Azar
Je marche dans la nuit fraîche, les mains enfoncées dans les poches de mon blouson.
La ville est silencieuse, comme figée entre deux respirations.
Seules les lumières des lampadaires percent l’obscurité, dessinant des ombres longues sur le bitume.
La voiture est encore là, immobile, ses phares éteints, comme si elle retenait un souffle qu’elle ne veut pas laisser échapper.
Je m’arrête un instant, regardant le siège vide à mes côtés, et je sens un vide sourd qui s’ouvre en moi.
Elle m’a repoussé, glaciale, tranchante.
Un coup sec porté à ma fierté d’homme habitué à tout obtenir, à dominer, à charmer.
Cette fille, avec ses murs durs et ses silences coupants, m’a claqué la porte au nez.
Mais cette fois, ça ne marche pas.
Cette fois, elle ne se laisse pas apprivoiser.
Elle ne m’offre pas ce sourire facile qui efface tout, qui apaise mes démons.
Elle m’a dit qu’elle allait m’oublier.
Que je n’étais qu’un coureur de jupons, un jeu parmi tant d’autres.
Et cette idée m’irrite plus que je ne veux l’admettre, plus que je ne veux l’avouer à haute voix.
Je suis habitué aux conquêtes faciles, aux regards qui s’abaissent, aux lèvres qui s’ouvrent à mon passage.
Des corps qui cèdent, des mains qui se tendent.
Tout un monde où je suis roi.
Mais Leyna…
Leyna est différente.
Elle est ce mur qu’on ne peut pas contourner, cette énigme que je n’arrive pas à déchiffrer.
Son refus est une flamme froide qui m’attire et me brûle.
Son regard qui me défie est un défi lancé à tout ce que je suis, à tout ce que je croyais contrôler.
Je me rends compte que je ne veux pas juste la posséder, comme un trophée de plus.
Je veux comprendre ce qui la fait fuir.
Je veux percer ses silences, ses peurs, son mur.
Je veux savoir pourquoi elle refuse d’abaisser sa garde, pourquoi elle s’enferme dans ce monde où je n’ai pas ma place.
Mais pour ça, il faudra plus que des mots doux ou des sourires enjôleurs.
Il faudra du temps.
De la patience.
De la volonté.
Je serre les poings, le souffle court.
Je ne suis pas du genre à abandonner.
Pas quand je sens qu’il y a quelque chose de réel, de brut, de puissant.
Une force obscure et lumineuse à la fois, une énergie qui me fait vaciller.
Je sens aussi ce poids : celui de mon image.
Le joueur adulé, l’icône médiatique, le séducteur sans attaches.
Un rôle que je joue avec habileté depuis des années.
Mais avec Leyna, ce masque commence à se fissurer.
Je tourne la tête vers la porte de son immeuble, éclairée par un lampadaire blafard.
Là où elle est, là où ses secrets vivent, là où elle se cache.
Je me surprends à imaginer sa vie derrière ces murs.
Ses doutes. Ses combats. Ses blessures.
Et ça me fait mal, plus que je ne veux l’admettre.
Je murmure pour moi-même, presque une promesse :
— Je reviendrai, Leyna.
Et je ne te laisserai pas partir.
Le vent froid me fouette le visage, mais à l’intérieur, c’est un brasier qui s’allume.
Un feu que je ne peux ni éteindre ni ignorer.
Je fais quelques pas, puis je m’arrête, regardant une dernière fois la fenêtre d’où elle pourrait m’observer, silencieuse et distante.
Je me demande ce qu’elle pense.
Si elle craint ce feu autant que moi.
Ou si elle veut, elle aussi, brûler un peu.
Je reprends ma route, chaque pas résonnant dans la nuit.
Les lumières de la ville s’éloignent derrière moi, mais la silhouette de Leyna reste gravée au plus profond de mon esprit.
Je sais que ce n’est que le début d’une bataille.
D’un jeu dangereux entre ombre et lumière, désir et peur.
Et je suis prêt à jouer, à perdre, à brûler, juste pour ne pas la perdre.
Leyna
La porte de mon appartement claque derrière moi, résonnant comme un coup dans le silence qui m’engloutit aussitôt.
Le vide de la pièce me paraît immense, presque étouffant.
Je dépose mon sac avec une précaution étrange, comme si ce simple geste pouvait déranger un équilibre fragile, un secret que je ne suis pas prête à révéler.
Je m’appuie contre le mur froid, les mains encore tremblantes, le souffle court.
Les paroles d’Azar tournent en boucle dans ma tête, leurs échos m’envahissent, bousculent ma raison.
Son regard, ce mélange d’insistance et de vulnérabilité, me hante plus que je ne veux l’admettre.
Je veux le haïr.
Le détester.
Le repousser avec la force de toutes mes blessures.
Mais je sens que c’est vain.
Il a déjà laissé une trace brûlante, presque indélébile.
Il a réveillé en moi un feu que je croyais avoir éteint depuis longtemps.
Un feu sourd, insidieux, qui ne réchauffe pas mais qui consume, lentement, sans éclat, avec une douleur sourde.
Je me déplace lentement vers la fenêtre, comme attirée par une lumière incertaine.
Je scrute les lumières de la ville, leurs scintillements lointains, fragiles.
Elles ressemblent à des promesses futiles, des espoirs suspendus que je ne sais plus croire.
Pourquoi est-ce que je ressens ça ?
Pourquoi est-ce que ce joueur arrogant, ce symbole flamboyant d’un univers que je méprise, trouble à ce point mon équilibre ?
Pourquoi est-ce que son absence me pèse déjà comme un manque ?
Je me remémore ma vie, les combats que j’ai livrés en silence.
Les jours où je me suis levée sans force, les nuits froides où je me suis blottie dans l’obscurité, les rêves que j’ai dû enterrer pour survivre.
J’ai toujours cru que la seule manière d’exister était de rester forte, insensible aux blessures, aux faux-semblants.
Et voilà qu’en quelques heures, un homme, un inconnu, vient tout chambouler, briser mes défenses avec une simplicité déconcertante.
Je ferme les yeux, cherchant à chasser cette chaleur qui monte, envahit mon corps et me trouble.
Je ressens encore la force de sa main, ce contact fugace mais qui semble porter le poids d’un monde.
Je sens le poids de son regard, cette intensité qui m’a fait vaciller, malgré moi.
Je voudrais que tout ça s’arrête.
Que ce feu se refroidisse.
Que la raison reprenne le dessus.
Mais en même temps, une peur sourde m’envahit.
La peur que ce soit là le début de quelque chose d’inévitable, de profond, de dangereux.
Je m’effondre enfin sur le canapé, les mains toujours tremblantes.
Je ne suis pas prête.
Je refuse d’être prête.
Pourtant, dans le silence de cet appartement, une voix se fait entendre, faible, presque inaudible.
Une voix que je combats, que je refuse d’écouter.
Elle me murmure que peut-être, juste peut-être, il y a quelque chose à tenter.
Quelque chose à risquer, au-delà de la peur et des doutes.
Je serre les poings, comme pour m’ancrer à cette résolution fragile.
Je me promets de rester forte, de ne pas me laisser emporter par ce désir confus.
Mais au fond de moi, je sais que cette promesse vacille déjà.
Que chaque battement de mon cœur s’accorde à une mélodie nouvelle, troublante et irrésistible.
Je me laisse glisser un peu plus dans le silence, avec cette vérité qui me brûle :
Azar est devenu une ombre dans mes pensées, une présence impossible à ignorer.
Et je ne sais pas combien de temps je pourrai lui résister.
AzarL’air de l’enceinte sportive est lourd de chaleur et d’adrénaline. Les couloirs bruissent de voix et de rires, le claquement des chaussures sur le parquet résonne comme un rappel cruel que je suis maintenant ici, loin de Leyna. Chaque regard de mes coéquipiers me rappelle les attentes, la pression, le poids de la performance.Je serre la poignée de ma valise, encore une fois, comme pour garder un contact avec moi-même. Mon esprit dérive pourtant, vers elle, vers son sourire, la douceur de ses mains que je veux sentir encore. Chaque instruction du coach devient une épreuve de concentration : je hoche la tête, j’écoute, mais mes pensées flottent ailleurs, tissées de souvenirs de nos gestes, de nos mots, de notre complicité.Le briefing commence. Plans de jeu, stratégies, rôles assignés. Tout est logique, précis, professionnel. Mais dans mon esprit, c’est le désordre affectif qui règne. Je me surprends à imaginer Leyna ici, dans son monde, et à sourire malgré moi. Ce fil invisible e
AzarL’avion touche enfin le sol, et un souffle mêlé d’excitation, de fatigue et de nervosité me traverse. Istanbul s’étend sous mes yeux, immense, bruissante et vivante. Tout mon corps sent le contraste brutal entre la douceur des souvenirs de Leyna et l’urgence de ce qui m’attend ici. Les passagers se lèvent, pressés, impatients, et je me glisse parmi eux, le cœur encore lourd.La sortie de l’aéroport est un choc sensoriel : valises roulantes, taxis klaxonnant, cris des vendeurs ambulants, l’odeur des fast-foods et du bitume chaud. Chaque détail me rappelle que je suis loin de la tranquillité de mon appartement, loin de Leyna. Pourtant, ses yeux, son sourire, la chaleur de ses mains, sont gravés dans mon esprit. Je ferme les yeux une seconde et les imagine à nouveau, comme si ce simple acte pouvait me raccrocher à elle.Je récupère ma valise, le poids du voyage et de la séparation se faisant sentir dans mes épaules. Chaque pas sur le trottoir est un rappel de l’inévitable, mais auss
AzarL’avion vibre sous mes pieds, chaque décollage semblant emporter un peu de moi avec lui. La cabine est un brouhaha confus : annonces, pas des passagers, murmures de conversations. Pourtant, tout cela disparaît dans le souffle de Leyna encore présent dans mon esprit.Je m’assois à ma place, la fenêtre à côté, et je laisse mes doigts effleurer le siège devant moi comme si je pouvais y laisser une trace de ma dernière proximité avec elle. Je fixe l’horizon, mais mes pensées sont ailleurs, coincées entre le souvenir de son sourire et le contact de ses mains. Chaque vibration du moteur, chaque turbulence me rappelle que je m’éloigne, mais que le fil invisible entre nous reste tendu, fragile et pourtant solide.— Reviens vite… murmurai-je pour moi-même.Mon téléphone vibre. Un message d’elle : un simple emoji, un clin d’œil. Une touche d’humour, de légèreté, mais qui m’arrache un sourire triste. Même à des milliers de mètres, elle trouve le moyen de rester là, présente.Je m’adosse au
LeynaL’aéroport est un autre monde. Bruit métallique des valises, annonces qui résonnent dans chaque couloir, agitation incessante des passagers. Tout paraît impersonnel et pourtant, je suis figée par la présence d’Azar à quelques pas de moi. Son sourire, fragile et presque interdit, traverse la foule et m’atteint au cœur.— Tu es sûr que tout est prêt ? murmurai-je, essayant de couvrir à peine le tumulte ambiant.Il hoche la tête, mais ses yeux me trouvent, s’accrochent à moi, comme s’il voulait retenir chaque détail. Le sac qu’il a posé à ses pieds semble dérisoire face à ce que nous avons partagé hier, à la chaleur que nous avons laissée dans mon appartement. Chaque geste de lui me semble amplifié, chaque frôlement de nos doigts devient un instant suspendu.— Leyna… souffle-t-il en me prenant la main, juste un instant.Je ferme les yeux, inspirant profondément son odeur. Son parfum me reste dans la gorge, et je me surprends à vouloir prolonger ce contact encore et encore. Le temps
LeynaLa nuit tombe trop vite. Comme si le ciel lui-même savait qu’il ne nous reste qu’une poignée d’heures avant que tout change.Azar est affalé en travers de mon canapé, ses jambes trop longues dépassant du plaid que je lui ai jeté. Sur la table basse, deux tasses de thé refroidissent déjà. La télé diffuse un film qu’aucun de nous ne regarde. Il zappe, distrait, son pouce appuyant machinalement sur la télécommande.— Tu réalises que c’est ta dernière soirée ici ? dis-je doucement.Il tourne la tête vers moi, hausse les épaules.— J’essaie de pas trop y penser.Je m’assois à côté de lui, mon genou frôlant le sien. Un silence fragile s’installe. Pas pesant, mais chargé de tout ce qu’on n’ose pas dire. Chaque seconde compte, et ça rend tout plus vif, plus intense.Alors je brise le fil, volontairement légère.— Tu veux que je cuisine quelque chose ?— Non merci, je tiens à arriver en vie à Istanbul.Je lui balance un coussin, qu’il esquive avec un sourire insolent.— T’abuses, je suis
AzarLe matin est encore frais quand je la retrouve. Leyna est déjà là, assise sur le muret, ses jambes battant dans le vide. Elle a ce sourire qui donne l’impression que la journée sera forcément meilleure que la précédente, comme si elle l’avait déjà décidé pour nous deux. Dans ses mains, un sac en toile qu’elle me tend sans préambule.— Devine ce qu’il y a dedans ?— Des toasts cramés ?Elle lève les yeux au ciel et me donne une petite tape sur l’épaule.— Mauvaise langue. Sandwich maison. Si tu critiques, je te laisse mourir de faim.— Charmant programme, dis-je en grimaçant.On marche côte à côte dans les rues encore calmes. Les commerçants ouvrent leurs volets en grinçant, les odeurs de pain chaud se mêlent à celles du café qui s’échappe des bistrots. J’ai l’impression de flotter dans un temps suspendu, hors du terrain, hors du bruit des stades. Une étrange légèreté m’accompagne : pas d’entraînement, pas de coach qui crie, pas de sifflet strident. Juste nous.Au parc, le banc de