Kaïla
La soirée s’étire lentement, et pourtant, chaque minute me semble une éternité. Les rires et les voix se mêlent dans une cacophonie lointaine, portée par les vents qui traversent les arbres. Le festin est un spectacle en soi, mais je n’ai aucune envie de m’y joindre. Je préfère rester à l’écart, là où l’air est plus frais, où l’on m’oublie. Ce n’est pas par crainte, mais par une sorte de pudeur. Une sorte de décence, peut-être. Car chaque fois que je me mêle aux autres, je me sens plus invisible, plus étrangère. Plus décalée. Comme si je ne faisais pas partie de ce monde.
Je ferme les yeux et respire profondément. Ma peau me brûle encore de l’intensité de son regard. Comment peut-il me regarder ainsi, comme s’il me voyait réellement, sans savoir qui je suis, sans comprendre ce que je cache ? Il m’a observée, et il a vu quelque chose en moi. Mais quoi ? Ce n’était qu’un instant, un bref moment où ses yeux se sont posés sur les miens. Pourtant, il a suffi pour me marquer au fer rouge. Son regard, ses yeux froids et impénétrables, semblaient me sonder jusqu’au fond de mon âme, comme si j’étais une créature étrange et mystérieuse qu’il cherchait à comprendre.
Les bruits autour de moi se font plus distincts. Les membres de la meute se préparent à festoyer, à accueillir Aric comme il se doit. Et moi, je suis là, dans l’ombre, observant le monde qui se joue sous mes yeux. Je pourrais m’y glisser, rejoindre la table, prétendre que tout va bien, que je suis comme eux. Mais je ne le fais pas. Je n’y arrive pas. Ce masque est trop lourd à porter.
Soudain, des voix se rapprochent. Des pas puissants, ceux d’un groupe bien coordonné. Mes muscles se tendent, mon cœur s’emballe. Aric. Je sais qu’il approche. Il arrive. Je peux sentir sa présence avant même qu’il n’entre dans ma vision. C’est une pression invisible, une force magnétique, une aura indiscutable qui l’entoure. Et c’est lui, le Souverain, le plus puissant d’entre tous, qui pénètre dans cet espace sacré que la meute a préparé. Il entre dans la lumière, et la meute se tait presque instantanément. Ses bêtas, à ses côtés, ne sont que des ombres qui obéissent à sa moindre volonté. Leur soumission est palpable, leurs regards toujours tournés vers lui, attendant chaque mouvement, chaque ordre. Mais c’est Aric qui brille. Il est celui qu’on attend. Il est celui que tout le monde désire. Même sans parler, il impose une telle puissance qu’il n’a pas besoin de gestes pour capturer l’attention.
Je sens la pression se faire plus forte alors que l’air autour de moi vibre sous l’énergie de sa présence. Il est là, parmi nous. Dans notre domaine. En tout cas, pour un temps.
Je reste figée, incapable de détourner le regard. Une étrange fascination m’envahit, aussi dérangeante que naturelle. Mon cœur bat plus fort, mes pensées se bousculent. C’est la première fois que je suis ainsi dans la même pièce que lui, mais l’intensité de la situation me fait presque trembler. Je l’observe de loin, me cachant dans l’ombre d’une porte entre-ouverte, mes yeux fixés sur lui. Son regard parcourt la salle, balayant les visages qui l’accueillent avec respect, mais il ne s’attarde jamais. Ses yeux, sombres et froids, cherchent autre chose. Et c’est là que nos regards se croisent à nouveau.
Je m’arrête dans ma respiration, le monde autour de moi disparaissant pour un instant. Ses yeux se posent sur moi, lentement, et tout devient clair. Ce n’est plus seulement un regard d’observation, ce n’est plus seulement de la curiosité. Non. C’est un regard qui m’atteint profondément, comme un tir précis en plein cœur. Il n’a pas besoin de me connaître, pas besoin d’avoir mon histoire, pour voir la vérité en moi. Ce n’est pas qu’il m’identifie comme une étrangère. Non. Il voit quelque chose en moi qu’aucun autre ne voit. Quelque chose que moi-même j’essaie de cacher.
Je sens un frisson glisser le long de ma colonne vertébrale, un frisson qui n’est pas de peur, mais de cette étrange sensation qui émerge quand on est vu pour ce que l’on est réellement. Il sait. Il sait quelque chose. Mais il ne dit rien. Il continue d’avancer, et je le perds de vue un instant, me sentant encore plus exposée, dénudée.
Puis, soudainement, il s’arrête. La pièce semble se figer autour de lui. Les murmures s’éteignent dans un silence pesant. Il a parlé. D’une voix calme, mais autoritaire. Il s’adresse à la meute, à tout le monde, mais aucun nom n’a franchi ses lèvres. Pas le mien. Il continue, son regard balayeur touchant d'autres visages sans s’attarder davantage sur le mien. C'est comme s’il avait perçu cette étrange connexion sans vouloir la confirmer, sans la nommer. Il n’a pas besoin de ça. Ses yeux se détournent de moi, une fois de plus, sans une parole, sans un geste particulier, et il se fond dans l’aura imposante de la fête qui continue autour de lui.
Je recule encore davantage dans l’ombre, essayant de rassembler ce qui reste de ma tranquillité intérieure. Le monde autour de moi continue de tourner, mais je suis encore là, dans cette même position, figée, étrangère. Il m'a vue, je le sais, mais il ne s'y attarde pas. Peut-être que c’est mieux ainsi. Peut-être que cette connexion, cette étincelle silencieuse entre nous, est vouée à rester enfouie, sans parole, sans nom.
Je ferme les yeux un instant, me demandant si cette souffrance que je ressens, cette sensation d’être à la fois là et pas là, d’être une ombre parmi des vivants, finira par me détruire ou me forger. Mais au fond, tout ce que je souhaite, c’est être vue. Pas simplement comme la petite sœur dans l'ombre de la meute. Pas comme un simple spectateur de leur grandeur. Mais pour qui je suis. Qui je pourrais être, si seulement on m’en donnait la chance.
Je ne le saurais jamais, je crois.
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KaïlaL’aube s’étire comme une lame grise derrière les rideaux épais. Le roi est absent pour une journée , il me manque déjà .Une vibration presque imperceptible flotte dans l’air, une présence qui n’est pas la mienne. Quelque chose veille.Je rouvre les yeux d’un coup sec.Aïsha est là.Debout près de la grande baie vitrée, silhouette fine découpée dans le clair-obscur, elle ne bouge pas. Pas un bruit, pas un parfum trop marqué, juste ce frémissement d’air qui trahit une respiration étrangère. Elle regarde le jardin comme si le palais lui appartenait depuis toujours.Elle se croit chez elle. Évidemment.— Tu dors mal, murmure-t-elle sans tourner la tête.Sa voix glisse, douce et sourde, une caresse empoisonnée.Je m’assois lentement, les draps froissent dans un chuchotement. — Tu m’espionnes ?— Je veille. C’est différent.Elle pivote enfin. Son visage est lavé, ses yeux gonflés de larmes séchées, mais quelque chose a changé : un port de tête assuré, une verticalité presque arroga
KaïlaLe hall est silencieux maintenant, lourd d’une tension qui s’épaissit à chaque seconde. Aïsha me fixe avec un mélange étrange de défi et de suppliques. Ses yeux brillent, non pas de colère ou de haine, mais de larmes retenues, prêtes à éclater. Mon souffle se fait plus court, mes tempes battent sous l’intensité de ce face-à-face.— Kaïla… murmure-t-elle enfin, la voix tremblante, étranglée par l’émotion qu’elle feint avec une précision douloureuse. Je… je n’ai nulle part où aller… je n’ai plus rien… plus rien pour repartir à la meute…Ses mains se crispent sur le tissu de sa robe, ses épaules tremblent légèrement, et soudain, elle éclate en sanglots. De grosses larmes coulent sur ses joues, ses lèvres tremblantes essayant de contenir ce qu’elle veut faire passer pour un désespoir sincère.Je sens mon cœur se serrer, une partie de moi résistant à la tempête qu’elle provoque, une autre hésitant face à cette détresse soudaine. Son jeu est transparent, mais incroyablement efficace.
KaïlaL’air dans le hall est lourd, presque suffocant, saturé d’un mélange de cire brûlée, de parfum de fleurs et d’encens que les serviteurs ont disposé pour masquer le métal froid de la pièce. Chaque pas d’Aïsha résonne comme un écho dans le marbre poli, et chaque mouvement semble calculé pour me déstabiliser. Son sourire doux, presque implorant, me donne la chair de poule.— Kaïla… dit-elle enfin, sa voix tremblante mais chargée d’une émotion feinte. Pourquoi… pourquoi tu ne m’as jamais laissée venir avec toi ? murmure-t-elle, le menton baissé, les yeux humides, me jetant ce regard de vulnérabilité que je connais trop bien.Je la fixe, implacable, et chaque mot qu’elle prononce me frappe comme un coup de vent glacé. Une partie de moi refuse de céder, mais une autre, plus sombre, sent la colère et la curiosité se mêler.— Parce que je ne te fais pas confiance, Aïsha, dis-je, tranchante. Et tu le sais.Son sourire se teinte d’une ironie calculée. Elle s’avance encore, la lenteur de s
KaïlaLe palais bruisse déjà d’une agitation inhabituelle. Les préparatifs pour le marquage avancent à grands pas : les tapis roulés, les dorures polies, les chandeliers alignés, et l’air est saturé d’un mélange d’encens, de cire chaude et de fleurs fraîches disposées pour l’occasion. Mais mon esprit est ailleurs, concentré sur ce qui m’attend. Une tension invisible semble flotter autour de moi, comme un voile prêt à se déchirer à la moindre étincelle. Chaque pas, chaque respiration, chaque battement de cœur me rapproche de ce moment qui scellera mon destin.Alors que je traverse le hall principal, une voix hésitante s’élève derrière moi, brisant le brouhaha discret des serviteurs et des conseillers :— Majesté… pardonnez-moi de vous interrompre…Je me retourne, intriguée. Un employé du palais, jeune, presque tremblant, se tient droit mais ses yeux fuient les miens. Il tient un parchemin roulé entre ses mains, mais ce n’est pas cela qui attire mon attention. Son air grave, presque cra
KaïlaLe palais bruisse déjà d’une agitation inhabituelle. Les préparatifs pour le marquage avancent à grands pas : les tapis roulés, les dorures polies, les chandeliers alignés, et l’air est saturé d’un mélange d’encens, de cire chaude et de fleurs fraîches disposées pour l’occasion. Mais mon esprit est ailleurs, concentré sur ce qui m’attend. Une tension invisible semble flotter autour de moi, comme un voile prêt à se déchirer à la moindre étincelle. Chaque pas, chaque respiration, chaque battement de cœur me rapproche de ce moment qui scellera mon destin.Alors que je traverse le hall principal, une voix hésitante s’élève derrière moi, brisant le brouhaha discret des serviteurs et des conseillers :— Majesté… pardonnez-moi de vous interrompre…Je me retourne, intriguée. Un employé du palais, jeune, presque tremblant, se tient droit mais ses yeux fuient les miens. Il tient un parchemin roulé entre ses mains, mais ce n’est pas cela qui attire mon attention. Son air grave, presque cra
KaïlaLe matin est lumineux, presque magique. Je me sens comme transportée dans un monde qui ne m’appartient pas encore, et pourtant, chaque pierre, chaque draperie, chaque rayon de soleil me rappelle que je suis ici. Réelle. Visible. Présente.Aric m’attend dans le hall principal, droit et imposant, mais avec cette lueur d’attente dans ses yeux que je commence à comprendre. Sa main se tend vers moi, et je la prends, consciente que cet instant n’est pas seulement une promenade : c’est une entrée dans un nouveau chapitre de ma vie.— Aujourd’hui, tu rencontreras ceux qui veilleront sur toi et ton domaine, murmure-t-il. Ils t’accompagneront dans cette transformation que tu ne soupçonnes pas encore.Nous avançons, et je découvre le personnel du palais. Chacun salue Aric avec respect, et moi avec une chaleur inattendue. Les gardes inclinent la tête, les serviteurs s’inclinent légèrement, et un sourire sincère traverse leurs visages quand nos regards se croisent. Aucun mépris, aucune froid