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Kaïla
Je marche, mes pas lourds sur le sol humide, la brume montante m’enveloppant lentement, comme un manteau lourd et oppressant. La forêt autour de moi semble se refermer, mais ce n’est pas la nature qui me fait m’étouffer. C’est cette sensation, constante, de ne pas être à ma place. De ne jamais avoir trouvé le bon endroit où poser mes racines, comme si je vivais en dehors de la meute, en dehors de tout. Je ne suis pas comme eux, je le sais. Et chaque jour qui passe me le rappelle un peu plus. La différence qui me ronge me pousse à m’éloigner, à fuir leur regard, à éviter leur jugement.
Je ferme les yeux un instant, le vent frappant mon visage. Si je pouvais juste me fondre dans l’air, me dissoudre dans la brume, je m’y abandonnerais sans réfléchir. Mais il y a toujours ce poids. Mes pouvoirs. Cette puissance intérieure qui n’est pas censée exister en moi. La façon dont elle bouillonne sous ma peau, prête à exploser. À déchirer tout autour. Cela me fait peur. Je sais que je suis différente. Et ça me déchire, chaque jour un peu plus.
Je m’arrête près d’un arbre imposant, la texture rugueuse de son écorce me rappelant que je suis encore là, ancrée dans ce monde qui ne me comprend pas. Je pose mes mains sur le tronc et laisse le silence s’emparer de moi. Mais ce n’est pas un silence paisible. C’est celui de l’isolement. Celui que je ressens depuis trop longtemps.
Soudain, un bruit de pas brise la tranquillité de la forêt. Des pas lourds, puissants, accompagnés de murmures et de voix. Mon cœur se serre dans ma poitrine. Je sais ce que cela signifie. Ce sont eux. Ils arrivent.
Aric.
Le grand souverain des loups-garous, celui dont tout le monde parle. Celui dont les légendes parlent à voix basse, comme un souffle dans la nuit. Je l’ai entendu nommer mille fois, mais je n’ai jamais eu l’occasion de le voir. Jusqu’à maintenant.
Je redresse la tête. Le bruit des pas se rapproche, chaque mouvement résonnant comme un écho menaçant. Aric n’arrive pas seul. Autour de lui, il y a ses bêtas, des sujets loyaux qui l’accompagnent, des figures imposantes dans le monde des loups. Ils forment une silhouette imposante, un groupe soudé qui marche avec une discipline stricte, et pourtant, c’est lui, Aric, qui attire toute l’attention. Chaque membre de la meute semble se raidir à l’approche de son autorité. Chaque pas qu’il fait semble être une affirmation de sa puissance.
Je me glisse hors du chemin, m’effaçant dans l’ombre, cachée entre les arbres. Je n’ai pas envie d’être vue. Pas aujourd’hui. Pas dans cet état. Je n’ai rien à offrir à ce souverain. Je suis invisible, une simple spectatrice dans le décor.
Je l’entends, son arrivée désormais imminente. Des voix excitantes, pleines de respect, s’élèvent. La meute se presse autour du domaine, préparant un festin pour le recevoir comme il se doit. Je sais ce que cela signifie : la meute est en effervescence. L’arrivée d’un souverain n’est pas un événement ordinaire. Les préparatifs sont fastueux, le banquet un acte de déférence, un geste d’hommage à celui qui détient le pouvoir. Les effluves des mets cuisinés envahissent l’air, mais à travers l’odeur, je sens la tension, l’attente, presque palpable.
Je ferme les yeux et prends une grande inspiration. Tout cela n’est qu’un jeu de pouvoir. Tout ce qui se prépare autour de moi n’est qu’une danse de soumission et de domination. Et moi, je suis l’observatrice silencieuse, la spectatrice qui se cache dans l’ombre, espérant ne pas être vue.
Des rires éclatent au loin, des voix plus joyeuses qui célèbrent la grandeur d’Aric, et j’imagine la scène : la meute réunie, toute en allégresse, prête à accueillir leur souverain. Une idée germe dans mon esprit, une pensée fugace : et si ce festin n’était pas seulement un acte de soumission ? Et si ce n’était pas seulement un moyen de flatter Aric, mais aussi un geste de défi ? Peut-être qu’aujourd’hui, pour une fois, je pourrais me glisser dans la lumière et ne pas être cette ombre qui erre dans la forêt. Mais cette pensée meurt presque instantanément. Je sais que je ne suis pas prête. Pas pour ça. Pas pour affronter les regards, les jugements, tout ce que je tente de fuir.
Au loin, les voix s’élèvent dans une salve de respect, et je sens les yeux se poser sur Aric alors qu’il entre enfin dans le domaine de la meute. Son corps est une silhouette imposante, sa présence comme une vague qui submerge tout sur son passage. Il est grand, sa démarche royale, et ses bêtas, à ses côtés, sont comme des ombres à sa lumière.
Mais ce qui me fait réellement m’arrêter, ce qui me fait retenir mon souffle, ce sont ses yeux. Quand il tourne la tête, ils se posent sur moi. Un instant. Juste un instant. Mais c’est suffisant. Un regard froid, calculateur, qui me scrute comme une inconnue, comme une énigme qu’il ne cherche pas encore à résoudre. Il ne me connaît pas. Et pourtant, il me voit. Il voit la différence. Il voit ce que je suis, ce que je cache.
Je suis une simple ombre dans son monde de lumière, mais peut-être que, pour une fois, cette ombre ne disparaîtra pas. Peut-être que, sous son regard, je serai enfin quelque chose de plus.
Mais pas aujourd'hui. Pas maintenant. Je me cache encore. Et j’attends.
Les festivités commencent, et je me retire plus loin, me fondant dans l’obscurité, là où personne ne me voit, là où je ne suis qu'une spectatrice.
La SouveraineLe premier conseil de notre règne conjoint s'achève. Les visages des généraux et des conseillers, hier encore marqués par la peur et la défiance, sont maintenant empreints d'une respectueuse stupeur. Ils ont vu l'Équilibre. Ils ont vu la colonne d'obsidienne et d'or, symbole de mon union avec Aisha. Les questions se sont heurtées au mur serein de notre certitude, et les objections sont mortes dans les throats devant la simple évidence de notre pouvoir complémentaire.Alors que les lourdes portes de la salle du trône se referment sur le dernier courtisan, une vague de fatigue, non pas physique, mais émotionnelle, m'envahit. Des heures à être un symbole, une idée vivante. Le poids de la couronne est lourd, même lorsqu'elle est partagée.« Tu as bien grogné, petite flamme », murmure Kayla dans mon esprit, sa présence comme une caresse contre ma fatigue. « Mais même la reine des cendres a besoin de se reposer. Va. Ton rocher t'attend. »Je tourne la tête. Tarek est déjà là.
La SouveraineLe silence qui suit la tempête est plus lourd que le fracas des combats. Il est fait de poussière qui retombe, de cendres chaudes et du souffle haletant de deux sœurs enfin réunies.Ma main est toujours serrée contre celle d'Aisha. Nos doigts sont entrelacés, et en eux circule un pouvoir que je n'avais jamais osé imaginer. Ce n'est plus le feu dévorant ou l'ombre vorace, mais quelque chose de nouveau, de plus ancien et de plus stable. Une énergie dorée et ambrée, striée de veines d'ébène, palpite autour de nous.« Elles dansent bien ensemble, maintenant, les deux moitiés », murmure la voix de Kayla dans mon esprit. Je la sens qui tourne autour de nous, invisible à tous sauf à moi, son pelage luisant mi-flamme, mi-ombre. « Mais méfie-toi, petite flamme. La sœur d'ombre a longtemps marché seule. Ses habitudes ont la vie dure. »Je caresse mentalement ses oreilles, trouvant un réconfort immédiat dans sa présence familière. « Elle fait partie de nous maintenant, Kayla. Toi a
La SouveraineLe palais tremble.Chaque colonne, chaque pierre, chaque fibre du lieu résonne avec la pulsation de ma magie. Le feu m’appelle, m’enlace, m’absorbe. Il n’est plus un outil, mais une extension de ma volonté , de ma rage.Face à moi, Aisha ne recule plus. Ses yeux, d’un bleu glacial, défient les miens. Sa propre aura, sombre et mouvante, s’élève comme un brouillard d’ombre. Elle ne veut plus se cacher. Elle vient pour me détruire.Kayla, aux aguets, tourne autour d’elle, la gueule entrouverte, le poil hérissé. Le vent de magie soulève la poussière et les cendres. Deux forces contraires s’affrontent, l’une née du feu, l’autre de la nuit.— Assez, Aisha, dis-je d’une voix qui vibre dans l’air. Tu joues à un jeu dont tu ignores les règles.— Et toi, tu as oublié qui t’a appris à marcher, ma sœur, réplique-t-elle en avançant d’un pas. Tout ce que tu es… c’est moi qui t’ai aidée à le devenir.Sa main s’élève. L’air s’assombrit. Une brume noire s’enroule autour de ses doigts, dé
La SouveraineL’air est lourd dans mes appartements. Les vitres fêlées laissent passer le vent du Nord, glacé, qui mord ma peau. Je m’avance, Kayla à mes côtés , dans mon esprit , silencieuse comme une ombre. Son pelage noir reflète à peine la lumière rouge qui émane de moi. Elle sent ce que je ressens : l’inquiétude, la tension, le frisson brûlant du pouvoir qui monte en moi.Je tends la main, et la flamme qui dort au creux de ma paume s’éveille. Elle serpente entre mes doigts, vive et imprévisible, comme une bête qui teste sa cage. Chaque souffle me fait vibrer, chaque pulsation de ma magie résonne dans mes veines comme une musique interdite. La ville m’a vue brûler, mais ce n’était qu’un avant-goût. Ce que je suis capable de créer maintenant dépasse tout ce qu’ils ont connu.Kayla grogne doucement. Je la regarde : elle sait. Elle sent Aisha. Ma sœur. Celle qui croit pouvoir se dresser contre moi. Sa présence est partout dans le palais, comme une ombre qui se glisse dans les recoins
La SouveraineLes couloirs du palais sont encore tièdes du feu. L’air porte une odeur d’encens et de cendre. À chaque pas, mes bottes s’enfoncent dans la poussière dorée laissée par la lumière , celle qui a consumé la moitié de la ville. Je marche lentement, droite, les mains croisées dans le dos. Autour de moi, les serviteurs détournent les yeux, certains s’agenouillent en silence. Je sens leur peur. Leur dévotion. Et cela m’enivre.Je sais qu’il me suit. Je l’entends respirer, lourdement, à quelques mètres derrière. Il ne parle pas. Pas encore. Mais sa présence est une brûlure dans mon dos.Je m’arrête devant la grande porte du hall d’audience. Les vitraux ont éclaté sous le souffle de la lumière. Le vent s’y engouffre, portant des cendres qui dansent autour de nous comme des âmes errantes.Je me retourne enfin. Il est là , le visage marqué par la fatigue, les vêtements tachés de suie. Ses yeux, surtout, me frappent. On y lit à la fois la peur et le désir, la fidélité et la r
Kaïla : La SouveraineL’air vibre.Je sens la fièvre du peuple avant même d’entendre leurs cris.Sous les hautes fenêtres du palais, la ville entière s’est levée , une marée d’humains prosternés, les bras tendus vers le ciel où l’étoile blanche brûle encore. Chaque battement de mon cœur répond à cette clameur. Chaque souffle est un feu qui me traverse.Des prêtres marchent pieds nus dans la poussière, portant des torches faites de leurs propres vêtements. Des femmes hurlent des prières jusqu’à l’épuisement. Certains tombent à genoux, d’autres dansent dans les rues comme possédés. L’éclat du ciel coule dans leurs yeux et les rend fous.Je me tiens sur le balcon, immobile, vêtue du manteau de lumière que les servantes ont tissé au matin. Le tissu semble respirer. Il pulse, comme s’il répondait à quelque chose au-dedans de moi.— Sa Majesté doit se retirer, dit une voix derrière moi. Le peuple n’est plus… stable.Je me retourne. C’est un capitaine. Son armure est salie de suie et de sang







