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Chapitre 4 : L'Empreinte du Réel

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-11-08 19:56:07

Bastian

La porte de mon bureau claque derrière moi, un point final brutal à une nuit de merde. Je jette mon manteau trempé sur le portemanteau qui penche dangereusement. L’odeur du café rance et de la poussière m’accueille comme une gifle. Mon sanctuaire. Mon cachot.

Je m’effondre dans mon fauteuil, la tête dans les mains. Les images défilent. Élodie Marchand, allongée sur le carrelage froid. Le carré de poussière sur l’étagère. La boucle de ceinture. Ces putains de losanges.

Et puis elle. La femme dans la nuit. Ses yeux, trop grands, trop clairs, comme des lacs où se refléterait une tempête intérieure. Ses mots, absurdes et pourtant…

Du métal froid. L’odeur du sang. Elle est tombée. Sur du carrelage.

« Personne ne comprendra. »

Des losanges. Sur du métal.

Chaque déjet correspond. Chaque mot est un clou qui enfonce un peu plus le doute dans mon crâne. Le métal, l’odeur, la chute, le carrelage. La phrase. La boucle.

Coïncidence. Ça ne peut être qu’une coïncidence. Une chance incroyable, un coup de poker psychologique. Elle a peut-être vu le corps être emmené, elle a deviné, elle a eu de la chance.

Mais la boucle… Personne n’avait relevé ce détail. Pas encore. Moi seul. Et je n’en ai parlé à personne.

Je me lève, agité, parcourant la petite pièce. Mon esprit, mon arme la plus fiable, se retourne contre moi. Il cherche des failles, des explications rationnelles, et n’en trouve aucune qui tienne debout plus de trente secondes.

— Putain de merde !

Mon poing s’écrase sur le bureau, faisant sauter une tasse de stylos. Le bruit résonne dans le silence du poste, vide à cette heure indue.

Je la revois. Son visage pâle, trempé de pluie. Ce n’était pas le visage d’une mythomane ou d’une chercheuse d’attention. C’était celui de quelqu’un qui avait peur. Qui était habité par une terreur si viscérale qu’elle en tremblait pour de vrai.

Et ses yeux… Ils m’ont regardé droit dans l’âme, comme si elle voyait la faille que je refusais même d’admettre à moi-même.

Je sais qui elle est. Son nom m’est venu, chuchoté par un collègue alors que je quittais les lieux. Eira. La médium. La fêlée du quartier. Celle qui prétend parler aux morts.

J’ai toujours méprisé ce genre de charlatans. Ils profitent de la douleur des autres, de leur vulnérabilité, pour vendre de faux espoirs et des mensonges réconfortants. C’est un poison, pire que le crime lui-même.

Mais là…

Je rouvre le dossier Élodie Marchand sur mon écran. Les photos s’étalent, crues, définitives. La logique voudrait que je classe cette « Eira » dans la catégorie des témoins farfelus à ignorer.

Mais un autre instinct, plus ancien, plus primal, me dit le contraire. Un instinct que j’ai enterré sous des années de procédures et de preuves tangibles.

Elle sait. Elle sait des choses qu’elle ne devrait pas savoir.

Je prends mon téléphone. Mon doigt hésite au-dessus de l’écran. Appeler, c’est franchir une ligne. C’est admettre que l’inexplicable a peut-être sa place dans mon monde de certitudes. C’est trahir tout ce en quoi j’ai cru.

Mais laisser filer une piste, aussi folle soit-elle, alors qu’une femme est morte… C’est une trahison plus grande encore.

Je trouve le numéro. Une ancienne plainte pour intrusion, un voisin qui se plaignait qu’elle « regardait trop les ombres ». L’adresse est notée.

Je raccroche sans composer le numéro. Je n’ai pas besoin de l’appeler. Je n’ai pas à lui demander.

Je dois la voir. En face. Lui faire répéter ses… visions. Voir si son histoire tient debout sous la lumière crue du jour, loin des gyrophares et de l’émotion de la nuit.

Je me rassois, lourdement. La migraine qui me tenaille depuis que j’ai quitté l’appartement d’Élodie s’intensifie, battant en rythme avec mon cœur.

Je déteste ça. Je déteste ce sentiment de perte de contrôle. Je déteste l’idée que cette femme, avec ses yeux de fantôme et ses mots impossibles, ait réussi à fissurer mon armure.

Mais plus que tout, je déteste l’idée de laisser un meurtrier courir librement parce que j’ai été trop arrogant, trop borné, pour envisager l’inimaginable.

Je regarde par la fenêtre. L’aube commence à peine à teinter le ciel de gris. La ville se réveille, ignorante du monstre qui se cache dans ses rues et de la femme qui prétend le voir dans ses rêves.

Je vais la retrouver. Pas en tant que croyant. En tant que flic. Un flic désespéré, peut-être. Mais un flic.

Et si elle me raconte des conneries, je la jetterai dehors. Mais si elle dit encore une seule chose qui corresponde aux faits…

Je ferme les yeux. L’image des losanges s’y imprime, indélébile.

L’enquête vient de prendre un tour que je n’avais pas anticipé. Et moi aussi.

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