les murs de mon salon à travers l’écran. Mais moi, je n’ai entendu que lui. Sa voix. Grave, ferme. Trop ferme pour être feinte.Je me surprends à murmurer, presque sans m’en rendre c
KAYDENLa pièce ressemble à une cage. Trop étroite, trop close, saturée d’un air lourd qui colle à ma gorge. J’ai l’impression que chaque respiration m’écorche les poumons. Je suis assis seul, les coudes appuyés sur mes genoux, les mains jointes qui tremblent malgré moi. Je tente de les immobiliser, de les contraindre, mais rien n’y fait. La peur s’infiltre, invisible, et refuse de se taire.De l’autre côté de la porte, les voix s’élèvent, nerveuses, étouffées par le bois. Mon équipe se déchire en conseils contradictoires. Ne fais pas ça. C’est trop tôt. Attends. Mais il n’y a pas d’attente possible. Chaque seconde de silence me condamne davantage. Chaque rumeur répandue comme un poison ronge ce qu’il me reste de crédibilité.Je ferme les yeux, inspire profondément, et leur visage surgit aussitôt. Léa. Ses yeux rougis de larmes, son corps tendu, sa colère vibrante. Et Ethan, fragile, pâle, accroché à la vie comme à un fil trop mince. Si je continue à me taire, c’est eux que je perds,
LÉAL’eau chaude ruisselle sur ma peau, effaçant la sueur, les frissons, les traces de sa bouche et de ses mains. La vapeur emplit la salle de bain, dense, enveloppante, presque étouffante. Je ferme les yeux, m’appuie contre le carrelage froid, et laisse mes pensées dériver malgré moi.Mon cœur bat encore vite, comme si Kayden était toujours là. Comme si son souffle brûlant se glissait encore dans mon cou, comme si ses mains m’emprisonnaient contre lui, me rappelant qu’il peut me désarmer en un instant. Et ça me terrifie. Parce qu’il me suffit d’un de ses regards pour que ma colère s’effrite, pour que mes résolutions se fissurent.Pourtant, sous la chaleur de l’eau, une autre émotion s’invite. Pas la colère — elle s’est dissoute comme du sel dans l’océan — mais une fatigue profonde. Un poids invisible qui s’accroche à mes épaules, lourd, tenace. Ses secrets, cette femme enceinte, cette ombre constante de son passé… Je peux fermer les yeux, inspirer profondément, tenter d’effacer l’ame
LéaJe serre les poings, incapable de détacher mes yeux de Kayden. La colère bouillonne en moi, brûlante, incontrôlable. Comment a-t-il pu me cacher quelque chose d’aussi énorme ? Une femme enceinte de lui… et il ne m’a rien dit ? Je le sens prêt à me rassurer, à répéter ses mots mille fois, mais à cet instant, je ne veux rien entendre.— Comment… comment as-tu pu me laisser découvrir ça à la télévision ? hurle-je, ma voix tremblante. Comment ?Kayden recule légèrement, surpris par mon éclat, mais ses yeux restent fixés sur moi, emplis de cette intensité qui me fait à la fois trembler et fondre.— Léa… je… murmure-t-il, tentant de calmer la tempête qui me dévore. Ce n’est pas ce que tu crois…— Pas ce que je crois ? siffle-je entre mes dents. Je crois qu’une ex de toi, enceinte de toi, choisit ce moment pour se montrer et que tu… tu ne m’as rien dit ! Rien ! Et tu oses me dire que ce n’est pas vrai ?Mon souffle s’accélère, mon cœur bat à tout rompre. Il s’avance vers moi, mais je rec